> En 2004, alors que la question climatique progresse dans la sphère politique et que le viseur se rapproche dangereusement des producteurs d’énergies fossiles, la British Petroleum missionne en effet l’entreprise de relations publiques Ogilvy & Mather pour améliorer son image. Ensemble, ils choisissent de tout miser sur la notion d’empreinte carbone individuelle, afin de faire porter la focale (et la responsabilité) sur les individus consommateurs (vive les « consommac’teurs ») et invisibiliser subséquemment la question brûlante du partage de l’effort climatique – entre les entreprises et les individus, entre les riches et les pauvres. Ainsi la compagnie pétrolière propose-t-elle au public de calculer son empreinte carbone pour tenter de l’améliorer. Comme l’écrira un chroniqueur du New York Times quinze ans plus tard : « S’inquiéter de votre empreinte carbone est exactement ce que les grandes sociétés pétrolières veulent que vous fassiez. »
Je ne vais pas tout recopier, mais vous voyez l'idée : c'est celle que je rabâche depuis des années. Pendant qu'on (le gouvernement, mais aussi les grandes entreprises, à l'origine de l'idée apparemment) vous répète de faire pipi sous la douche et de vider votre boîte mail (sous-entendant que vous êtes une ordure si vous ne le faites pas)
> Comme le montre Jean-Baptiste Malet dans son enquête publiée par le Monde diplomatique sur le « système Pierre Rabhi », ce positionnement individualiste, typique de l’écologie bourgeoise, s’avère parfaitement soluble dans le régime d’intérêts de la classe dominante.
Non seulement, comme l'article l'explique, les "écogestes" c'est une "écologie du luxe" (quand t'as du mal à joindre les deux bouts, t'as autre à penser en général), mais en plus, ils ne servent à rien (ou alors à pas grand chose) quand ils n'aggravent pas le problème ; pour plusieurs raisons :
- les gens (bon, allez, on va le dire : les bobos) qui arrivent "à vivre volontairement dans une forme de neutralité carbone et de vertu environnementale pure et parfaite" entretiennent l'image d'une écologie difficile, sacrificielle... ce qui vient nourrir le discours sur l'écologie punitive
- la façon dont notre cerveau fonctionne : "lorsque l’on s’engage sur le terrain environnemental par le prisme des petits gestes, on finit tôt ou tard par reléguer l’approche systémique hors de nos préoccupations. Pour le dire autrement : la charge mentale associée aux écogestes finit par envahir complètement la représentation du problème et les conduites associées, les menant inexorablement vers la dépolitisation. Un résultat qui constitue de fait une réfutation totale de la position gradualiste, qui vend les écogestes comme un premier pas vers l’engagement politique."
- Pour le dire vite : si tu fais des écogestes, tu vas pas remettre en cause le système : parce que tu croiras bien faire, et parce que tu auras suffisamment bonne conscience : "l’action individuelle, de portée immédiate, permet de réduire l’incertitude et donc d’emporter l’adhésion, même si elle demeure sans adéquation réelle avec la nature du problème : on a l’impression rassurante d’être plus efficaces en baissant le chauffage qu’en épousant les formats, plus indirects, de l’action politique."
- in fine, et ainsi la boucle est bouclée, "l’écologie des écogestes ne fait que renforcer la conquête des présupposés néolibéraux sur la société" : l'individualisme néolibéral, encore et toujours.
Autrement appelé diviser pour régner.
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