Perché à une vingtaine de mètres de haut, un activiste encordé tente d’éviter les bourrasques pour habiller d’un gilet violet la statue de la République, sur la place du même nom à Paris. Trois mots repoussoirs se dévoilent sur l’une des faces, sous le soleil du début d’après-midi : « Patriarcat / écocide / féminicide ».
L’action, qui se voulait spectaculaire, a été imaginée par des militantes de #NousToutes et d’Extinction Rebellion, pour donner le ton à la manifestation féministe parisienne du 8 mars : « Nous avons voulu montrer que nous sommes plus haut·es que les fachos », explique dans un sourire Gwen, militante #NousToutes.
« C’est un gros enjeu pour nous, poursuit-elle, de montrer que nous sommes bien présent·es, que nous occupons l’espace, quand on constate l’instrumentalisation et l’invisibilisation de nos luttes par des groupes identitaires fémonationalistes. »
En amont de la manifestation du 8 mars, le collectif #NousToutes avait répété qu’il était hors de question pour elles de défiler aux côtés de groupes identitaires comme Némésis, « qui instrumentalisent les luttes féministes pour nourrir leur propagande de haine et de désinformation ». Des militantes du collectif pro-israélien Nous vivrons étaient aussi parvenues par le passé à infiltrer des défilés, voire à manifester, escortées par les forces de l’ordre, en fin de cortège officiel, lors de la marche du 25 novembre dernier contre les violences faites aux femmes et aux minorités de genre.
Sur la place de la République en début d’après-midi, l’inquiétude face à la récupération de discours féministes par les extrêmes droites, est palpable. « Némésis racistes, cassez-vous ! », lit-on sur la pancarte d’une jeune étudiante, tandis qu’une activiste, à la sono de l’un des premiers camions du cortège, fait entendre : « Fascistes, racistes, jamais féministes ! »
En début d’après-midi, à quelques encablures de là, les militant·es Némésis se sont donné rendez-vous square du Temple, dont l’accès est protégé par des CRS postés aux entrées. Alice Cordier, la présidente, motive les présent·es au mégaphone : « Vous avez énormément de courage d’être là. » Dans l’assistance, quelques militantes du syndicat étudiant d’extrême droite La Cocarde, des jeunes militants zemmouristes et des jeunes femmes qui se masquent le visage avec leurs lunettes de soleil et leurs carrés de soie. Alice Cordier énumère quelques règles, dont celle-ci : « On ne répond pas aux insultes, on n’est pas dans la violence et la haine, pas comme eux. »
Aux alentours de 15 h 20, l’eurodéputée Sarah Knafo (Reconquête!) rejoint les troupes sous les applaudissements. Un passant s’interroge : « C’est qui ? [la maire de Paris Anne] Hidalgo, non ? » Elle prend un micro : « Je suis ravie d’être là, de voir des Françaises qui n’ont pas peur de [l’eurodéputée LFI] Rima Hassan, pas peur des intimidations. »
Le collectif pro-israélien Nous vivrons, qui dénonce l’antisémitisme supposé des féministes françaises, est lui aussi posté non loin de la place de la République, rue Meslay. Tout comme Némésis, ils et elles attendent les consignes de la police pour entrer en action. Mais leur attente va se révéler plus longue que prévu.
Un cortège officiel et joyeux
Pendant ce temps, sur la place de la République, une dizaine de camions de police bloquent l’accès depuis la rue du Temple, pour éviter l’éventuelle échappée de manifestant·es qui pourraient être tenté·es d’intimider Némésis. Mais surtout, au même moment, les services d’ordre des participant·es officiel·les à la manifestation se coordonnent pour bloquer les accès à la place et aux rues adjacentes, afin d’éviter des infiltrations de l’extrême droite.
Avec une bonne heure de retard, le cortège officiel et joyeux – organisatrices, syndicats, associations, partis – finit par s’élancer sur le boulevard Voltaire, vers la place de la Nation. Le barrage semble fonctionner, même si la manifestation donne parfois l’impression de faire du surplace.
Aux environs de la rue du Temple, une centaine d’activistes ont choisi de rester posté·es devant les fourgons de CRS, avec l’objectif de bloquer l’accès de la place à Némésis. Le climat se tend avec le déploiement progressif de colonnes de dizaines de CRS sur la place, pour encadrer la fin du cortège officiel et « sécuriser » l’arrivée des deux collectifs controversés. Les CRS parviennent à repousser les services d’ordre quelques rues au-delà du secteur de République.
À 17 h 09, le collectif Nous vivrons – qui avait reçu le soutien de la ministre de l’égalité Aurore Bergé, pour participer à la manifestation – fait son entrée sur la place, avec des militant·es reconnaissables à leurs bonnets orange, protégé·es d’un service d’ordre en interne, en plus d’une rangée de CRS. « Libérez la République » et « Solidarité avec les femmes du monde entier », entend-on parmi les slogans, tandis que des pancartes de la Licra sont également visibles.
Des skateurs ont déjà repris leurs activités sur la place, tandis que s’active une armada de camions d’éboueurs pour faire disparaître les traces de la manifestation. Némésis finit par débarquer à son tour, à 17 h 24, après avoir patienté quatre heures. Sarah Knafo s’est déjà exfiltrée du cortège. Face à ces militantes identitaires, de l’autre côté des rangées de CRS, deux jeunes femmes leur font face en tendant des pancartes. L’une dit : « Complices identitaires et génocidaires, dehors ! » et l’autre : « Siamo tutti antifascisti », slogan de ralliement de l’antifascisme.
Les militantes de Némésis amorcent le tour de la place et font entendre à leur tour leurs slogans : « Némésis dans ta manif » (alors qu’elles n’ont jamais été dans le cortège officiel), « Libérez-nous de l’immigration », « Le féminisme c’est nous », « Rima [Hassan] destitution » ou encore « Nous ne sommes pas des frontières violables ». « Gauchistes collabos » est un des mots d’ordre préférés du groupuscule. Avec une variante visant nommément un journaliste de Libération, spécialiste de l’extrême droite.
Des passants, postés sur la place de la République, huent : « Fa-chos ! »
Le cortège d’une centaine de personnes tourne sur le boulevard Voltaire et marque une longue pause. La conseillère écologiste de Paris Raphaëlle Rémy-Leleu, avec son écharpe d’élue, vient d’être sortie du périmètre de sécurité, à la demande de quelques CRS. « C’est à pleurer de voir ces gens qui n’ont rien d'autre à dire et à raconter pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles que d’afficher leur racisme, réagit-elle. Et c’est un échec pour ce pays d’avoir laissé des réactionnaires et des fascistes récupérer de manière aussi éhontée des discours [féministes] qui sont profondément à l’encontre ce qu’ils portent et représentent. »
Le cortège de Némésis a poursuivi sa marche jusqu’aux environs de la salle de spectacle du Bataclan– bien avant le terminus de la manifestation officielle, à Nation – à 19 h 35. Avec le soutien de forces de l’ordre plus nombreuses que les manifestant·es, qui se sont chargées d’éloigner les quelques dizaines de militant·es antifascistes qui continuaient de dénoncer la présence du collectif d’extrême droite dans cette manifestation féministe.