Comment The Shift Project a construit sa réflexion sur les datacenters
Si les tendances actuelles se poursuivent, la trajectoire climatique est alarmante.
On peut résumer ainsi les observations de The Shift Project – aka « Le think tank de la décarbonation de l’économie » – sur la filière datacenter.
L’Irlande, aperçu des futurs possibles
L’Irlande est un bon indicateur de ce qui pourrait se passer en Europe, affirme-t-il. Par sa politique fiscale, le pays a attiré énormément de datacenters, essentiellement d’acteurs américains. Le tout de façon peu qualifiée, sans anticipation des conséquences. La consommation du parc a crû de façon remarquable : environ 20 % de l’électricité du pays en 2022, contre 5 % en 2015 – alors que tous les autres secteurs ont plutôt vu stagner leur consommation.
À Dublin, où on ne sait plus fournir l’ensemble de la production électrique pour tous les usages, on a dû arrêter des projets immobiliers. Un moratoire de fait s’est installé : l’opérateur électrique irlandais a décidé de ne plus connecter de datacenters au réseau dans cette zone tant qu’il n’y aurait pas de désaturation.
La filière datacenter met les gaz
Cela n’a pas pour autant résulté en un arrêt de l’installation de datacenters. Une voie de contournement a effectivement été trouvée. Une quizaine sont aujourd’hui raccordés directement raccordés au réseau de gaz ou en ont fait la demande, avec le projet de mettre en place des centrales électriques dédiées.
Dans les scénarios de transition énergétique de l’Europe, il est prévu, à l’horizon 2035, de se passer de 200 TWh d’électricité produite à partir de gaz. Or, c’est précisément la consommation supplémentaire que représenteraient ces datacenters… et qui, aujourd’hui, n’est pas planifiée.
Perpétuer cette alimentation au gaz, c’est aussi prolonger une dépendance énergétique de l’Europe envers les États-Unis, fait remarquer The Shift Project. Il existe par ailleurs des risques de conflit d’usages avec les secteurs dont la décarbonation complète ne peut passer que par l’électrification. Transports et chauffage, notamment.
Stratégie bas carbone : « Le numérique est bien un secteur »
Au regard de l’empreinte croissante de la filière datacenter, The Shift Project appelle à l’intégrer dans la SNBC 3 (troisième stratégie nationale bas carbone, en cours d’élaboration par le Secrétariat général à la planification écologique), avec sa propre trajectoire.
Récemment, les datacenters étaient encore fondus dans le secteur tertiaire. Dans la catégorisation RTE, ils en ont finalement été sortis pour être intégrés au sein du secteur de l’industrie. Et pour cause : certains atteignent désormais une puissance unitaire du même ordre que celle des sites industriels.
La partie terminaux est quant à elle intégrée dans la consommation des logements (secteur résidentiel). Au même titre, donc, que l’éclairage ou l’électroménager.
Au final, le numérique est disséminé, intégré de façon partielle, de sorte qu’on « loupe des morceaux », pour reprendre les mots de The Shift Project. Or, d’après l’association, c’est bien un secteur : il a ses infrastructures, ses services, ses acteurs, ses lobbys même.
L’intégration du numérique en tant que secteur dans la SNBC a normalement déjà été décidée en 2023 par le Haut Comité sur le numérique responsable*. Pour The Shift Project, il faut maintenant « passer aux faits ». Tout en n’oubliant pas que les datacenters validés aujourd’hui n’atteindront possiblement leur consommation maximale que dans 10 à 15 ans.
D’Enedis à OpenAI, une transparence à construire
Au niveau européen, la directive EED (efficacité énergétique) impose que les datacenters de plus de 500 kW communiquent certaines de leurs données. À peu près un tiers le font effectivement. Un suivi à l’échelle nationale apparaît donc d’autant plus opportun. L’énergie est d’ailleurs considérée comme un secteur qui relève d’abord de la compétence des États plutôt que de la Commission.
La transparence, dans l’ensemble, ne se mettra probablement en place que si on l’impose de façon réglementaire, estime-t-on chez The Shift Project.
L’association est en discussion avec RTE, qui s’occupe des « gros » datacenters. Avec Enedis, qui gère les « petits », c’est plus compliqué : ces datacenters sont certes dédiés, mais pas forcément connus comme tels. Un meilleur référencement est nécessaire.
Concernant les modèles d’IA génératifs, ce qui a été publié ne suffit pas à se faire une idée véritable. Les chiffres sont très peu comparables d’un point de vue méthodologique. Google, notamment, utilise l’approche market-based, donc se sert de ses contrats d’énergie verte. Contrairement, entre autres, à Mistral AI, dont The Shift Project salue la démarche, portée par une approche scientifique et validée par des pairs. Il n’en dit pas autant au sujet d’OpenAI, tancé pour son « opacité ».
On a également très peu de données sur les empreintes énergétique et carbone embarquées des hardwares. Vu le rythme d’évolution technologique, les informations à leur sujet deviennent vite très obsolètes. À date, il y aurait environ 9 millions d’accélérateurs IA – essentiellement des GPU – dans le parc mondial de datacenters. On en compterait 60 millions en 2030.
Ces phénomènes sont aujourd’hui clairement tirés par l’offre, clame The Shift Project. Plus précisément par des acteurs à la capacité de financement immense et pour qui la question à court terme ne semble pas être la recherche de rentabilité, mais plutôt l’installation d’une domination hégémonique pour ensuite inventer un modèle économique. Il faut « savoir y résister », avance le think tank, également en gardant à l’esprit le risque de dépendance numérique.
* Alors composé de Jean-Noël Barrot (ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications), Dominique Faure (secrétaire d’État chargée de la ruralité) et Christophe Béchu (ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires).
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