> Ce Ă quoi nous assistons dĂ©passe la personne de Donald Trump. Certains de ses dĂ©tracteurs le qualifient de fasciste, dâautres estiment quâil suit un manuel «illibĂ©ral» Ă la Viktor OrbĂĄn. Dâautres encore, quâil cherche Ă sâenrichir personnellement et Ă promouvoir sa propre marque «Trump», ou bien quâil est lâoutil kleptocratique de milliardaires de la Tech comme Elon Musk. Mais aucune de ces descriptions ne rend justice Ă lâampleur et Ă la cohĂ©rence de la situation. Se concentrer uniquement sur ses frasques fait perdre de vue la trajectoire historique, pourtant essentielle pour envisager une quelconque rĂ©ponse. Les actions du prĂ©sident Trump sâinscrivent dans lâhistoire dâune contre-rĂ©volution moderne beaucoup plus vaste.
> La contre-rĂ©volution moderne consiste Ă dĂ©molir les grandes institutions, captĂ©es par les «bureaucrates de gauche», pour y dĂ©loger lâidĂ©ologie libĂ©rale - au sens politique du terme - et rendre sa souverainetĂ© Ă une soi-disant majoritĂ© silencieuse. Pour reprendre les mots du commandant français et thĂ©oricien de la contre-insurrection David Galula : «Cela consiste Ă sâappuyer sur la minoritĂ© favorable pour rallier la majoritĂ© neutre et neutraliser la minoritĂ© hostile.» La contre-rĂ©volution sâappuie sur la doctrine de la guerre contre-insurrectionnelle qui a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e par des commandants français pendant les guerres en Indochine et en AlgĂ©rie. Les Etats-Unis lâappliquent en Irak et en Afghanistan puis sur leur propre territoire sous la prĂ©sidence de George W. Bush, avec la torture et la dĂ©tention illimitĂ©e Ă GuantĂĄnamo, et celle de Barack Obama, qui a poursuivi les assassinats par drones et lâexĂ©cution de citoyens amĂ©ricains Ă lâĂ©tranger.
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> Trump rĂ©alise «un coup dâEtat en miniature chaque jour», comme Karl Marx lâĂ©crivait Ă propos de NapolĂ©on III dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte : il «jette toute lâĂ©conomie bourgeoise dans la confusion, viole tout ce qui semblait inviolable pour la RĂ©volution». Son administration dĂ©fend vigoureusement la lĂ©galitĂ© de ses actions devant les tribunaux, allant jusquâĂ renvoyer les procureurs quâil juge engagĂ©s contre la dĂ©fense de ses intĂ©rĂȘts. Et, Ă une ou deux exceptions prĂšs, il sâest conformĂ© aux ordonnances des tribunaux. Nous nâen sommes donc pas encore au stade dâun coup dâEtat. Toujours est-il que Louis-NapolĂ©on, Ă©lu prĂ©sident de la IIe RĂ©publique en 1848, nâa organisĂ© son coup dâEtat quâĂ la fin de son mandat. Il est indĂ©niable que Trump a un penchant pour le pouvoir impĂ©rial, comme en tĂ©moigne la dĂ©coration de son palais de Mar-a-Lago avec tous les attributs du symbolisme romain et napolĂ©onien.
> Quâen est-il de la responsabilitĂ© des dĂ©mocrates ?
> Des recherches Ă©conomiques comme celles du Pew Research Center ont montrĂ© que lâĂ©cart de richesse entre les familles les plus riches et les plus pauvres des Etats-Unis a plus que doublĂ© ces trente derniĂšres annĂ©es. Les AmĂ©ricains de la classe moyenne sont dans une situation plus difficile quâavant la crise de 2008, et ce sont uniquement les tranches les plus riches qui ont vu leur niveau de vie sâamĂ©liorer. Il est important de rappeler que sur les seize derniĂšres annĂ©es, douze se sont dĂ©roulĂ©es sous des administrations dĂ©mocrates : huit sous Obama et quatre sous Biden. Ce phĂ©nomĂšne Ă©conomique a Ă©rodĂ© le systĂšme bipartite. Il y avait autrefois un va-et-vient entre les dĂ©mocrates et les rĂ©publicains, une forme de cohabitation pacifique, qui profitait aux anciennes Ă©lites amĂ©ricaines. Trump veut y mettre fin.
> Les démocrates américains sont pour le moment aux abonnés absents.
> Au-delĂ du Parti dĂ©mocrate, les forces dĂ©mocrates, ses Ă©lecteurs, les citoyens, vont devoir imaginer de nouvelles alliances pour surmonter cette offensive. Et ce nâest pas gagnĂ©. Les cibles actuelles de Trump ne sont pas des alliĂ©s naturels : les avocats bien payĂ©s de lâĂ©lite libĂ©rale ne sont pas nĂ©cessairement enclins Ă voir les fonctionnaires fĂ©dĂ©raux ou les militants de la cause climatique, antiraciste ou anticapitaliste comme des semblables, certains Ă©tant davantage investis dans le statu quo, dâautres dans un changement radical par rapport au nĂ©olibĂ©ralisme. Pourtant, il ne va pas y avoir dâalternative Ă cette mobilisation populaire quâon commence Ă ressentir aux manifestations qui se tiennent chaque samedi.
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