Dans son réquisitoire définitif, dont « Le Monde » a pris connaissance, le Parquet national financier réclame un procès contre l’ex-chef de l’Etat et son épouse pour, notamment, association de malfaiteurs.
« La vérité éclate enfin. » Le 11 novembre 2020, un communiqué de Nicolas Sarkozy est publié sur ses réseaux sociaux. L’ancien président de la République annonce solennellement qu’il va déposer une « requête en démise en examen » dans l’affaire du financement libyen de sa campagne de 2007.
La raison ? Des entretiens de l’affairiste franco-libanais Ziad Takieddine (mort en septembre 2025) publiés et diffusés le jour même à Paris Match et sur BFM-TV, dans lesquels ce dernier, en cavale à Beyrouth, se rétracte de ses accusations sur l’argent supposément versé à M. Sarkozy par le régime de Mouammar Kadhafi. Mais quelques mois plus tard, devant des magistrats français, M. Takieddine reviendra sur ces propos et parlera d’entretien « truqué ».
Cette affaire de la fausse rétractation de M. Takieddine pourrait coûter très cher, sur le plan judiciaire, à l’ex-président de la République, déjà condamné, en septembre, à cinq ans de prison en première instance dans le dossier libyen. Dans son réquisitoire définitif du 16 décembre – une somme de près de 300 pages, dont Le Monde a pris connaissance et dont des extraits ont été déjà publiés par plusieurs médias, dont Le Parisien –, le Parquet national financier (PNF) demande la tenue d’un procès et le renvoi devant le tribunal correctionnel de M. Sarkozy pour « association de malfaiteurs en vue de commettre une escroquerie [au jugement] en bande organisée » et « recel de subornation de témoin », ainsi que celui de dix autres personnes. Parmi elles : l’épouse de l’ex-chef de l’Etat, Carla Bruni, et la « reine » de la presse people, Michèle Marchand, dite « Mimi ». Sollicités, les avocats respectifs de Mme Marchand, de M. Sarkozy et de son épouse n’ont pas voulu commenter.
Pour le PNF, le « revirement » de M. Takieddine ne résulte que « de promesses, offres, présents et manœuvres », « le texte de l’interview étant partiellement dicté par les mis en examen ». Selon le parquet financier, « l’information judiciaire a mis en évidence » que les mis en examen « ont formé un groupement en vue de tromper les juges d’instruction, puis le cas échéant les juges du siège [chargés] du dossier du financement libyen de la campagne de M. Sarkozy ».
« Impliquée dans tous les volets de l’opération », Mimi Marchand, amie de Carla Bruni, a œuvré, selon le PNF, de concert avec l’intermédiaire Noël Dubus dans la préparation de la fausse rétractation de Ziad Takieddine. C’est le tandem qui a également obtenu que l’affairiste franco-libanais signe devant un notaire, le 12 décembre 2020, contre promesse de rémunération (un total de 4 millions d’euros lui a été promis, comme l’a assuré M. Takieddine), une « sommation interpellative » : un document envoyé au PNF, aux juges d’instruction du dossier libyen ainsi qu’à des journalistes, dans lequel il dédouanait M. Sarkozy et accusait faussement les magistrats instructeurs.
« Faire naître un doute »
« Les mis en examen ont cherché à tromper (…) juges d’instruction et juges du siège en tentant d’obtenir une ordonnance de placement sous [le] statut de témoin assisté et in fine une ordonnance de non-lieu ou une relaxe » pour M. Sarkozy, écrit le PNF. Même si la stratégie n’a « pas eu l’effet escompté (…), la volonté était de décrédibiliser le témoignage de M. Takieddine (…) pour faire naître un doute dans l’esprit des magistrats ».
Nicolas Sarkozy lui-même, selon le PNF, « ne s’est pas contenté de suivre et de bénéficier des agissements des différents membres de l’association de malfaiteurs », mais a « personnellement participé au succès de l’opération en convainquant » l’entrepreneur David Layani « d’apporter un financement » à Mimi Marchand, en décembre 2020, sous couvert d’un contrat fictif de 72 000 euros.
Pour le parquet, l’ancien chef de l’Etat « est informé dès la mi-octobre 2020 » du projet d’entretien avec M. Takieddine au Liban. Et, s’il « n’est pas à l’origine du projet de revirement de M. Takieddine » et n’est pas, « dans un premier temps, au courant des contreparties ayant permis les déclarations mensongères » de l’affairiste, son « implication va en revanche s’accroître lorsqu’il constate que [Mimi Marchand] est parvenue à faire revenir M. Takieddine sur ses propos ». « Il ne peut prétendre ignorer les conditions de la sommation interpellative, à la fois en raison des informations remontées à son épouse », grâce à une ligne téléphonique « secrète » ouverte par la chanteuse – « courroie de transmission entre Mimi Marchand et son mari » – « et surtout en raison de sa propre intervention pour que David Layani finance une partie de l’opération ».
Selon le PNF, M. Sarkozy « a en outre concrétisé les deux objectifs principaux de l’association de malfaiteurs : décrédibiliser M. Takieddine et tenter d’obtenir une ordonnance de placement sous [le statut de] témoin assisté ». Des interrogatoires et éléments du dossier accablent l’ex-chef de l’Etat. Entendu par les juges en novembre 2021 au Liban, M. Takieddine « indiquait que M. Dubus et Mme Marchand “m’ont demandé de dire que Sarkozy n’avait pas reçu d’argent de la Libye, et c’est Mme Marchand qui m’a demandé, avant l’interview, de le dire” ». « Je me suis fait manipuler par Dubus et Marchand pour le compte de [Thierry] Herzog [l’avocat de l’ex-chef de l’Etat, non poursuivi dans ce dossier] et Sarkozy », a-t-il insisté.
« Pérégrinations de pieds nickelés »
La « campagne de communication orchestrée » par M. Sarkozy, « informé en amont de la parution de l’entretien », après la fausse rétractation de M. Takieddine, occupe une place centrale dans le réquisitoire. « Potentiellement, c’est toute l’affaire [libyenne] qui s’écroule », se réjouissait, auprès de journalistes, en novembre 2020, l’attachée de presse de M. Sarkozy, Véronique Waché, également très active dans cette séquence médiatique « particulièrement intense » – et qui n’a pas souhaité répondre au Monde. « Bien insister sur le fait que la procédure reposait quasi exclusivement sur les accusations de ce dingue que tous les médias reprenaient pour argent comptant », conseillait-elle auprès de l’un de ses contacts.
Au fil de ses auditions, les versions de M. Sarkozy ont « fortement évolué », note le PNF. Il a tenté de « se mettre à distance des mis en examen », se moquant des « pérégrinations de pieds nickelés à Beyrouth », affirmant n’avoir pas appuyé leurs manœuvres et avoir ignoré les « contreparties » à la fausse rétractation de M. Takieddine. « Toute cette petite bande n’a que pour seule préoccupation de se faire mousser les uns par rapport aux autres en tenant des propos ayant un rapport très lointain avec la réalité », a ironisé en audition celui que certains protagonistes du dossier surnommaient le « zébulon ».
Malgré les dénégations de Mme Marchand sur ce point, M. Sarkozy a admis que cette dernière lui a parlé, mi-octobre 2020, d’un projet en lien avec M. Takieddine, « mais indiquait qu’il ne croyait pas qu’une spécialiste de la presse people puisse obtenir quoi que ce soit et était même plutôt agacé par la démarche ». « M. Sarkozy se trompe et c’est même des conneries », s’est offusquée lors d’une audition Mme Marchand, en 2023.
« L’erreur que fait Mimi, c’est qu’en voulant bien faire, et voulant se faire valoir aux yeux d’untel ou untel, elle a prévenu Sarkozy, a lâché au téléphone, en 2021, le journaliste Hervé Gattegno (témoin assisté dans ce dossier), directeur de Paris Match, à son propriétaire Arnaud Lagardère, lui-même ami de M. Sarkozy. Elle a prévenu Sarko (…) qu’elle allait faire ça. Voilà. Elle l’a prévenu et ça, je le sais. » Et d’ajouter : « Et puis tu connais Sarko, il veut se mêler de tout, tu vois, il veut prendre la main… »
Opération « saugrenue »
Pour le PNF, « M. Sarkozy a bénéficié en toute connaissance de cause du produit de la subornation » de témoin. « Sur le plan judiciaire, M. Sarkozy a pu largement mettre à profit les déclarations mensongères de M. Takieddine dans sa défense », développe le parquet, qui relève, certes, que les manœuvres n’auront « pas l’effet escompté puisque M. Sarkozy sera mis en examen, renvoyé et condamné » en première instance dans l’affaire libyenne. « Néanmoins le parquet et les juges du siège ne se fonderont pas sur les déclarations de M. Takieddine, de sorte que l’entreprise de décrédibilisation de ses propos et de sa qualité de témoin a bien profité à M. Sarkozy », estime-t-il.
Le réquisitoire du PNF n’épargne guère Carla Bruni, qui a ironisé lors de l’enquête sur cette opération « rocambolesque et saugrenue ». Même si « l’enquête n’a pas suffisamment établi qu’elle ait bénéficié, à titre personnel, de la subornation » de M. Takieddine, Mme Bruni « a été tenue informée du déroulement des opérations » et « ne peut ignorer l’existence de la sommation interpellative, puisqu’elle a joué un rôle direct dans son financement », considère le parquet. « Je ne suis pas folle, je n’aurais pas participé à une telle affaire », a nié l’artiste en audition, accusant son amie Mimi Marchand de les avoir « utilisés », elle et son mari, « auprès de ses compères ».
Alors que plusieurs familles de victimes françaises de l’attentat du DC-10 d’UTA en 1989, attribué au régime libyen, se sont constituées parties civiles dans ce volet de la fausse rétractation de M. Takieddine, les juges d’instruction – qui ne sont pas tenus de suivre les réquisitions du parquet – doivent désormais rendre leur ordonnance de fin d’information. « On va finir ce dossier Libye la tête haute déjà… beaucoup de choses sont en train de se passer, et le PNF va subir de gros revers », écrivait Mimi Marchand à un ami, le 12 décembre 2020. Cinq ans plus tard, la menace d’un procès plane sur la reine de la presse people et le couple Sarkozy-Bruni.
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