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À partir d’avant-hierVICE

Bruxelles se rassemblera chaque soir jusqu’au cessez-le-feu en Palestine

17 janvier 2024 à 13:48

D’abord tenu à la Bourse, puis à la Gare Centrale, ça fait maintenant 92 jours qu’un rassemblement pour la Palestine a lieu quotidiennement à Bruxelles. Chaque soir à 18h, des personnes se réunissent pour crier ensemble « Free, free Palestine », « Boycott Israël » ou encore, depuis peu, « Go, go South Africa ». 

Malgré le froid, la présence – parfois violente – de la police, et la fatigue émotionnelle et physique qui s’installe, les gens sont toujours là. Beaucoup se connaissent à présent. Il y a notamment le collectif Caddy for Palestine, dont les membres ont décidé, dans l’urgence, de se rendre utiles en offrant chaque soir des boissons chaudes et autres douceurs aux manifestant·es. Et à force, les visages et voix des personnes qui prennent régulièrement le micro pour crier et chanter leur espoir en une Palestine libre deviennent familiers. C’est comme si vous les connaissiez. 

J’ai approché trois de ces visages, Shaker Abu Fouda (30 ans), Mohamed Elmasry (32 ans) et Tahsin Zaki (60 ans). Omar Karem était souvent présent également, mais moins depuis qu’il a entamé une grève de la faim le 31 décembre à l’ULB. Force et soutien à lui. 

Tahsin Zaki, qui a étudié le marketing et le journalisme, travaille depuis plus de vingt ans pour la cause palestinienne, plus précisément dans la section Jeunesse de la Communauté Palestinienne en Belgique et au Luxembourg depuis 2009. Juste avant le rassemblement enneigé du 15 janvier à la Gare Centrale – le 91ème – il m’a invitée à l’abri, dans sa voiture remplie de drapeaux palestiniens et de matos de manifestation, pour me raconter son histoire, ses revendications et ce qui l’aide à tenir.

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Tahsin Zaki, le 16 novembre 2023

VICE : Tu viens d’où en Palestine ?
Tahsin
: Mon père et ma mère sont né·es à Akkā, mais ont été expulsé·es en 1948. Je suis un réfugié palestinien du Liban. Akkā est une ville palestinienne très ancienne et historique, mais les Israélien·nes l'appellent aujourd’hui Akko [son nom en hébreu, NDLR]. 

Tes parents font partie des Palestinien·nes déplacé·es durant la Nakba ?
Oui. Ma mère avait 9 ans et mon père 17. En 1948, pendant la guerre, on leur a dit : « Partez trois ou quatre jours dans un pays voisin – la Jordanie, le Liban ou la Syrie – et vous reviendrez quand on sera libéré·es. » 

Mon père s'est marié avec ma mère, on est sept dans la famille. J'ai un frère et une sœur qui vivent maintenant aux États-Unis. Mais deux de mes frères ont été tués lors de l'invasion [israélienne] de 1982 au Liban. 

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14 novembre 2023

T’es déjà allé en Palestine ?
Jamais. Tu vois comme le monde est injuste ? Je peux même pas me rendre en Palestine. Si j'y vais maintenant, je risque d'être arrêté, vu que je suis très actif en Belgique depuis 2001. Je suis l'un des principaux acteurs de la communauté palestinienne ici. Mes frères, mes sœurs et moi-même sommes né·es au Liban. Certain·es d’entre nous ont visité la Palestine, mais pas moi.

T’as encore de la famille là-bas ?
Oui, bien sûr. Mon père a quitté la Palestine avec certain·es de ses frères et sœurs, mais sa sœur aînée, qui était déjà mariée, voulait y rester. Elle est morte d’un cancer entre-temps, mais ses enfants sont toujours là. 

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16 novembre 2023

Vous vous rassemblez tous les soirs depuis 91 jours. Comment ça a commencé ?
Tout a commencé après le bombardement de l'hôpital Al Maamadani, le 17 octobre. On s’est appelé·es sur Whatsapp – on était un groupe d'environ 20 personnes. On s’est retrouvé·es à la Gare de l'Ouest pour parler avec le PTB qui nous a dit : « Allons à la Bourse. On va vous protéger. »

On s’est donc rassemblé·es là-bas, après dix jours d'invasion, et s’est fait une promesse : on n’arrêtera pas avant le cessez-le-feu et la fin du génocide. Au moins un cessez-le-feu permanent.

Ça doit être épuisant à la longue.
La communauté palestinienne est présente dans toute l'Europe et on est en contact avec les mouvements palestiniens d'autres villes. Mais [à ma connaissance], on est les seul·es à le faire tous les jours. Ça fait aujourd'hui 91 jours qu’on est dans la rue, sans interruption. 

Ça nous est arrivé de faire trois manifestations en une journée. Une fois, on a manifesté à la Place du Luxembourg de 14h à 16h, puis à Molenbeek de 16h30 à 17h30, et puis ici à 18h. Hier encore, on a manifesté sur la Place de l’Albertine jusqu'à 16h, puis on est venu·es ici pour une heure de plus. T’imagines…

On continuera. Tant que tout ça dure et qu'il n'y a pas de cessez-le-feu permanent, on continuera. 

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Shaker Abu Fouda, le 14 novembre 2023

Pourquoi avoir bougé de la Bourse à la Gare Centrale ?
On aurait préféré rester à la Bourse, mais on a dû partir à cause du marché de Noël. Maintenant, on est de retour à la Bourse les vendredis soirs, mais les autres jours c’est à la Gare Centrale. Notre but ici est de montrer aux gens qui entrent et sortent de la gare que la Palestine est vivante, que la Palestine ne mourra jamais. Que la Palestine n'est pas orpheline. On essaye aussi d'éduquer les gens, de leur permettre de faire des recherches et de réfléchir. 

Pendant les rassemblements, je me contente pas de chanter ; je m'occupe aussi de la sécurité. J'essaie de protéger tout le monde de la police, pour que notre dossier reste vierge et qu’on puisse demander davantage aux autorités. On voudrait rapprocher ce rassemblement du Parlement européen, et alterner : un soir ici, un soir devant le Parlement.

On apprécie la position adoptée par la Belgique sur Gaza et la Palestine, mais on voudrait qu'elle aille plus loin. Bruxelles est la capitale de l'Europe et la Belgique prend la présidence du Conseil de l'Union pour six mois. Et il faut qu’il se passe quelque chose durant ces six mois ! 

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Mohamed Elmasry, le 14 novembre 2023

Tu peux me parler de l’importance de la musique et des chants dans les rassemblements ?
On joue beaucoup de musique nationale. C'est pas juste de la musique ; c'est de la musique révolutionnaire. On soutient la résistance, et on n’en a pas honte. C’est important de le dire. C’est important de crier, oui. Quelqu'un·e pourrait passer par là et entendre « Israël, criminel », se demander pourquoi, et ensuite faire des recherches. 

De quoi parle la chanson Yoya, que j'ai entendue à chaque manifestation ?
« Yoya » veut simplement dire « Oui, oui ». La chanson dit : « Samedi, ils ont cassé notre maison et bombardé notre ville/ Ils ont tué nos enfants, pourquoi on devrait se taire ?/ Juste pour avoir du pain, pour la nourriture ? Pourquoi on devrait se taire ?/ Ce sont de mauvais pères, qui nous les a amenés ici ? »

Cette dernière phrase fait référence au Royaume-Uni, aux États-Unis et à l'Europe : ils sont tous coupables. Ce sont eux qui nous les ont amené·es.

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9 décembre 2023

C’est quoi votre plan d’action si on obtient enfin un cessez-le-feu ?
Pour l'instant, l'agression prend tout notre temps et énergie. Mais on a déjà un comité dédié au boycott prêt à agir dès qu'il y aura un cessez-le-feu. On est en contact avec des étudiant·es universitaires et on discute des moyens de boycotter Israël sur le plan économique et éducatif.

Concrètement, on sait quels supermarchés vendent des produits israéliens et on compte les cibler. On donnera de l'argent à des équipes spéciales pour qu'elles puissent remplir leur caddie de toutes sortes de produits israéliens. Ensuite, une fois les produits scannés à la caisse, cette personne demandera au staff de lui lire l'origine du produit. Quand on lui dira : « C’est fabriqué en Israël », elle répondra qu'elle ne veut rien de ses courses et laissera tout là. Comme ça se produira plusieurs fois par jour, le staff devra le signaler aux managers. Et tu penses qu'iels feront quoi ?

Après le cessez-le-feu, tu vois quelles solutions pour la paix en Palestine ?
Je suis pas favorable à la solution à deux États. Pourquoi ? Parce que toute la révolution palestinienne depuis 1948, lorsque la Palestine a été occupée, et lorsque l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) a été créée en 1965, c'était pour le droit au retour. Or, si on a une solution à deux États, on ne pourra pas revenir. Mais on aimerait vivre avec le peuple juif qui veut vivre avec nous. Je suis personnellement prêt à embrasser la tête des Israélien·nes qui veulent vivre avec nous, peu importe s'iels sont juif·ves et que je suis musulman. Ma sœur a épousé un Palestinien chrétien. Les Palestinien·nes musulman·es, chrétien·nes et juif·ves peuvent s'aimer. La paix est possible, mais elle doit se baser sur l'égalité, la justice et le droit au retour. S'il n'y a pas de droit au retour, il n'y a pas de solution pour la Palestine. 

Quand elle était jeune, ma mère avait une voisine juive qui nous achetait du fromage. Elle était comme une sœur pour elle. Beaucoup de juif·ves et musulman·es vivaient en paix en Palestine avant l'arrivée des sionistes. Le sionisme est un projet capitaliste qui vise à voler les ressources. Pourquoi tu penses que Gaza est visée ? Pour ses ressources, son gaz, et son accès stratégique à la mer.

Peut-être que je voudrais pas retourner en Palestine. Peut-être que je voudrais vivre en Belgique ou finir mes vieux jours en Espagne. Mais je veux avoir le droit de retourner dans mon pays parce que c'est ma terre. 

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16 novembre 2023
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16 novembre 2023
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7 janvier 2024
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Caddy for Palestine le 16 novembre 2023
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14 novembre 2023
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7 janvier 2024
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Caddy for Palestine le 7 janvier 2024
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9 décembre 2023
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« Ma relation avec l'Algérie est inexistante, à part ma gueule et mon nom »

20 novembre 2023 à 09:33

« Papa, tu sais quels sont les points communs entre la guerre d’Algérie et l’alcool ? J’en ai trouvé trois : le silence, le tabou, et la honte. » Ce sont les mots prononcés par la vidéaste, comédienne et performeuse franco-algérienne Yasmine Yahiatene, lors de son seule-en-scène La Fracture. 

Sur les sons du chanteur kabyle Idir et du rappeur Soolking, Yasmine raconte l’histoire de son père, son alcoolisme, mais aussi leur amour pour le foot et Zidane, le tout sur une trame de tabous laissés par la guerre d’Algérie. 

C’est la deuxième fois que j’assiste à sa performance, cette fois dans le cadre du festival Voix de Femmes à Liège. Après le spectacle, je lui ai posé quelques questions sur scène. 

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En tant que Belgo-Algérienne, je me reconnais clairement dans la pièce de Yasmine. L’intonation des membres de sa famille dans ses vidéos, les musiques, l’euphorie suite aux deux buts de Zidane contre le Brésil lors de la Coupe du monde 98, mais aussi le père qui ne communique pas… Tout m’est familier. Je me souviens me dire, après avoir vu sa pièce pour la première fois : « En fait, on est tou·tes les mêmes ; tou·tes aussi paumé·es. »

Et en y réfléchissant, il y a une part de vérité là-dedans. Dans le sens où nos parents, grands-parents et arrières grand-parents, ayant vécu la colonisation et la guerre d’Algérie, partagent quelques points communs, principalement des traumas. 

Pour Yasmine, le processus de création de ce spectacle a non seulement été un travail de guérison car il lui a permis d’aborder des sujets tabous, comme l’alcoolisme de son père, mais aussi un travail de décolonisation et de reconnexion à ses origines. 

« Ma relation avec l'Algérie est inexistante, à part ma gueule, mon prénom et nom de famille, dit Yasmine. Ce spectacle m’a permis de reconnecter avec cette partie de moi. Ça passe par le fait de comprendre que je ne suis pas blanche, blonde aux yeux bleus. C’est tout nouveau ! »

Pour beaucoup de personnes racisées évoluant dans une société blanche, prendre conscience de son ethnie n’est pas inné ; on se rend compte qu’on est racisé·e lorsqu’une personne ou une situation fait l’effet d’un miroir et nous fait réaliser que non, on n’est pas blanc·he. Yasmine se souvient de ce moment : « C’était en cherchant un appartement et en envoyant le même mail qu’un pote signé avec des noms différents, et voir qu’il avait des réponses et moi pas. Voilà. C’est un exemple assez fréquent malheureusement », explique-t-elle. 

Cette réalisation est le début d’un tas de questionnements pour Yasmine, dont celui de la décolonisation, non pas physique d’un État, mais plutôt de son esprit. « Je crois que comme pour le patriarcat, la décolonisation c’est quelque chose qui se travaille. Racisé·e, ou pas racisé·e ; on est né·e avec l’idée en Europe que c’est cette façon-là de faire et pas une autre. Et plus on avance, plus y’a des penseur·ses et artistes qui nous disent que c’est pas obligatoirement ça. »

Cette déconstruction a pris de la place dans son art au fur et à mesure qu’elle en prenait dans sa vie. « C’est en tournant le spectacle, en discutant avec l’équipe et en rencontrant d’autres personnes que je prends conscience que je me décolonise un peu plus tous les jours. Mais c’est une gymnastique. C’est pas inné. »

En découlent d’autres prises de conscience, comme celle de l’intégration, voire l’assimilation, que ses parents immigré·es ont dû s’imposer pour être accepté·es en Europe. « C’est l’intégration maximale, l’intégration absolue sous couvert de tout. C’est laisser tomber une part de soi pour s’intégrer au pays dominant. C’est ça qu’on – et que je – questionne aujourd’hui. »

Cette intégration a des conséquences sur les personnes qui la subissent – la génération de nos parents ou grands-parents –, mais aussi sur leur descendance, comme Yasmine, moi et tant d’autres. « C’est pas pour rien que je parle pas l’arabe et que je parle très bien le français », remet Yasmine. Et de fait, dans son livre L’arabe pour tous - Pourquoi ma langue est taboue en France, l’auteur et journaliste Nabil Wakim explique en long et en large pourquoi l’arabe est si peu transmis à la seconde génération issue de l’immigration en comparaison à d’autres langues, moins stigmatisées. Encore une fois, l’islamophobie et le racisme n’y sont pas pour rien.

Dans son livre, Nabil Wakim parle aussi du sentiment de honte qu’il ressent parce qu’il ne parle pas sa langue et ne pourra pas la transmettre à ses enfants. Mais avec sa pièce, Yasmine se réapproprie et revendique ce non-héritage, cette non-transmission. « Se réapproprier cette part de nous qui nous a été volée par la colonisation, sans se sentir mal de ne pas connaître d’où on vient, je pense que c’est important, dit-elle. Et cet endroit de non-connaissance de soi a le droit d’exister. On est nombreux·ses dans ce cas, blindé. » Selon Yasmine, il ne s’agit pas uniquement de se documenter, mais de s’écouter. « J’y connais rien en histoire, en dates et en faits ; je regarde les mêmes docus que vous. Moi, j’agis avec mes tripes plutôt qu’avec ma tête. » 

Durant la pièce, Yasmine pose des questions : « Pourquoi grand-mère elle a des tatoos dans le visage ? Pourquoi je parle pas l’arabe ? Pourquoi tu me racontes pas ce qui s’est passé en Algérie ? Pourquoi je peux pas m’arrêter quand je bois ? »

Ces questions témoignent du silence de son père, des traumas familiaux dont on ne parle pas. « On a décidé de travailler sur la transmission des traumatismes, explique Yasmine. Ça passe dans ma famille par le silence, la guerre que mes deux parents ont vécue et l’exil. Ça passe aussi par des maladies taboues comme l'alcoolisme. » Cette question des traumas transgénérationnels est d’autant plus pertinente pour Yasmine, puisqu’elle a à peu près l’âge que son père avait quand elle est née. « Je questionne mon rapport [à l’alcool] et comment ne pas reproduire les mêmes erreurs. Prendre le problème et essayer de le régler, ou en tout cas d’en faire quelque chose de moins tabou. L’amener sur une scène de théâtre, c’est un premier pas. Ça permet aux gens d’en discuter entre eux après, ou pas. »

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Le football occupe une place importante dans La Fracture. Quand on entre dans la salle, Yasmine, vêtue d’un maillot bleu –  le numéro 10, bien sûr –, dessine un terrain de foot au sol. « J’ai beaucoup joué au football enfant », précise Yasmine. Ensuite, la pièce débute avec les images des deux buts de Zidane lors de la Coupe du monde 98, des images qui ont clairement marqué la diaspora algérienne. « J'habitais dans le sud de la France à l’époque, on devait être deux Arabes dans cette école, poursuit-elle. Je pense qu’on est vraiment arrivé·es tou·tes les deux le torse bombé à crever en mode : “Ouais, ouais, Zidane quoi !” C’était un moment hyper fort pour nous, et pour toute une communauté. »

À ce moment-là, elle ne s’en rendait pas compte, mais en y repensant, elle réalise que c’était une équipe très connotée. « C’était l’époque “black, blanc, beur”, bla-bla-bla. » Un phénomène que le sociologue de sport Michel Caillat a très bien résumé  : « Après l’hystérie collective du 12 juillet, la presse dans son ensemble et un grand nombre d’intellectuels saluent sans mesure la victoire de l’équipe black-blanc-beur, l’intégration réussie et la nation reconciliée. » Selon lui, cet engouement et cette mise en avant de la « diversité » était en réalité plutôt mauvais signe, cette victoire ayant été ultra-célébrée dans l’objectif de faire face à la montée de l’extrême droite. Ou comment on tente de résoudre par le sport et la symbolique ce que le champ du politique et du social est incapable de faire.

Selon Yasmine, Zidane aussi a payé le prix de l’intégration. Quand on y pense, le simple fait qu’il porte le maillot français mais rende les Algérien·nes si fier·es, est déroutant. « Zidane, quand il marque, il marque pour la France, et nous, on est content·es qu’il soit français. »

Le succès de Zidane auprès des Français·es sera d’ailleurs remis en question suite à son fameux coup de boule sur Marco Materazzi lors de la finale de la Coupe du monde 2006. Là, le mythe zidanien et la beauté de la diversité ont pris un coup. « C’est un peu tout le problème du “bon” arabe et du “mauvais” arabe », dit Yasmine. 

Au-delà de sa propre déconstruction et de celle de son public, La Fracture a rendu sa famille fière, et lui a permis de panser un peu ses plaies. « Beaucoup de monde de ma famille l’a vue et ce qui s’est passé a été assez beau, dit-elle. Dans ces familles-là on ne parle pas, et ça a permis de sortir des trucs un peu nécrosés sans parler. » Sa mère, ses tantes et sa grand-mère sont reparties en Algérie l’année dernière pour la première fois depuis 40 ans. « Elles sont retournées dans leur village, où ma mère est née, c’était chouette de vivre ça à distance, explique Yasmine. J'aime bien de me raconter que c’est grâce au spectacle aussi qu’elles ont réussi à le faire. »

J’ai assisté à la performance de Yasmine le 18 octobre, alors que Gaza était déjà sous les bombes d’Israël. Dans ce contexte, Yasmine et son équipe ont décidé de rédiger un texte que Yasmine a lu à la fin du spectacle, faisant le pont entre la guerre d’Algérie et la Palestine, et rappelant que ce spectacle est « profondément anticolonialiste, et nous condamnons et condamnerons toute forme de colonisation passée, présente, future. »

L’histoire se répète. La colonisation de la Palestine aussi, qu’elle connaisse ou non un jour une fin, laissera des traces profondes sur des générations et des générations.

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La couverture médiatique de la Palestine me donne honte d’être journaliste

20 octobre 2023 à 13:55

Ça fait maintenant deux semaines que mon feed est envahi de contenus sur la situation en Palestine et Israël. Et puisque, comme vous, j’évolue dans une bulle où tout le monde partage plus ou moins mes opinions, la majorité de ces posts sont pro-Palestine. Ceci dit, vu le bilan historiquement élevé du côté israélien suite aux attaques du Hamas le 7 octobre, beaucoup semblent avoir du mal à se positionner en tant que défenseur·se de la cause palestinienne. Comme si soutenir les Palestinien·nes était synonyme de se réjouir des victimes israéliennes. 

Au-delà du silence, j’ai aussi vu passer pas mal de messages du style, « Israël/Palestine, c’est très complexe » ou « Tout le monde prend parti, mais c’est pas juste noir ou blanc ». 

En réalité, il ne faut pas être expert·e pour comprendre la situation : il s’agit d’un État qui en colonise un autre. En tant que Belges, et plus largement, Européen·nes, ça nous connaît, non ? Bien sûr, les enjeux géopolitiques sont complexes, ou du moins déroutants. Car si on base notre logique exclusivement sur la notion de justice – la vraie, pas celle des institutions –, il est difficile, par exemple, de comprendre pourquoi tant d’États, européens ou arabes, ont tourné le dos à la Palestine. Ni pourquoi personne ne fait rien pour arrêter l'expansion illégale des colonies israéliennes. Ou encore, pourquoi ces injustices se déroulent sous nos yeux depuis 75 ans et qu’on n’en voit pas la fin. 

Mais la question de savoir s’il faut « prendre parti » n’est juste pas pertinente. L’enjeu de la prise de position ici, est d’honorer les victimes, tout en comprenant que la cause de toute cette souffrance, tant du côté palestinien qu’israélien, c’est la colonisation de la Palestine par l’État d’Israël. Ce rappel du contexte de l’occupation manque cruellement dans certains discours et, plus grave, dans la couverture médiatique.

Il y a environ dix ans, j’ai décidé de devenir journaliste simplement parce que j’aimais écrire. La raison pour laquelle je le suis encore aujourd'hui, c’est parce que je me suis rendu compte du poids que je pouvais potentiellement avoir dans le débat public et de la responsabilité qui m'incombait dans ce rôle. Être journaliste, c’est influencer l’opinion des gens et faire pencher la balance ; c’est une responsabilité super lourde. Pour chaque sujet abordé, l’angle, le ton, le nombre d’articles, leur longueur et chaque terme employé a son importance. Ça ne me fait pas nécessairement kiffer d’avoir ce « pouvoir », mais je me suis attelée à une tâche : donner une place aux sujets et aux gens qui n’en ont pas dans les médias, ou jamais de la bonne manière. 

Aujourd’hui, quand je lis la couverture des médias mainstream sur la situation, je ressens presque un sentiment de honte d’exercer ce métier, d’être « une des leurs ». De faire partie d’un secteur qui a clairement contribué, à coups d’articles biaisés, de termes mal choisis et de contextes omis, à la perte de la cause palestinienne – et de tant d’autres, d’ailleurs. 

La neutralité est supposée être un grand principe journalistique. C’est un sujet débattu, mais pour moi complètement obsolète, car la neutralité, ça n’existe pas. Mais partons du principe que les médias mainstreams couvrent les sujets de manière « neutre ». Même en se limitant à la couverture des derniers événements, les disparités ne manquent pas.

Par exemple, les bombardements d’Israël sur Gaza sont clairement décrits comme la conséquence de l’attaque du Hamas en Israël du 7 octobre ; par contre, les bombardements du Hamas du 7 octobre, eux, ne sont pas présentés comme la conséquence de l’occupation israélienne. Il ne s’agit pas ici de justifier les attaques du Hamas, mais simplement de les contextualiser. 

Ce constat ne s’adresse pas uniquement aux médias locaux, mais aux médias occidentaux dans leur ensemble. Les journalistes britanniques Harry Fear, qui a réalisé le documentaire Gaza: Still Alive, et Owen Jones, chroniqueur pour The Guardian et activiste, ont tous les deux récemment soulevé la déshumanisation du peuple palestinien par les médias. Harry Fear a notamment pointé du doigt la BBC et d'autres médias réputés pour leur choix des mots, mentionnant par exemple que le média public britannique a fait référence aux personnes « tuées » en Israël, et « mortes » à Gaza. Mortes comment, à cause de qui ? 

À cela s’ajoute le problème de vérification des sources : l’information selon laquelle le Hamas aurait décapité 40 bébés israélien·nes, qui a été véhiculée dans de nombreux médias et confirmée par le président des États-Unis Joe Biden, n’a, à ce jour, toujours pas été vérifiée. Si la plupart des médias (et Biden) ont corrigé l’information, elle a tout de même fait les gros titres, marqué les esprits et servi d’instrument de propagande pour justifier la réponse armée du gouvernement israélien sur Gaza. Le mal est fait.

Le Hamas et ses actions font également l’objet de biais, les médias faisant des raccourcis grossiers en comparant le mouvement à Daesh et le qualifiant uniquement de mouvement islamiste terroriste, puisque c’est comme ça qu’il est reconnu par Israël, l’Union Européenne et les États-Unis. Or le Hamas se définit comme un mouvement de résistance islamiste avec une branche politique et militaire. Par conséquent, quand le Hamas a tué des civil·es israélien·nes le 7 octobre, les médias parlaient d’un attentat terroriste ; mais quand Israël a, à son tour, tué des civil·es palestinien·nes à Gaza, les titres ont soudainement parlé d’une « guerre entre Israël et le Hamas ».

Comme l'avait déjà écrit l’historien Bernard Ravenel en 2005 dans sa contribution au livre Israël : L’enfermement, « In fine, le message qui passe c’est que les Israéliens font la guerre et que les Palestiniens sont des terroristes. » 

Le sujet du Hamas est épineux également car l’opinion publique a du mal à comprendre pourquoi il a le soutien de certain·es Palestinien·nes. Les figures politiques font d’ailleurs souvent la distinction en rappellent que tou·tes les Gazaoui·es ne soutiennent pas le Hamas, comme s’il y avait des bon·nes et des mauvais·es Palestinien·nes. Des Palestinien·nes qui méritent plus que d’autres les bombardements israéliens. 

Le Hamas a été fondé pendant la première Intifada (1987-1993, aussi appelée guerre des pierres). Il est au pouvoir dans la bande de Gaza depuis 2007. Dire que lancer des pierres contre l’armée israélienne est voué à l’échec, c’est un euphémisme. Cette dernière repose sur une des industries d’armement les plus avancées au monde, avec son système de défense antimissile « dôme de fer », plus de 169 500 soldat·es, 400 000 réservistes, 1 300 chars et autres blindés et 345 avions de combat. Les États-Unis ont versé 125 milliards de dollars entre 1948 et 2021 dans le cadre d’un programme de coopération militaire bilatérale – ils continuent d’ailleurs d’armer Israël dans le but d’envahir Gaza. Donc oui, après des décennies de colonisation, de négociations de paix échouées, de blocus illégal sur les infrastructures de Gaza qui condamne les Gazaoui·es à une pauvreté extrême, le discours du Hamas, qui propose une révolte armée, convainc certain·es.

Impossible d’ailleurs de ne pas s’attarder sur le terme « terrorisme ». Apparu en 1793, sa définition a évolué au fil des années. Au départ, on qualifiait de terrorisme toute action violente destinée à terroriser la population. Aujourd’hui, il est défini comme l' « emploi systématique de la violence pour atteindre un but politique ; les actes de violence (attentats, destructions, prises d'otages). » Selon Alain Bauer et Jean-Louis Bruguière, les auteurs du livre Les 100 mots du terrorisme, on distingue principalement les terrorismes en fonction de leurs objectifs, mais ils visent soit à imposer un pouvoir, soit à le renverser. Dans le premier cas, il peut s’agir d’un autre État qui cherche à en faire céder un autre sur un sujet par le biais d’une organisation. Le terrorisme peut aussi être actif au sein du territoire de l’État visé pour revendiquer la décolonisation ou l’indépendance. On parle aussi de terrorisme d’État : l'exercice de la terreur par un État sur sa propre population comme méthode de gouvernement. En gros, il existe plusieurs types de terrorismes ; les auteurs mentionnent notamment « un terrorisme révolutionnaire, identitaire, terrorisme de groupes qui réclament une forme quelconque d’indépendance ou de reconnaissance, ou encore le terrorisme instrumental, qui vise à obtenir une action ou une concession d’une autorité. »

Donc si on en croit la définition, c’est bien de terrorisme décolonial qu’il s’agit ici. 

En tant que Belgo-Algérienne, je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec la guerre d'indépendance d’Algérie, pour laquelle mon grand-père a combattu au sein de l’armée de libération nationale (ALN, la branche armée du parti politique Front de libération nationale). Pour les Algérien·nes, c’était un maquisard, un révolutionnaire, ou simplement un combattant. Mais pour les Français·es et les livres d’histoires occidentaux, mon grand-père n’était rien d’autre qu’un terroriste. Et de fait, puisqu’il appartenait à une organisation qui avait pour objectif de renverser le pouvoir en place : la colonisation française. Dans un tout autre contexte – celui de l’apartheid en Afrique du Sud –, Nelson Mandela était lui aussi fiché comme terroriste jusqu'en 2008.

Encore une fois, il ne s’agit pas ici de justifier les actions du Hamas et les victimes civiles israéliennes ; il s’agit d’une question de sémantique.

Nombre d’activistes et de personnes issues de la communauté musulmane s’indignent de l’utilisation du terme terroriste, jugeant qu’il s’adresse, la plupart du temps, aux auteurs d’attaques quand ils sont musulmans. L’amalgame terrorisme/Islam a en effet fait bon chemin depuis les attentats du 11 septembre. Le problème n’est peut-être donc pas tant le mot en soi, mais la connotation qu’il porte : Les terroristes, ce sont des méchants Arabes islamistes, jamais des combattants révolutionnaires. 

La BBC évite d’ailleurs ce terme et a décidé de ne pas qualifier le Hamas de terroriste. « Le terrorisme est un mot chargé de sens, que les gens utilisent à propos d'un groupe qu'ils désapprouvent moralement », a expliqué John Simpson, rédacteur en chef des affaires internationales à la BBC, en réponse aux nombreuses critiques.

J’ai contacté Owen Jones pour avoir son avis sur la question, et selon lui, au-delà de la connotation, il s’agit aussi d’une décision pragmatique de sécurité. « Si les journalistes de la BBC étaient contraint·es de qualifier le Hamas de "terroristes", ça les empêcherait de faire des reportages à Gaza et pourrait mettre leur sécurité en danger dans les territoires occupés, dit-il. Ça donnerait également lieu à des contre-arguments très virulents pour qu'Israël soit décrit comme pratiquant le terrorisme d'État – clairement fondé en réalité. » Une boîte de pandore, selon le journaliste.

Une autre raison qui en pousse beaucoup à ne pas se positionner pour la Palestine, c’est la crainte d’être perçu·e comme antisémite. Cet amalgame est ancré très profondément dans certains esprits. Faut-il le rappeler, être contre la politique d’Israël, le sionisme et la colonisation n’est pas synonyme de haine envers les Juif·ves. De nombreuses personnes juives s’y opposent, même parfois basées en Israël.

Dans des moments pareils, on s’inquiète de la montée de l’antisémitisme, et à juste titre. Mais qui s’inquiète de la montée incessante de l’islamophobie en Occident, à part les personnes concernées ? Quels médias se penchent sur l’impact de l’attentat du 16 octobre sur la communauté musulmane à Bruxelles ? L’inquiétude qui prend au ventre la diaspora nord-africaine quand on apprend que l’auteur de l’attentat était non seulement musulman et tunisien, mais aussi sans-papiers – jackpot – n’a pas sa place au JT.

Au-delà de la couverture médiatique, les figures politiques aussi, contribuent à la déshumanisation du peuple palestinien. « La compassion de l’État français envers le peuple israélien face à la barbarie est entière », a déclaré le président français Macron suite à l’attaque du 7 octobre. « Nous partageons le chagrin d’Israël. Des centaines de nourrissons, d’enfants, de femmes et d’hommes pourchassés, enlevés, assassinés, pris en otage. » Quant au président des États-Unis Joe Biden, il a déclaré, « Le peuple d'Israël a vécu un tel moment ce week-end. Les mains sanglantes de l'organisation terroriste Hamas – un groupe dont la raison d'être déclarée est de tuer des Juifs. Il s'agit d'un acte purement diabolique. Plus de 1 000 civils ont été massacrés – pas seulement tués : massacrés – en Israël. »

« Compassion », « barbarie », « chagrin », « nourrissons », « assassinés », « sanglantes », « diabolique », « massacrés »… Ces termes transpirent l’affect et l’émotion, et à juste titre, puisqu’il faut en ressentir face à ces événements. Mais quand ce sont les Palestinien·nes qui meurent sous les bombes israéliennes, qu’Israël prive Gaza d’eau, de gaz et d’électricité, bloque les aides humanitaires, demande à 1,1 million d’habitant·es d’évacuer Gaza par une route sûre pour ensuite la bombarder, quand un hôpital est lui aussi bombardé, quand Israël arme ses citoyen·nes pour faire la guerre – la liste s’allonge à mesure que je rédige cet article, c’est affligeant –, les mots sonnent creux.

Tous ces actes sont décrits comme des crimes de guerre et sont, au mieux, condamnés par les Nations Unies. Point. Pas d’adjectifs sensationnalistes, encore moins d'émotions. Pas de porte-parole de la Maison Blanche qui fond en larmes en pleine interview sur CNN. Et jamais ces actions ne sont qualifiées de terroristes, or le terrorisme d’État, ça existe, comme nous la rappelé Owen Jones.

Pourtant, à ce stade, l’experte des Nations Unies Francesca Albanese parle de nettoyage ethnique, d’une seconde Nakba et Naksa. Genocide Watch parle de génocide, considérant que sur les dix stades du génocide, Israël/Palestine remplit les stades « 3 : discrimination », « 4 : déshumanisation », « 5 : organisation », « 6 : polarisation », « 8 : persécution » et « 9 : extermination ». Au final, Hamas ou pas, comme le dit Pierre Stambul de l’Union juive française pour la paix dans les colonnes de Mediapart, « c'est une guerre d'Israël contre le peuple palestinien ». Et ce peuple, on dirait qu’il est déjà bon à être oublié.

Au-delà des émotions à géométrie variable que nous proposent et relaient certains médias mainstream, il est primordial de prendre en considération le contexte, afin de comprendre les mécanismes qui sont appliqués pour justifier ce massacre à Gaza, et prendre conscience des agissements du gouvernement d’extrême droite israélien. 

Si tant de journalistes ont soulevé le problème, pourquoi les rédactions ne corrigent-elles pas le tir ? Pourquoi si peu d’articles et reportages sont racontés d’un point de vue palestinien ? Le journaliste américain Dylan Saba a récemment dénoncé une censure des médias sur X. Un rédacteur d'un grand journal de gauche l’avait contacté pour qu’il écrive sur la « vague de réactions maccarthystes anti-palestiniennes et sur la censure qui sévit actuellement aux États-Unis ». Son article a été jeté à la poubelle quelques minutes avant sa publication. 

Ginella Massa, journaliste canadienne, a également dénoncé les difficultés que les journalistes rencontrent lorsqu’iels tentent de remettre en cause l’angle d’un média. Elle cite notamment un exemple datant de 2021 (qui correspond aux attaques à la mosquée Al-Aqsa) : 2 000 Canadien·nes, dont des journalistes, avaient signé une lettre groupée afin de réclamer une couverture médiatique plus équilibrée. La journaliste explique qu’elle n’a pas osé signer la lettre, car elle « avait trop à perdre ». Et de fait, certain·es journalistes signataires ont été réprimandé·es, interdit·es de toucher au sujet, car la rédaction a considéré qu’iels étaient « biaisé·e ». La chaîne américaine MSNBC a par ailleurs écarté trois journalistes musulmans du plateau du journal sans explication claire. Des exemples comme ça, il y en a plein.

En rédigeant cet article, je sais par ailleurs que certain·es lecteur·ices, en lisant mon nom et le passage sur mes origines, penseront que c’est moi qui suis biaisée. Mais ne vous en faites pas, mes sources sont quasiment toutes des personnes blanches, car je sais trop bien que même avec un diplôme de journaliste, il vaut mieux être blanc·he pour être crédible

Comme je le disais plus tôt, si la couverture médiatique et ce genre de prises de position sont si importantes, c’est parce qu’elles ont le pouvoir d’influencer l’opinion publique. Et toutes ces disparités empêchent une grande partie de la population de ressentir de l’empathie pour le peuple palestinien et de se positionner contre la politique israélienne qui, faut-il le rappeler, viole le droit international, selon l’ONU. À force de déshumaniser le peuple palestinien et en l’associant aux actions du Hamas, à son tour diabolisé comme si la simple nature de ses actions ne suffisait pas, le public ne sait plus quoi penser et préfère s’en tenir au silence ou à un lâche « C’est un sujet complexe ». 

Mais ne pas prendre position, c’est contribuer à maintenir l’ordre établi. 

Il n’est pas pertinent de comparer ces conflits en tant que tels, mais si on reprend la couverture médiatique récente du conflit entre la Russie et l’Ukraine, le message est clair : c’est la Russie qui a envahi l’Ukraine et l’Ukraine s’est défendue. Tout le monde semble plus ou moins d’accord là-dessus, et l’Ukraine bénéficie du soutien des médias et de l’opinion publique. Pourquoi ces termes ne sont-ils pas utilisés lorsqu’il s’agit d’Israël et de la Palestine ? Je ne parle même pas ici de la reconnaissance des États – comme mentionné plus haut, on sait qu’il ne s’agit ici que d’accords géopolitiques. Mais nous, citoyen·nes, journalistes et acteur·ices culturel·les, ne sommes pas des États avec des intérêts géopolitiques. Nous sommes des êtres humains avec un jugement, une conscience et une voix. 

Pourquoi les institutions culturelles, pourtant si favorables à programmer des créations et des collectifs sur la thématique de la décolonisation, restent silencieuses ? C’est très bien de vouloir décoloniser l’espace public, le clubbing et la culture, mais pourquoi ce silence-radio lorsqu’il s’agit de la Palestine ? 

Je rêve de voir le drapeau de la Palestine sur la façade du Théâtre de la Monnaie ou au parc du Cinquantenaire. Au lieu de ça, même avant l’attaque du 7 octobre, de simples peintures du drapeau ont été effacées des murs de la Gare du Midi par la commune de Saint-Gilles, car jugées antisémites

Alors que les manifestations se multiplient et des citoyen·nes à travers le monde unissent leurs forces pour tenter tant bien que mal de dénoncer ces injustices, seul le soutien des médias et des institutions peut réellement faire pencher la balance.

Quand Gaza sera rayée de la carte, il sera trop tard pour montrer votre soutien aux Palestinien·nes.

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