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Quand les startups « anti-gaspi » mangent à la place des plus précaires

Je dois avouer que je dédie le peu de compassion et d’empathie que j’ai aux animaux. La seule association pour laquelle j’ai donné de mon temps et un peu de mon argent est la SPA. Mais quand j'ai reçu un mail de l’asbl L’Ilot m’informant d’une nouvelle crise dans le secteur du sans-abrisme et de l’aide alimentaire, ça m’a fait tiquer. Dans ce nouveau combat, il est question de startups lucratives – comme Happy Hours Market ou Too Good to Go – qui depuis quelque temps mangent littéralement les vivres dont pourraient bénéficier les associations.

En gros, l’activité de ces startups couplée à la franchisation croissante des grandes surfaces – lesquelles vont préférer passer un deal avec ces nouvelles applications – plonge les associations dans une situation de concurrence dont elles vont d’office sortir perdantes. 

Pour ce nouveau combat, L’Ilot s’est allié à LOCO, un réseau d’organisations qui collecte et redistribue les invendus alimentaires aux personnes dans le besoin. J’ai échangé à propos de tout ça avec Benjamin Peltier, chargé de plaidoyer, dans leurs locaux à Bruxelles. Après une petite heure de papote, on a conclu en disant que, pour le moment, le secteur de l’aide alimentaire c’était le far west. « Sans cadre légal, c'est le plus fort qui impose sa loi : dans notre secteur, les plus petits se font écraser et doivent se plier aux règles qu’ils subissent », résume Benjamin. 

VICE : Comment ça se passe pour le moment ici ?
Benjamin Peltier :
Dans ce secteur, y’a des assos avec une grande diversité. La majorité s'occupe des colis d'aide alimentaire pour des personnes précaires – le grand acteur historique de ce secteur, c'est la Croix-Rouge. Y’a aussi beaucoup de micro-acteurs, à l'échelle d'un quartier, d'une rue, avec un peu de solidarité qui s'organise. Ça peut être à l’initiative d'une paroisse, d'un frigo solidaire… Une bonne partie des assos qui font de la distribution alimentaire sont 100% bénévoles. Donc c'est un secteur peu professionnalisé et qui a du mal à se fédérer pour se défendre face à ce qu'il se passe. C'est pour ça qu'on a créé la plateforme LOCO avec d'autres acteurs qui, non seulement font de la récolte d'invendus pour eux-mêmes, mais aussi pour d'autres assos plus petites qui n'ont pas les moyens de récolter… Tout cet écosystème est tablé sur les invendus de grandes surfaces mais aussi des marchés hebdomadaires ou des centres de distribution. Y’a des accords qui ont été faits, notamment avec les chaînes de supermarchés pour nous permettre de récolter de l’alimentaire. 

Et ces accords n’ont pas suivi ?
Quand les acteurs privés sont arrivés – To Good To Go l'un des premiers –, ils se sont positionnés comme acteurs complémentaires à nous. Ils étaient plutôt sur les commerces de quartier qui avaient des invendus : la petite épicerie, la boulangerie, etc. À ce moment-là, leur politique de non-gaspillage était respectée. Nous, on n’était pas sur ce créneau donc on se marchait pas trop dessus. Maintenant, To Good To Go, tout comme Happy Hours Market, s’est aussi lancé sur les invendus de grandes surfaces. Les deux explosent, aussi en termes d'outils, de camions, de points de distribution. Et ils visent vraiment les grandes surfaces sur lesquelles on était. 

Dans un premier temps, L'Ilot a pu être protégé par des accords qu'on avait avec les magasins et, vaille que vaille, ça tenait. Delhaize, par exemple, avait un programme zero waste où ils avaient passé un accord avec toutes sortes d'assos pour la récupération d'invendus alimentaires, donc notre secteur pouvait toujours bénéficier de denrées [malgré la nouvelle concurrence]. Mais ces derniers mois, y’a eu un coup d'accélérateur dans la franchisation des magasins Delhaize – en plus de celles des magasins Carrefour et Intermarché qui avaient précédé. À partir de là, chaque gestionnaire peut commencer à négocier ses trucs et l'offre que propose Happy Hours Market est forcément plus intéressante pour les magasins parce que ça valorise financièrement leurs invendus alimentaires. Face à ces gérant·es de franchises qui sont soumis·es à des contraintes financières extrêmement difficiles, on ne trouve plus notre place et c'est logique de les voir aller vers ce type d'acteurs. 

Vous avez perdu beaucoup d'accords ?
Nous on dépend surtout de trois grandes surfaces Colruyt et, pour le moment, ces accords tiennent. Mais au sein de LOCO, pour certains acteurs c'est la catastrophe. Par exemple, le Centre de Distribution Alimentaire Gratuite (CDAG) qui est financé par le CPAS d’Uccle avait des accords avec neuf magasins Delhaize, et ils en ont déjà perdu six – les trois derniers risquent de tomber d'un jour à l'autre. En plus, le CDAG c'est un gros acteur ; pour les plus petits c'est encore plus un problème. Dans tous les cas, le nombre de personnes précarisées qui viennent chercher nos colis alimentaires est toujours aussi important, voire de plus en plus important, mais on n’a plus autant à leur donner.

Ça peut tomber d’un jour à l’autre pour vous aussi ?
Les trois magasins Colruyt dont dépendent L’Ilot ne sont pas encore entrés dans la logique Happy Hours Market. On est pour le moment protégé. Mais en Flandre, la chaîne Colruyt commence déjà à passer des accords donc ça nous pend au nez… Et quand on sait que 90 000 personnes à Bruxelles vivent de l'aide alimentaire [selon la Fédération des services sociaux, NDLR], ça nous fait peur. 

Quel son de cloche du côté des startups ? Certaines ont dit avoir mis en place un système de dons pour vous soutenir ou encourager les magasins à poursuivre des démarches d’aides aux assos. 
L'un des premiers contacts qu'on a eu avec To Good To Go c'était en 2018 et, au début, on n’était pas du tout dans l'opposition. On a essayé de mettre des balises communes, comme pour dire qu’il y avait de la place pour tout le monde [des accords à l'amiable, sans trace écrite, NDLR]. Le fait de ne pas venir démarcher des supermarchés avec qui on a déjà des accords est un exemple. L'un des arguments de Happy Hours Market c'est de dire qu'il y a du gaspillage alimentaire malgré notre action, donc pour eux on n’est pas concurrents. Mais en réalité, ils sont rapidement devenus des vrais prédateurs sur les mêmes biens que nous – des denrées dont on peut bénéficier, loin de la date de péremption. Maintenant, Happy Hours Market n'est plus dans le projet d'éviter du gaspillage mais dans celui de trouver les biens les plus exploitables et rentables. 

Ils communiquent aussi l’argument de la redistribution aux assos, le fait qu’ils jouent un rôle de plateforme logistique. Ils disent aller chercher dans les magasins, revendre une partie et redistribuer le reste aux assos qui n'ont pas les moyens de faire cette collecte. Mais dans les faits, plusieurs organisations au sein de LOCO ont été partenaires avec Happy Hours Market et bénéficiaires des dons mais se sont ensuite retirées de ce partenariat parce que ce qu'elles recevaient était de trop mauvaise qualité. Y’a pas de réelle volonté d'aider les assos, c'est juste une manière de se décharger des déchets. La gestion des poubelles dans le secteur est extrêmement coûteuse. À cause de ça, le coût de déchets avait doublé dans certaines assos, presque triplé, alors que leur volume de colis distribués avait à peine augmenté – vu qu'elles recevaient des produits périmés. 

Est-ce que le succès de ces startups – potentiellement auprès de personnes précaires – permettent d’amortir la demande chez vous sur le long terme ?
En théorie, on pourrait se dire ça. Mais y’a quelques éléments qui laissent penser que leur public n'est pas un public précaire spécifiquement. Quand on regarde la localisation des boutiques Happy Hours Market, elles sont principalement situées dans les communes plus riches : Etterbeek ou Ixelles, notamment. C'est pas Molenbeek et Saint-Josse qui captent leurs boutiques. On voit que ça correspond à une catégorie sociale qui n’est pas précaire. Et puis, y’a l'élément de la fracture numérique : les plus pauvres ont un moins bon accès à la compréhension du numérique. Or, leur modèle repose exclusivement sur des achats via une application web. Et ils communiquent principalement sur le côté écologique de leur activité. À partir de là, on sait exactement quel public ils visent : plutôt des classes moyennes sensibilisées aux enjeux environnementaux. Le seul public qui peut être dans des difficultés d'accès à de la nourriture tout en ayant l'éducation numérique, c'est les étudiant·es. Effectivement, certain·es sont dans la dèche. 

Face à une précarité qui a beaucoup augmenté à Bruxelles, comment on gère le contact avec les gens ?
La difficulté des associations qui font de la distribution dans ce contexte c'est de répondre à une demande qui vient avec beaucoup de frustrations, de colère et de violence parfois. La majorité des bénévoles sont des personnes plus âgées qui sont confrontées à des gens qui deviennent parfois agressifs. Y’a des burn-out dus à ces tensions. Les impacts en cascade sur le terrain se voient aussi.

Tu parles d’une violence qui répond directement aux violences – ou à la non-action – institutionnelles ?
Totalement, et ça touche plein de secteurs différents. Le chômage, par exemple : c'est tellement difficile de l'avoir, avoir juste un contact téléphonique ou quelqu'un en face de soi à un guichet pour répondre à son dossier que les gens deviennent fous. Ils n'ont pas les moyens de vivre sur leurs réserves, parce qu'ils n’en ont pas. Les employé·es de la CSC des guichets chômage disaient qu'ils ferment parfois parce qu'ils savent plus capter toute la violence des gens qui font la file et pètent des câbles. Ce sont ces gens qui font la file pour avoir des colis alimentaires mais qui repartent les mains vides. Le sentiment des travailleur·ses sociaux c’est qu’il y a une réelle violence institutionnelle à l'égard des personnes précaires depuis quelques années. 

En dehors de nos frontières, vous savez comment ça se passe ? 
La France est une des pionnières en Europe de l'encadrement légal dans ce secteur. Elle a un cadre légal qui oblige les magasins avec une surface de 400 m2 à donner leurs invendus aux assos [conformément à la Loi Garot, adoptée en 2016, NDLR]. Et grâce à cette loi, les acteurs s'organisent pour respecter ce cadre légal. Toujours en France, y’a Phenix qui, en théorie, ressemble à Happy Hours Market mais en pratique ils s'associent vraiment avec des initiatives et partagent leurs récoltes en amont de leurs ventes. 

Et de notre côté, imposer un cadre légal serait illusoire ?
On a déjà amorcé des conversations avec le monde politique pour leur expliquer ce problème de concurrence. Y'aura-t-il moyen de sanctuariser quelque part les invendus alimentaires pour dire que les personnes qui les donnent aux plus nécessiteux·ses sont prioritaires ? Le cabinet Maron, pour la Région bruxelloise, vient de faire passer une législation pour obliger les grandes surfaces de plus de 1 000 m2 à donner leurs invendus à une initiative. C'est bien que ça avance, mais on dédie quand même de plus en plus d'argent à construire une alternative politique par nous-mêmes, faire passer des messages dans les médias, à pousser pour un changement de société plus global. La situation sociale à Bruxelles ne fait que s'aggraver.

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Se faire un nom dans le rap sans plan marketing (et plus tôt que prévu)

En revenant de notre petit moment avec 39Bermuda au Café La Pompe à Bruxelles, on avait une super idée d’intro. Puis, chemin faisant et éthanol montant, on a perdu le fil. Le lendemain, notre « On vous envoie ça fin de semaine les gars [pouce levé, clin d’oeil] » s’est mué en un aberrant « Merde, on écrit quoi ? ».

Puis, une chose nous vient à l’esprit : plus on cale sur cette intro, plus on accumule les mails non lus, les dates butoirs qui approchent… Et quand on repense à la veille, on envie un peu les mecs du 39, pour qui les choses paraissent plus simples, en tous cas plus fluides. 39Felix, Skut et leur booker Jonas nous avaient expliqué qu’ils travaillent sans plan établi, sans forcer. Et le truc semble bien marcher, naturellement.

Depuis 2022, le groupe écume les bars bruxellois pour se faire la main, du Réservoir à la Maison du peuple. Et puis, le Botanique. Et puis, Dour. Le 13 juillet dernier, ils ont inauguré la scène du Labo – qui verra passer Prince Waly, Eloi, Zuukou Mayzie ou J9ueve les jours suivants. Depuis, ça s’est un peu calmé niveau dates, mais le duo est à l’affiche du prochain FiftyLab, avec qui on est partenaires. Ils joueront à l’AB Box le 17 novembre, est sont d’ailleurs les premiers mentionnés sur le line-up, grâce à l’heureuse loi de l’alphabet – ce qui nous permet de rappeler que, loin de tout calcul, ils avancent sans stratégie marketing, chose peu commune à une ère où les algorithmes et la surprésence requise sur les réseaux ont un réel effet sur la façon dont les artistes gèrent leur carrière.

En fait, quand on voit que des artistes misent tout sur les différents outils numériques pour « percer » et adaptent leur « création de contenu » en fonction de ça, la seule envie qui nous vient c'est de ne pas écouter leur musique. Alors, en ce qui nous concerne, on décide d’embrasser le style de vie fait de coloc de potes, transports en commun et de tise tard la nuit que 39Bermuda véhicule dans sa musique et son image.

VICE : 39, c’est pour le tram 39 ?  Skut  : Ouais, c'est symbolique. C'est la ligne de tram qui va de Wezembeek à Montgomery. C'est le trajet qu'on a fait toute notre jeunesse.

Ban Eik, le terminus, c'est le point à l'extrême-est de la carte des trams de la STIB, c’est pas rien.  39Felix : C'est loin. Moi, j’habitais à Ban Eik justement.

Skut : Y'a Bruxelles… et y’a Wezembeek-Oppem. Mais on avait nos potes là-bas, donc quand on voulait pas trop bouger on se voyait à Wezembeek. Ceux qui faisaient du foot c'était à Wezem, ceux qui faisaient du basket c'était à Wezem, on allait à l'école dans les alentours…

Y'a un gros, gros rappeur belge qui prenait aussi le 39 à l’époque… Skut : Y'en a quelques-uns qui y sont passés. Veence Hanao, par exemple. En tous cas, il jouait au basket à Wezembeek. La Smala avait tourné le clip de Dans le sofa à Wezem.

Jonas : Repeat de Caballero et JeanJass a été tourné à la cité de l’Amitié aussi [c’est situé à Woluwé-Saint-Pierre, mais l’arrêt de la cité se trouve sur la ligne 39 de la STIB, NDLR].

Vous y êtes encore parfois ? Skut : J'habite à Stockel et je travaille à Wezem, donc j'y suis encore souvent.

39Felix : On a eu une coloc ensemble du côté de Montgomery, mais après je suis allé habiter en ville.

La coloc c'est un peu l’une des façons clés de former un groupe.  39Felix : On avait notre studio dans la cave. C’est là qu’on a commencé à faire nos trucs.

Le fait de ne plus vivre ensemble n’a pas eu d’impact au niveau de votre alchimie musicale ?  39Felix : C’est même mieux maintenant.

Skut : Vivre ensemble, avoir chacun son boulot et se forcer à aller dans le studio le soir, ça aide pas. Maintenant, quand on se voit pour le son, on se focus et on sait qu’on va faire de la musique sérieusement.

39Felix : Vers la fin de la coloc, on avait un peu du mal à se mettre dans la cave et faire de la musique mais quand on s'est « séparés » c'est devenu super cool de se revoir pour faire ça. En coloc, quand on venait de se faire à manger, on se disait qu'il fallait qu’on descende pour travailler mais parfois les autres colocs voulaient faire autre chose, etc. Bref, c'était pas toujours facile.

C'est après la fin de la coloc que vous avez commencé à vous projeter plus sérieusement ?  39Felix : Je sais pas si c'est vraiment à ce moment-là mais c’est vrai que quand on était tous les jours ensemble, si on essayait de faire du son dix minutes mais qu’on le sentait pas, on retournait à nos affaires quotidiennes – on était déjà chez nous de toute façon. Alors que maintenant, Skut fait 20 minutes de transport pour venir chez moi donc il va pas se barrer si ça prend pas tout de suite. Ça force à être plus sérieux. D’ailleurs, Jonas nous disait : « Je veux bien vous trouver des concerts mais il faudrait être un peu plus sérieux. »

Skut : Maintenant on travaille en studio aussi. On paie pour ça, donc on va pas y aller pour rien. C'est plus pro, on est plus concentrés.

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De gauche à droite : 39Felix, Skut et Jonas. Photo : Joris Ngowembona

Vous vous êtes aussi professionnalisés au niveau du statut ?  39Felix : Non, on n’est signés chez personne. Jonas s'occupe du booking et on fait tout nous-même pour le reste. On a trouvé un équilibre « sérieux », même si ça peut arriver que parfois on lâche un peu le truc. Après, on est rythmés par des lives, des propositions, des sorties, etc.

Skut : On gère bien l'inconnu pour le moment.

39Felix : On a eu de la chance aussi. On a fait énormément de petits concerts grâce à Jonas qui nous a bookés dans pas mal de petits bars à Bruxelles. Et puis, on a eu une proposition du Botanique et puis de Dour. Petit à petit, les choses plus sérieuses sont arrivées. Je pense que c'est à force de montrer notre gueule tous les week-ends dans des petits bars. On voyait les mêmes têtes qui venaient à nos shows avant de continuer leur soirée ailleurs. En vrai, c'est les shows qui nous donnent le rythme. On est vraiment basés sur les lives. À un moment, on en faisait tellement qu'on trouvait pas trop le temps pour faire d’autres trucs sur le côté.

Skut : On a d'abord mis notre prio sur le test de nos musiques en live. Ça prenait bien.

Jonas : Ils ont fait 17 dates en un an.

D’ailleurs, c'est quoi ton expérience à ce niveau ?  Jonas : J'avais vite fait organisé des events avec Give Me 5, donc j'avais des petites notions. Avec 39Bermuda, je leur ai trouvé un concert et ça s’est un peu enchaîné. J'apprends aussi sur le tas. Je connaissais Félix et Skut depuis quelques années mais notre lien était pas hyper solide. Quand ils m'ont proposé de bosser ensemble, je me suis déter’, j’envoyais des mails, j'allais sur place, etc. C'est vraiment du matraquage. Pour le moment, tout roule et on est même étonnés – ou agréablement surpris – par les propositions qui tombent. On s'est rendu compte que le taf qu'ils ont fait pendant presque un an à jouer dans les bars, ça a payé. À Bruxelles, à partir du moment où tu fais ça, ça commence à parler de toi.

39Felix : C'est vraiment du bouche-à-oreille, un truc organique quoi. On est vraiment nuls sur Instagram, mais le fait d'avoir joué à tel ou tel endroit, parlé avec du monde, ça marche aussi, et les gens commencent à te démarcher.

Jonas : Mine de rien, Dour est arrivé très vite dans leur carrière.

Skut : C’était très inattendu. On s'est retrouvés dans un bar tous ensemble après la scène du Bota et j'ai un ami qui connaissait les gars de Dour qui étaient venus nous voir…

39Felix : … mais on s'est dit que s’ils étaient pas venus nous causer après notre scène, c’est que c'était mort, qu’on n’était pas bookés.

Skut : Finalement, on a reçu un mail deux ou trois jours après. On a dû bien fêter ça…

Là, vous êtes dans l'étape où vous avez placé votre nom sous les radars, vous pouvez vous permettre de vous effacer un moment niveau lives. Est-ce que le numérique prend un peu le relais ? 39Felix : En vrai, le côté internet nous gave. On adore faire de la musique et des scènes, mais des publications…

Mais les clips, par exemple – si on englobe tout ce qui se passe en ligne ? 39Felix : Les clips c'est fun, mais c'est aussi beaucoup d'obligations et on n’a pas envie de rentrer dans ce truc de faire un clip juste sortir quelque chose. Mais quand on a des idées spontanées et marrantes, là on fonce.

Skut : Pour le moment, on est aussi à la tête du projet quand on fait un clip. On bosse avec plein de gens mais on aime bien garder notre truc à nous.

39Felix : On veut juste pas rentrer dans le truc où on poste toutes les 20 minutes sur les réseaux pour dire qu'on est en studio et qu'on bosse sur une track. Je trouve que c'est plus une distraction qu'autre chose. Poster nos sessions studio sur Insta pour prouver qu'on ne fait pas rien, c'est casse-couilles.

Skut : On veut pas publier tous les jours sous prétexte qu'il faut garder le gens auprès de nous, mais côté clip, on aime bien quand même. Regarde celui avec Félé Flingue, on se prend pas la tête.

39Felix : On faisait l'un de nos plus grands festivals à ce moment-là, à Machelen. On a fait la fête jusque tard, on a tous dormi chez moi, et le lendemain on a fait le clip.

Félé, il arrive comment là-dedans ?  Skut : On allait voir des concerts du 77 à l'époque. C'est devenu un ami avec qui on discutait, on faisait la fête, etc. Et plus tard, on lui a montré ce qu'on faisait, ça lui a plu et on a essayé de faire des trucs ensemble. Il est un peu dans notre délire, il se prend pas énormément au sérieux non plus. Il est spontané mais il fait les trucs à fond.

C’est un peu devenu un oiseau rare, qu’on voit principalement en invité de luxe. 39Felix : J’ai pas envie de parler à sa place mais je pense qu’il est beaucoup avec ses potes, et quand y’a un truc qui lui plaît vraiment, il le fait et il se marre à fond.

Skut : Il est pas carriériste.

Vous aussi, vous réfléchissez en dehors des codes des stratégies marketing modernes. L’image que vous véhiculez à travers vos clips assume aussi ce retour aux sources. 39Felix : En soi, la musique qu’on fait est old school, les prods c’est du jungle des nineties. Ce serait presque bizarre que maintenant, avec notre musique, on applique les codes actuels et qu’on se calque à TikTok, aux obligations du streaming, etc. Puis on est trois : Jonas s’occupe du booking, moi je fais des prods et Skut rappe, donc on n’a pas le temps de penser à des stratégies de promo.

En gros, le truc à retenir, c’est que ça peut marcher sans marketing. On en a plein le cul du marketing. Jonas : On n’a pas de vraie structure officielle et pourtant on arrive à être programmés dans des festivals où la plupart des artistes avec qui on partage l’affiche sont accompagnés. Et les résultats auxquels on accède, ils sont oufs.

39Felix : C'est clair qu'on va pas faire semblant d'avoir fait la main stage de Dour à 22 heures, mais avec nos petits moyens on a de bons résultats. On reste un petit groupe indépendant avec des résultats de petit groupe indépendant. Mais c'est pas parce que ça marche comme ça qu'on est fermés à toute proposition, à l'idée de se structurer. On rejette aucune idée mais pour l’instant, c’est comme ça qu’on fait. Notre musique et l'ambiance qui en découle, c'est aussi grâce à notre côté homemade. Et les gens qui viennent nous voir sont à la recherche de ça, ils ont l'impression de faire partie du truc.

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Joris Ngowembona

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L’aventure rêvée du skate eswatinien commence ici

Je me souviens de ma période skate. Elle a duré un mois à tout casser. Ma mère m’avait acheté ma première planche. D’après mes souvenirs, j’avais une énorme grenouille verte avec des colliers, des gros diamants et une casquette sur mon deck. Et ma mère a payé, sans pour autant approuver. Toujours est-il que le matin pour aller à mon école, qui se trouvait à 500 mètres de chez moi, je me laissais glisser. Et je crois que, intérieurement, je me sentais comme ce gars sur la photo de couverture ci-dessus.   

Alors, quand Jonas Camps nous a envoyé les photos de son nouveau bouquin sur le projet de construction d’un skatepark en Eswatini – entre autres –, je me suis dit que c’était le bon moment pour découvrir ce que les gens vivent lorsqu’ils n’abandonnent pas leur planche à roulettes dans la cave après un mois – mieux que ça, quand ils en font un objectif de vie. Et un livre aussi, donc.  

L’année dernière, le photographe belge nous avait déjà parlé des nouveaux skateparks construits par les organisations Skate World Better et Wonders Around the World, pour développer la scène skate en Mozambique et en Zambie. Et en gros, dans son livre Empty Billboardconçu avec la graphiste Maren Katharina Rommerskirchen –, les photos du projet en Eswatini viennent s’ajouter à celles prises dans les deux autres pays. 

Ça fait maintenant quatre ans que Jonas suit, avec Martin Loužecký – son pote tchèque à l’initiative de Skate World Better – l’ambition de rendre le skate accessible et praticable sur le continent africain. C’est comme ça que, l’été dernier, il a atterri en Eswatini, ex-Swaziland. Ce petit pays d’Afrique australe est la dernière monarchie absolue de son continent. Si on compare ses caractéristiques à celles de la Belgique, la superficie peut être divisée par deux et la population par dix. 

C’est entre les montagnes de Mbanane, la capitale, que Jonas et Martin se sont lancés dans ce nouveau projet de construction. « Beaucoup d’hommes politiques vivent à Mbabane, raconte Jonas. Depuis la montagne où on vivait, on pouvait voir toutes sortes de maisons de maître. On se disait qu’on était comme sur les collines d'Hollywood. »

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Ce projet à Mbanane est le résultat de circonstances particulières et aussi hasardeuses que bienvenues. Il y a quatre ans, lors du renouvellement de son visa, Martin a rencontré Jason Martin, un gars de la ville. « Jason rêvait de construire un skatepark en Eswatini, ajoute Jonas. Depuis qu'il était enfant, sa mère et ses sœurs en entendaient parler tout le temps, au point de s’en lasser, je crois. » Mais Jason s’est accroché à son idée et, quelques années après avoir commencé à initier les enfants du quartier sur la rampe de fortune installée dans son garage, il a créé l'ONG Eswatini Skate pour amplifier le mouvement. Martin s’est greffé au projet et a commencé à planifier la construction d’un skatepark en béton. 

« À Mbanane, on a vu une mini-rampe assez brute sur l’une des places principales, poursuit Jonas. Avec Jason et Martin, l'idée nous est immédiatement venue de l'agrandir pour en faire un skatepark. On a découvert qu'il y avait une communauté de skaters et qu'ils essayaient de le faire depuis des années. Ils sont allés présenter une proposition au conseil municipal. Et le reste appartient à l'histoire. »

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Contrairement aux expériences de construction dans des banlieues éloignées en Mozambique et en Zambie, bâtir un skatepark en plein dans la capitale de l’Eswatini a simplifié pas mal de choses. Pour la première fois, des machines étaient accessibles et le béton leur a été livré – pas de mélanges à faire à la main. La ville leur a aussi fait don d’autres matériaux. L’impact est, lui aussi, vu de manière très différente, plus local, plus ancré au-niveau de la population. 

En plus des membres tchèques de Skate World Better, de quelques autres renforts venus d’ailleurs et des habitant·es de la capitale, des potes de Jason sont aussi venus d’Afrique du Sud pour prêter main forte à l’équipe. Et, en juin dernier, le Lafezeka Skate Park a officiellement ouvert ses portes dans le Coronation Park, entre les terrains de basket, de tennis et de foot déjà existants.

Suivez Jonas sur Instagram et sur son site (pour les précommandes de son livre). 

Découvrez d'autres photographes belges mis·es à l'honneur sur VICE en cliquant ici. Vous êtes vous-même photographe et vous avez une série percutante ? Envoyez-nous un mail à beinfo@vice.com.

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Jason et Dave. « On était une petite équipe de neuf personnes. La plupart venaient de République tchèque, mais Dave, lui, venait de Durban, en Afrique du Sud. »
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« Mbabane est une petite ville entourée de montagnes. Le centre-ville est rempli de centres commerciaux, de bureaux, de restaurants et d'un immense arrêt de bus. »
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Martin lors d’une séance de tatouage improvisée.
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« Quand le béton est enfin arrivé, on a fini par passer la plupart de notre temps au skatepark. C'était l'hiver, le soleil se couchait à 17 heures et il faisait froid très rapidement. À cause de l’humidité, on passait presque toutes nos soirées à attendre et à essayer de rester au chaud en faisant du feu avec le gardien de nuit du parc, Monsieur Dlamini. »
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Monsieur Dlamini.
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Une bâtisse à Mbanane.
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Dave.
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Dave teste le béton.
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Une soirée organisée dans une voiture.
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« On vivait avec Jason et sa famille. Dans le garage, il y avait une petite rampe qui était scotchée. Au début, je me suis dit que c’était impossible de l’utiliser. Mais tous les soirs, quelqu'un l’utilisait. Et finalement, on a fait des trucs de malade sur cette rampe de merde ! »
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« Jason était un gars extraordinaire. J'ai jamais vu personne devenir aussi fou pendant la construction. Je voyais son rêve devenir réalité. J'ai du mal à imaginer qu'on puisse croire en quelque chose pendant si longtemps et que finalement, on se retrouve avec un immense parc en béton dans un magnifique jardin au milieu de Mbabane. »

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