Attaque contre l’Iran : la position paradoxale des Européens en soutien d’Israël
La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont soutenu, vendredi, le « droit » de l’Etat hébreu « à se défendre » face à la menace nucléaire de la République islamique, en dépit de la dégradation de leurs relations avec Benyamin Nétanyahou au fil de la guerre à Gaza et de leur volonté de privilégier l’option diplomatique.
Appeler à la retenue et à la diplomatie, sans condamner Israël ni désavouer ses frappes : la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont réagi, vendredi 13 juin, de manière quelque peu inattendue, voire acrobatique, à la vaste offensive lancée par l’Etat hébreu contre l’Iran.
Tour à tour, les trois Etats européens – signataires, en 2015, avec l’Iran, l’Union européenne, les Etats-Unis, la Russie et la Chine, de l’accord destiné à limiter l’expansion du programme nucléaire iranien, dénoncé par Donald Trump trois ans plus tard – ont soutenu le « droit à se défendre » d’Israël face à la menace existentielle que constitue, selon eux, la détention par le régime islamique de Téhéran de l’arme nucléaire. Jusqu’ici, Paris, Londres et Berlin avaient plutôt tenté, en vain, de dissuader Benyamin Nétanyahou de mettre ses menaces à exécution, afin de privilégier l’option diplomatique.
Sans rancune, vendredi, les dirigeants français, britannique et allemand ont chacun appelé le premier ministre israélien pour lui manifester leur solidarité, en dépit de la très nette dégradation, au moins pour les deux premiers, de leurs relations avec M. Nétanyahou au fil de la guerre dans la bande de Gaza. « Israël a le droit de se défendre et l’Iran ne devrait pas développer d’armes nucléaires », a estimé, très vite, le chancelier allemand, Friedrich Merz. Le Britannique Keir Starmer a mis en avant, dans l’après-midi, le « droit d’Israël à l’autodéfense » et les « inquiétudes de longue date » de son pays à l’égard du programme nucléaire iranien.
En début de soirée, Emmanuel Macron a même assuré que la France était à nouveau prête, comme après les précédentes ripostes iraniennes, à se joindre aux « opérations de protection et de défense » de l’Etat hébreu en cas de représailles – sans que l’on sache si Paris a joint les actes à la parole quand l’Iran, dans la soirée puis dans la nuit, a lancé plusieurs salves de missiles sur Israël. « A l’inverse, je n’envisage aucunement de participer à quelque opération offensive que ce soit. Ce n’est pas notre rôle », a ajouté le chef de l’Etat. « Le soutien n’est pas un soutien inconditionnel et sans limite », a-t-il fait valoir.
« Des effets qui vont dans le sens recherché »
Il n’empêche, le président français a semblé, tout en s’en démarquant, donner une sorte de blanc-seing aux autorités israéliennes. « Quand je regarde les résultats de ces frappes, elles ont permis de réduire des capacités d’enrichissement. Elles ont permis de réduire des capacités balistiques », a observé Emmanuel Macron. La France n’a « pas participé » à l’offensive et ne « partage pas cette approche et la nécessité d’une opération militaire », a-t-il rappelé, pour constater cependant que ses frappes avaient eu « des effets qui vont dans le sens recherché » afin d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire ou, du moins, entraver ces efforts en ce sens. « Nous ne pouvons pas vivre dans un monde où l’Iran possède l’arme nucléaire », a-t-il martelé, en mentionnant, notamment, le soutien de Téhéran à Moscou dans la guerre en Ukraine.
La position des capitales européennes, Paris en tête, est paradoxale, dans la mesure où elles sont les premières à avoir cherché à relancer les négociations avec Téhéran. En particulier dans le contexte de la réélection de Donald Trump, car elles voulaient éviter qu’Israël ne passe à l’offensive contre le programme nucléaire iranien, avec le soutien ou pas des Etats-Unis. Mais, écartés des négociations entre Washington et Téhéran, les officiels européens se méfiaient, ces derniers jours, d’un accord précipité et de façade, négocié à la va-vite et dans leur dos par l’envoyé spécial de la Maison Blanche, Steve Witkoff. Pour eux, l’ancien agent immobilier, proche du président américain, ne fait pas le poids face aux négociateurs iraniens, plongés dans le dossier depuis des années.
Au contraire, les officiels européens ont continué à se concerter étroitement avec les autorités israéliennes, ces dernières semaines, au sujet de l’Iran. Ils reconnaissent, en privé, que la convergence est forte avec l’Etat hébreu pour juger que le programme nucléaire iranien est très avancé et qu’il est grand temps de stopper ces progrès. Au-delà des mises en garde de rigueur contre une intervention militaire israélienne, certaines voix ne cachaient plus, notamment à Paris, que les frappes pourraient être envisageables si Israël apportait la preuve de leur efficacité pour résoudre la question du nucléaire iranien pour dix ans ou davantage, sans susciter une nouvelle conflagration régionale.
Inattendu ralliement
Un positionnement qui tranche avec la prudence avec laquelle les diplomates européens, en particulier français, portaient le dossier iranien ces derniers mois. « La position française est pour le moins questionnable, car l’opération israélienne a notamment consisté en une frappe sur une installation nucléaire d’un Etat souverain. Les risques ne sont pas nuls », estime Héloïse Fayet, spécialiste des questions de dissuasion, chercheuse à l’Institut français des relations internationales.
L’une des explications à cet inattendu ralliement à l’opération israélienne « Rising Lion » est, de surcroît, liée aux limites de la partition diplomatique que Paris essayait de mener sur le dossier iranien, en lien avec l’Allemagne et le Royaume-Uni. En octobre doit intervenir l’expiration définitive de l’accord de Vienne, signé en 2015. Or celui-ci prévoit, en théorie, un retour des sanctions contre l’Iran, si aucun progrès de la part de Téhéran n’est constaté, par le biais du Conseil de sécurité des Nations unies, que les diplomates européens envisagent d’activer d’ici à la fin août.
« Mais les Iraniens n’ont jamais vraiment eu peur de ce “snapback”, le nom donné à ce retour possible des sanctions. Ce n’était pas une bonne solution », considère Mme Fayet. « Il est très probable que Téhéran mette à exécution sa menace de se retirer du TNP [traité de non-prolifération] en réponse », analysait, en mars, Kelsey Davenport, directrice de la politique de non-prolifération pour le compte de l’Arms Control Association, un think tank américain influent sur ces questions.
De l’avis de nombreux experts, les négociations esquissées par Paris, Londres et Berlin – sans Washington, qui s’est retiré de l’accord en 2018 – n’auraient pas été en mesure d’obtenir un démantèlement du programme iranien. Elles auraient, au mieux, avec le retour d’inspections régulières sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie atomique, permis de donner quelques mois aux Occidentaux pour intervenir en cas de franchissement des seuils d’enrichissement par Téhéran.
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