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Faudrait-il renommer les partis politiques belges ?

À l’étranger ou au sein du pays, la complexité du champ politique en Belgique étonne souvent – quand il n’en n’écarte pas les gens tant ils sont perdus entre les trois régions, les différents niveaux de pouvoirs et les structures étatiques morcelées. Entre autres. 

Face à ce large tableau confus, les partis sont nos premières prises quand il s’agit de scène politique. Ils en sont évidemment la personnification. À l’échelle locale, ce sont eux qui sont présents lors de certaines manifestations, ce sont eux pour qui on doit voter sous peine d’amende et ce sont derrière leurs bannières que les politiques prennent la parole concernant les sujets qui nous touchent. 

Ce sont aussi eux dont les noms me font parfois sourciller, tant leur appellation me semble parfois éloignée de leur vision – ou en tous cas pas très cohérente avec l’image que j’en ai, certes subjective. Le temps que je philosophe sur la question, un parti aura sans doute même changé de nom. Alors, avant que mes interrogations ne se perdent dans le trou sans fond de mon cerveau, j’ai préféré contacter un spécialiste de la question.

Contrairement à moi, Thomas Legein est le genre de personne dont l’encéphale contient une connaissance accrue de la politique belge, ce qui lui permet de saisir un grand nombre de faits et d’enjeux liés à ce sujet. En tant que chercheur au Département de science politique à la Vrije Universiteit Brussel (VUB), son activité quotidienne consiste à étudier l’organisation des partis politiques belges et leurs transformations. 

On lui a demandé ce qu’évoque chez lui la question des noms de partis.

VICE : Y’a des aspects précis sur lesquels tu portes une attention particulière ?
Thomas Legein :
J’étudie les questions de démocratie au sens large mais je me spécialise surtout dans l’étude des partis politiques et, en particulier, des stratégies qu’ils mettent en place pour atteindre leurs objectifs ou pour s’adapter à un contexte qui leur est finalement de plus en plus hostile. Quand décident-ils de changer de président·e ? Pourquoi les partis choisissent-ils de se repositionner idéologiquement ? Quel serait l’intérêt pour eux d’inclure plus sérieusement les citoyen·nes dans leur prise de décisions internes et qu’est ce qui pourrait motiver ça ? Ce sont toutes des questions que je me pose et que j’essaie de mettre en lien avec le contexte dans lequel ils se trouvent. Les défaites électorales, les scandales ou encore le fait d’être renvoyé dans l’opposition après des années au pouvoir sont généralement des défis importants qui poussent les partis à répondre et à s’adapter à leur nouvelle réalité. Et c’est justement leur réponse qui m’intéresse.

Ce que fait Georges-Louis Bouchez au MR ou les enjeux auxquels font aujourd’hui face l’OpenVLD ou le CD&V en Belgique sont par exemple tout à fait intéressants pour moi. Mais on peut voir plus large. Ce qu’il se passe avec la NUPES et les partis qui les composent en France rentre aussi dans ce que j’étudie, et je parle même pas du bordel au sein du Parti Conservateur britannique, qui est une véritable mine d’or à étudier.

Il se passe quoi avec l’OpenVLD ou le CD&V au juste ?
On a là deux partis traditionnels en danger de mort, clairement. L’OpenVLD aurait dû à mon sens débuter une réflexion interne dès le lendemain des élections de 2019 pour éviter de tomber si bas dans les sondages. Malheureusement pour eux, Alexandre De Croo est devenu Premier ministre et le parti est donc totalement dédié à l’exercice du pouvoir. Ça a aussi créé un vide de leadership à la tête du parti, avec une succession de présidents moins connus censés tenir le fort le temps du mandat de De Croo. Le parti est donc incapable de procéder à une refonte nécessaire, à l’image du cdH par exemple, qui a choisi (ou a été forcé dans) l’opposition pour se concentrer sur sa transformation. Les cas Gwendolyn Rutten ou Els Ampe montrent les tensions internes qui existent à quelques mois des élections.

Le CD&V a déjà une réflexion un peu plus aboutie à ce propos. On a vu deux présidents de partis successifs, Joachim Coens et Sammy Mahdi, annoncer et procéder à des modifications de l’organisation interne du parti tout en réaffirmant leur attachement à certaines valeurs fondamentales des chrétiens-démocrates. Sammy Mahdi a également durci le ton en faisant prendre au CD&V un cap bien à droite, notamment sur des thématiques comme l’immigration. Les sondages sont désastreux pour l’ancien parti tout puissant. Les lignes bougent en conséquence, quitte à adopter les effets d’annonce à la N-VA ou Vlaams Belang.

Est-ce que le nom des partis politiques a déjà été un objet de réflexion pour toi ? 
Le nom d’un parti politique c’est hyper important, parce que c’est une sorte de mnémotechnique mais aussi de raccourci pour les électeur·ices – surtout quand il est assorti à une couleur. Un peu à l’image d’une métaphore. Quand on te parle du Parti socialiste, qui a un logo rouge, ça t’évoque directement – même inconsciemment – une série de symboles, de visages, d’idées, de valeurs voire de slogans que tu jugeras positivement ou négativement selon ton bord politique. C’est le premier marqueur idéologique que les gens rencontrent lorsqu’ils ont à faire avec un parti. Pour certains partis extrémistes et/ou populistes, ça peut par exemple être du coup très utile d’utiliser ça pour brouiller les pistes en adoptant des noms vagues comme Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne), qui pourrait être le nom d’un parti libéral classique, Vox, en Espagne, qui évoque à la fois l’idée transversale de « Voix » et à la fois rien de particulier, ou encore le parti polonais Droit et Justice qui mobilise deux thèmes majeurs des partis conservateurs classiques. On étudie au final très peu l’utilisation des noms par les partis politiques alors qu’il s’agit en fait d’un enjeu politique en soi.

J’ai récemment commencé un petit projet annexe avec un collègue, Arthur Borriello [de l’UNAmur], sur l’évolution des noms des partis politiques à travers le temps : est-ce qu’ils sont tous de plus en plus creux ou est-ce que c’est juste une impression ? La République en Marche en France, Juiste Antwoord 21 (« Juste réponse 21 ») aux Pays-Bas ou Azione (Action) en Italie : y’a de quoi s’interroger.

Et quelles grosses différences tu fais avec les noms plus anciens ? 
Dans les faits, c’est pour l’instant compliqué de dessiner de grandes tendances. L’idée de départ du projet nous est clairement venu du nouveau nom des Engagé.e.s [ex-cdH], mais aussi de certains éléments de langage ou de la communication de certaines personnalités politiques comme Emmanuel Macron. Où sont encore les marqueurs idéologiques et comment ils se traduisent dans le nom des partis modernes ? Il faut par contre noter que ça ne concerne pour l’instant pas une majorité de partis mais plutôt, souvent, de très vieux partis en grande difficulté ou de nouveaux acteurs fraîchement débarqués sur la scène politique.

C’est peut-être une idée reçue, et on espère pouvoir l’infirmer ou le confirmer, mais on a quand même l’impression que les anciens noms de parti se fixaient plus explicitement sur une valeur ou un concept clé du projet défendu. Aujourd’hui, brouiller les pistes paraît avoir la cote, de préférence en induisant l’idée de mouvement ou de pro-activité, comme si la considération principale des partis concernés était de montrer qu’ils s’opposent à l’immobilisme politique, dont ils seraient pourtant la cause si on suit leur logique.

Y’a un lien entre défaite électorale et nouvelle appellation ?
On a effectivement vite tendance à faire le lien entre une défaite électorale et changement de nom de parti. C’est rare de voir un parti politique qui gagne soudainement changer de nom, et c’est en même temps normal. Changer d’étiquette c’est prendre le risque de perdre l’attention d’une partie de l’électorat qui a bien le nom à l’esprit. Et puis si le parti gagne, ce nom est associé au succès. Changer de nom après une défaite, au contraire, c’est se distancier de cet épisode douleureux en envoyant un message de modernisation du parti sur la forme ou le contenu.

Mais un changement de nom peut survenir dans d’autres contextes. Dans le cas des Engagé.e.s par exemple, changer de nom était moins une question de réagir aux défaites électorales de 2018 et 2019 que de sortir de l’état de coma artificiel dans lequel le parti était depuis pas mal de temps. Les défaites étaient juste des cerises sur le gâteau. Aujourd’hui, le MR envisage très sérieusement de changer de nom. Pourtant, bien qu’il n’ait pas atteint ses objectifs électoraux aux dernières élections, on ne peut pas dire que le parti ait subi un véritable revers électoral au point de devoir renouveler son image auprès de l’opinion publique. Il s’agira-là, sauf surprise, de communiquer à l’électorat un nouveau positionnement politique ou de réaffirmer une valeur centrale défendue par le parti. Et ce projet fait plus suite à l’arrivée de Bouchez à la tête du parti qu’à un véritable défi politique posé aux libéraux. Et puis un changement de nom ne veut pas obligatoirement dire changer du tout au tout. En 2001, le Socialistische Partij (SP) belge est devenu le Socialistische Partij Anders (sp.a). La différence est minime mais le message est clair : montrer son ouverture à la société civile tout en marquant l’acceptation du principe d’économie de marché. Simple et efficace.

À propos du MR, tu disais dans un entretien sur la Revue Politique, qu’il était aujourd’hui plus conservateur que libéral, et que Bouchez incarne bien ce conservatisme – par sa méthode de communication notamment. J’ai aucune idée du terme autour duquel leur nouveau nom va s’articuler, mais j’imagine qu’il n’y a aucune chance pour qu’une référence au terme « conservateur » s’y retrouve, à la façon du parti de droite anglais… Est-ce que c’est une question culturelle ou l’enjeu se situe ailleurs ?
C’est évidemment impossible d’anticiper ce pour quoi le MR va opter… s’il change finalement de nom. Simplement évoquer la possibilité de changer peut aussi faire partie d’une stratégie de l’ambiguïté. Dans tous les cas, ce serait une faute politique de le changer si proche de la double échéance électorale qui nous attend en 2024.

Le MR n’a aucun intérêt à adopter une étiquette « conservateur » dans son espace politique même si on est pas à l’abri d’une surprise. Aucune force de droite ne lui pose véritablement de défi pour l’instant. Le parti a donc tout le loisir d’entretenir le flou tant qu’il s’assure que Les Engagé.e.s, maintenant plutôt situé au centre-droit de l’échiquier, ne vienne pas chasser sur ses plates-bandes. Au contraire, ça ne m’étonnerait pas justement que Bouchez – s’il est toujours président après les élections – cherche à remettre le terme de « libéralisme » en avant. De son point de vue, ses prédécesseurs ont volontairement abandonné le gimmick de « fier d’être libéral », à son plus grand regret. Quand je te parlais de la stratégie d’ambiguïté, on est ici face à un cas-type.

Tu penses qu’il devrait exister un cadre légal en ce qui concerne les noms ? 
Je pense pas qu’il faille encadrer légalement le choix des noms de partis. En Belgique, d’une manière ou d’une autre, la loi prévoit déjà l’interdiction de l’utilisation de noms explicitement offensants ou qui peuvent heurter. Après, tu rentres plus largement ici dans un débat plus philosophique sur la démocratie et les libertés politiques. Qu’il s’agisse du nom des partis, de leur financement ou de leur communication, à quel point l’État devrait se mêler de la manière avec laquelle les personnes engagées politiquement s’organisent et cherchent à faire prévaloir leur projet de société ? Puisque c’est ça, au final, un parti politique. Il n’y a pas de bonne réponse, tout le monde doit se faire une opinion là-dessus.

OK, mais parfois le nom ne reflète d’aucune manière le projet de société d’un parti – comme c’est le cas avec certains noms qu’on pourrait considérer comme trompeurs ou creux au mieux, comme tu le disais. Y’a quand même quelque chose d’un peu manipulatoire et malhonnête non ? 
Je pense qu’il est vraiment important de comprendre que le nom d’un parti politique est un enjeu politique en soi. Ils sont vraiment libres de choisir le nom qu’ils veulent et font passer des messages grâce à celui-ci. On est donc ici, t’as raison, dans la base même de la communication politique et, à ce jeu, certains partis sont moins scrupuleux dans leur stratégie d’entretenir le flou. 

On a récemment fait l’exercice avec une collègue d’identifier tous les partis libéraux à travers le monde uniquement sur base de leur nom. Et c’était un véritable casse-tête. Premièrement, certains se nomment explicitement libéraux mais sont en fait carrément conservateurs comme le Parti Libéral-démocratique japonais. Deuxièmement, beaucoup de ces partis n’utilisent pas le terme « libéral », et préfèrent ceux de « réforme », « liberté » ou « démocratie », comme le Parti démocratique luxembourgeois ou le Parti de la réforme estonien par exemple. Mais plus important encore, troisièmement, ça dépend évidemment du contexte. En Afrique du Nord ou en Asie, quasi aucun parti libéral n’utilise ce terme, au profit, justement, de ces idées de liberté et de démocratie. Aussi parce que le terme « libéralisme » peut être négativement connoté, comme aux États-Unis où il est utilisé par certains pour définir les gens « d’une certaine gauche ».

Là où je veux en venir, c’est qu’on pourrait décider de forcer les partis à utiliser des noms en lien avec ce qu’on considère être leur projet politique. Mais qui peut décider de la liste des mots qu’ils pourraient lier à leur conception de la société si ce n’est eux-mêmes ? 

D’ailleurs, c’est quoi être « libéral » au juste ? C’est devenu très confus et galvaudé comme terme non ?
Comme le nom d’un parti peut l’être, l’étiquette « libérale » est parfois mal utilisée, utilisée à tort et à travers ou utilisée pour des raisons stratégiques. La difficulté c’est que l’espace politique n’est pas divisé en deux pôles « Gauche – Droite » mais en quatre dimensions. Je vais pas rentrer dans les détails conceptuels ici, mais tu peux par exemple être « de gauche » (ou « progressiste ») sur des questions culturelles/de société, comme sur la question du droit à l’avortement, mais de droite sur des thématiques économiques comme le montant des taxes sur le travail. Ce qui différencie les libéraux de droite des conservateurs de droite aujourd’hui concerne principalement les questions sociétales alors que les deux défendent assez solidement les principes fondamentaux du capitalisme économique et son développement. L’enjeu de garder une appellation « libérale » pour un parti de droite est de paraître – qu’il le soit réellement ou non – progressif sur les enjeux contemporains. Le défi, c’est de montrer qu’on défend les libertés individuelles.

À ce jeu-là, tu peux par exemple très facilement différencier les discours de l’OpenVLD et de la N-VA en Flandre, cette dernière s’assumant assez comme force conservatrice. Et c’est là tout le confort du MR : le parti n’a pas de compétiteur de droite dans son espace politique actuel, alors il n’a pas besoin de choisir un camp ou l’autre, de marquer clairement la dimension du spectre politique dans laquelle il se trouve par rapport aux enjeux contemporains. Donc je pense qu’il a tout intérêt à garder une image, même si elle n’est plus fondée, de parti « libéral » même si le discours de Georges-Louis Bouchez, dans son contenu, positionne le parti comme force conservatrice.

On a parlé du MR, mais quid du PS ? On peut toujours le considérer comme socialiste ?
Le Parti socialiste n’est pas obligé de s’appeler parti socialiste, qu’il défende un programme de gauche ou non. Si l’on comprend le socialisme dans sa forme historique, comme pensée par Proudhon, Marx ou Engels par exemple, je dirais que non, le parti socialiste n’est plus socialiste. Si l’on comprend le socialisme dans sa forme moderne, c’est-à-dire telle que défendu par les partis socio-démocrates européens alors oui, le parti socialiste belge est un parti socialiste tout à fait classique. D’ailleurs, il est forcé de garder un message ancré à gauche pour éviter que le PTB ne prenne le lead sur des thématiques fondamentales du socialisme comme le travail ou la sécurité sociale. La différence aujourd’hui, pour caricaturer, est que les partis socio-démocrates – ou « de centre-gauche » – ont accepté la logique de marché et se limitent à chercher à en limiter les dégâts alors qu’auparavant les partis socialistes défendaient une logique politique et économique alternative au projet capitaliste.

Je ne pense pas que le parti ait intérêt à changer de nom à court terme puisqu’il reste pour l’instant la force dominante en Wallonie et à Bruxelles. Même au niveau européen on observe le parti socialiste belge comme symbole de la résilience de la sociale-démocratie là où de nombreux partis de gauche classique européens se sont effondrés. Une aura, positive pour certain·es, négative pour d’autres, subsiste autour de ce nom historique.

Justement, le PTB est vraiment un « Parti du travail de Belgique » selon toi ? Sans oublier Écolo, Les Engagés ou DéFi. Y’en a dont le nom te fait tiquer ?
Rien à redire sur le PTB ou Écolo. Leur nom est en adéquation avec leur projet politique et sont sans ambiguïté. Je suis plus partagé sur DéFi. Les initiales n’évoquent pas grand-chose et le parti n’a pas une aura assez large pour que l’opinion publique connaisse véritablement le nom complet derrière : Démocrate Fédéraliste Indépendant. 

Par contre, je trouve que le choix du nom Les Engagé.e.s est très drôle. Surtout en sachant que le parti a dépensé une petite fortune pour que des consultants en com’ brainstorment et arrivent avec cet ovni. C’est pour moi tout ce qu’il ne faut pas faire. Qui en politique n’est pas engagé·e ? Quelle(s) valeur(s) cardinale(s) guide(ent) le parti ? Quel est le projet derrière tout ça ? Ça sonne creux et ça n’évoque rien. En comparaison, le choix récent du sp.a de s’appeler Vooruit (« En avant ») est intéressant. Le nom est en lui-même tout aussi creux mais il résonne au moins avec une tendance plus large qu’on observe de plus en plus et, de manière intéressante, surtout chez les partis libéraux européens : une volonté de faire avancer les choses, d’inspirer un mouvement, de se bouger. Pour autant, l’aspect « valeurs politiques » est également absent et c’est pour moi une mauvaise stratégie. Est-ce que c’est une tendance qu’on verra chez de plus en plus de partis à l’avenir ? Je le pense, malheureusement.

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Grève de la faim : le récit d’Omar, jour par jour

Dans notre récent article sur les rassemblements qui se tiennent tous les soirs à Bruxelles en soutien au peuple palestinien, on notait l’absence d’Omar Karem. Ça fait quelques semaines maintenant qu’il ne vient plus – ou peu. 

Depuis le 31 décembre 2023, le journaliste palestinien a entamé une grève de la faim stricte sur le site de l’ULB. Il ne boit que de l’eau, avec du sel – ni bouffe ni vitamines ni aide médicale, juste le strict minimum pour ne pas mourir. Il dit vouloir n’y mettre un terme que lorsque des mesures claires à l’encontre d’Israël seront adoptées. L’arrêt du génocide en Palestine par un cessez-de-feu permanent, l’arrêt du transit de matériel militaire par la Belgique, l’accès à l’aide humanitaire et médicale à Gaza ou encore le recours à la Cour Pénale Internationale afin d’émettre des mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens pour « crimes de guerre » figurent parmi ses revendications. 

De manière générale, c’est l’absence de réactions politiques qui a plongé Omar dans cette initiative. Né à Gaza en 1983, il n’a jamais vu sa Palestine libre. C’est dans le champ du journalisme qu’il s’est d’abord battu pour la cause de son peuple – notamment depuis Bruxelles, où il a obtenu le droit d’asile – mais les limites de l’activisme écrit étant ce qu’elles sont, cette grève de la faim est son ultime recours pour porter plus loin la voix des siens. « Voir sur un écran des morts à des milliers de kilomètres ne provoque peut-être pas de réactions, mais qu’en sera-t-il si vous voyez un homme dépérir et mourir devant vos yeux, chez vous ? »  

Quelques médias ont relayé son action et certaines plateformes comme Humanity for Palestine et Palestinian Refugees for Dignity relaient régulièrement les dernières nouvelles. Mais il y a quelques jours, Omar nous a lui-même envoyé un message pour qu’on en parle aussi. On lui a proposé de tenir un journal pour donner un aperçu de ce en quoi consiste sa grève de la faim. 

Le contenu de cet article se base sur les discussions quotidiennes entre Omar et l’auteur, ainsi que sur des notes complémentaires apportées par Stephanie Collingwoode Williams, membre du groupe de soutien à Omar. 


Jeudi 18 janvier

Je n’arrive pas à dormir. Mon cerveau rumine, je me dis que ce monde est détraqué. C’est impossible de continuer à vivre normalement pendant que des millions de Palestinien·nes sont condamné·es à la mort et au silence. Tous les jours sont rythmés par une violence inimaginable. Quelle cruauté n’a pas encore été commise ? Et on se dit « bonne année », mais de quoi est-ce qu’on peut encore se réjouir ?

Le déchaînement militaire est intense : les bombes sur les hôpitaux, sur le bureau d’une agence de l’ONU, sur une église, les bombardements à Noël, au Nouvel An… Et encore, ce ne sont que des monuments. Parce qu’ils détruisent aussi tout ce qui reste de notre culture ; ils effacent notre mémoire, nos traditions, nos oliviers centenaires… C’est un effacement culturel. Et ils publient des photos de belles maisons au bord de la plage qu’ils vont construire, tout ça sans parler des vies ôtées, tant de vies ôtées.

Tout est soumis à la brutalité, au massacre, au génocide : le phosphore blanc, l’arrêt forcé des soins intensifs néonataux, les gens laissés là sans nourriture pendant que des camions chargés de dons alimentaires sont bloqués, internet coupé pour que le monde ne puisse pas voir les atrocités qu’ils commettent, les sources d’eau bétonnées, les enfants emprisonnées sans procès pour avoir jeté des pierres sur leurs chars, la torture dans leurs geôles… Ils font des vidéos dans lesquelles ils rient de notre douleur et ils laissent les civil·es suffoquer sous les décombres pendant qu’on essaie de les sauver en déblayant avec des tongs. Y’a pas un instant de répit.

La vie palestinienne, c’est devenu l’horreur au réel, et pourtant je vois encore des gens comme moi jouer avec leurs enfants pour les faire oublier, pour les faire sourire. On survit.

Vendredi 19 janvier 

Très tôt le matin, je suis allé à Louise, où se tenait un procès. Des familles originaires de Gaza ont attaqué l’État belge, et leurs avocat·es font pression pour arrêter la guerre, ouvrir les frontières à l’aide humanitaire et assurer la sécurité des civil·es. Je n’ai pas pu rester longtemps, je suis juste allé leur montrer mon soutien en personne.

Je me suis précipité du tribunal à mon local de l’ULB, où je devais faire une interview avec une personne à Londres, toujours dans la matinée. J’ai marché dans la neige, en poussant mon corps au-delà de ses limites. Ça fait 20 jours que j’ai commencé la grève de la faim, mon corps s’affaiblit, je dois parfois m’arrêter pour respirer et laisser la douleur s’atténuer. Mais mon corps est devenu mon outil de résistance et rien n’est plus important que de ça : rester focus sur la Palestine. 

L’interview s’est bien passée. On a fait une vidéo où j’expliquais encore la même chose – j’explique toujours la même chose, avec des mots différents. Je veux que les gens comprennent. 

Mon amie est venue chercher le lapin qu’elle m’avait prêté – le « lapin pour la Palestine » – qui m’a tenu compagnie pendant les premiers jours de mon occupation à l’ULB. C’était sympa d’avoir un animal avec moi. L’université veut me mettre dehors, et je dois me battre contre eux. Ils disent que c’est « à cause des examens » mais je suis loin [des bâtiments principaux du campus] et je ne dérange personne. J’ai demandé à des gens de venir me soutenir. On verra, on en reparlera la semaine prochaine.

Les collectifs [Zone neutre et Getting the voice out, NDLR] qui organisent une manif à Arts-Loi contre les violences en centre fermé m’ont invité à les rejoindre cet après-midi. En même temps, il y a aussi eu un événement au MedexMusem à Ixelles, où se tient une petite expo sur la cause palestinienne, avec de la nourriture palestinienne et une récolte de fonds pour envoyer de l’argent aux associations Gaza Sunbirds et Connecting humanity. J’essaierai d’y aller demain.

À 18 heures, j’ai rejoint le rassemblement quotidien dans le centre. Ils ont imprimé mon action sur des tracts et l’ont distribué aux gens. Souvent, une jeune femme prend le micro et parle à ma place pour expliquer en français en quoi consiste mon action. Le caddy propose toujours du thé et du café pour les manifestant·es. Je ne me suis pas éternisé, il faisait trop froid pour que je reste dehors trop longtemps. Prendre le bus et parcourir de longues distances devient assez difficile. Sans nourriture, mon corps ne peut plus aussi bien lutter contre le froid et ça devient de plus en plus compliqué de rester debout pendant plusieurs minutes.

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Samedi 20 janvier

Un entretien en live sur Instagram était prévu dans l’après-midi avec Ahmed Eldin [journaliste et ex-correspondant pour VICE] et Samuel Crettenand. Samuel est un activiste suisse, lui aussi en grève de la faim.

À l’ULB, des militant·es qui me soutiennent continuent de m’apporter de l’eau et du sel. En attendant le live, j’ai continué mes activités de sensibilisation en ligne et j’ai lu, essentiellement des articles à propos d’autres situations, d’autres mouvements de lutte à travers le monde : Soudan, Congo, Afrique du Sud ou encore Cuba. Nos luttes sont toutes unies, on se bat toutes et tous contre le même pouvoir colonial. Tout le monde doit être libre.

Vers 17 heures, j’ai rejoint le live avec Ahmed et Samuel depuis le MedexMusem. Samuel est en grève de la faim depuis une quarantaine de jours. Pendant le live, il a annoncé qu’il arrêtait. Il était en direct de la marche pour la Palestine à Genève. 

Autour de moi, les gens se sentent coupables de manger mais je leur assure que ça ne me dérange pas. Après le live, le collectif Artists4Palestine m’a donné la parole. J’ai parlé de ma grève de la faim pour pointer une nouvelle fois l’attention sur le génocide en cours. La soirée entière était dédiée au soutien à la Palestine. Je n’avais pas vraiment d’énergie pour parler, mais c’était important de le faire.

Je suis revenu en tram à l’ULB, dans ma prison. Il n’y a que le téléphone qui me donne l’impression d’être vivant ; ça me permet de voir le soutien qu’on m’adresse sur les réseaux sociaux. Les vigiles de l’ULB à la porte de l’immeuble me rappellent que je suis comme enfermé. J’ai pris contact avec des médecins bénévoles – vu que des associations comme la Croix-Rouge ou Médecins Sans Frontières refusent de m’aider – pour prévoir un rendez-vous demain histoire de faire un contrôle. J’ai aussi accroché deux drapeaux palestiniens à ma fenêtre, et un parapluie avec notre symbole, la pastèque, comme ça les gens sauront où je me trouve.

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Dimanche 21 janvier

Les nuits sont difficiles. Je les passe toujours essentiellement sur mon téléphone.

Je sais que c’est encore tôt pour avoir des problèmes médicaux sérieux, mais j’ai fait un contrôle de routine, juste histoire de vérifier ma température, l’état du sang et du cœur. Le médecin a dit que tout était « OK ».

À la manifestation [une grande marche s’est tenue à Bruxelles ce jour-là, NDLR], j’ai senti à quel point mon état de fatigue était lourd mais ça m’a fait du bien de voir des gens. Malgré la météo, des milliers de personnes sont venues. Ça me rappelle les images des gens qui ont marché dans le monde entier et qui continueront à marcher jusqu’à ce que la Palestine soit libre. Comme l’a dit Nelson Mandela : « Nous savons très bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens. » On les avait soutenu·es ; aujourd’hui les Sud-Africain·es nous soutiennent devant la Cour internationale de Justice (CIJ). Ce seront toujours les peuples opprimés qui se battront pour les autres peuples opprimés.

Il faisait froid à la manif, je ne peux plus faire ce genre de choses trop longtemps. J’ai heureusement pu rester dans la voiture d’une connaissance pendant une grande partie de la marche. J’ai aussi trouvé quelques personnes qui me soutiennent et qui m’ont aidé à tenir ma banderole. Les manifestant·es s’arrêtaient pour la prendre en photo – mon message et mon appel à l’action étaient écrits dessus. Certaines personnes sont venues me remercier et me dire que ce que je fais est courageux. J’ai essayé de prendre la parole sur le podium, entre les discours et l’autopromotion politique – dont le PTB –, mais ils ne m’ont pas laissé faire. Certains partis comme le PTB ne veulent pas me laisser parler mais ils veulent quand même utiliser mon image – moi en tant que Palestinien – pour se promouvoir. Je suis vraiment déçu de la position des partis politiques, ça me rappelle aussi quand j’ai été expulsé de la Chambre lors de la journée de commémoration des génocides le 8 décembre. Ils ne m’ont pas non plus laissé parler de la Palestine et un parti de droite m’a pris mon micro et a appelé la police pour m’arrêter. Michel De Maegd [membre du MR et député fédéral, NDLR] s’en est non seulement pris à moi le jour même, mais il a aussi continué sur X, où il a menti en ajoutant des éléments qui ne se sont pas produits.

On m’a ramené à l’ULB après la manif. Je continue ma lutte et ma grève de la faim.

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Lundi 22 janvier

J’ai perdu quasiment 17 kilos en trois semaines. J’ai de moins en moins d’énergie. Mon sommeil est fragmenté en plusieurs siestes tout au long de la journée.

J’ai fait un live sur Tiktok – c’est une plateforme utile, les gens y trouvent de bonnes infos sur la Palestine. Par contre, Facebook et Instagram suppriment et censurent souvent les contenus pro-palestiniens.

Chaque jour, je parle avec d’autres personnes qui participent au mouvement international de grève de la faim, Hungerstrike4Gaza, pour voir comment elles vont. C’était sympa de parler avec des gens qui comprennent. On a discuté des prochaines étapes et on a aussi pris contact avec une Indonésienne qui a entamé une grève de la faim. C’était son premier jour ; on a voulu la soutenir, lui montrer qu’elle n’est pas seule.

J’ai quand même trouvé assez de force pour me rendre à l’ambassade de l’Afrique du Sud à Trône, pour les remercier symboliquement. On a apporté nos keffiehs et des broderies palestiniennes pour les offrir – cadeau de solidarité et signe de respect. Les portraits de Yasser Arafat et Nelson Mandela figuraient sur certaines pancartes. Notre interlocutrice de l’ambassade nous a dit qu’on ne faisait qu’un, qu’on était ensemble dans ce combat. On était heureux de brandir le drapeau sud-africain à côté du nôtre. C’était un moment de joie et de solidarité.

Mardi 23 janvier

Mentalement, c’est un petit OK. En tous cas pas suffisant pour faire face aux problèmes de l’administration universitaire et aux services de sécurité. Ma revendication politique n’est peut-être pas assez claire pour eux… 

Sanad [Latifa] vient de partir. Il est venu prendre des photos pour l’article. 

C’est aussi avec tristesse que j’ai vu sur les réseaux sociaux que des familles, et notamment des journalistes, essayaient de trouver des moyens de quitter Gaza à tout prix. Motaz [Azaiza] quitte Gaza – il avait reçu beaucoup de menaces de mort de l’armée israélienne. Bisan [Owda] reste sur place, tout comme Lama [Abujamous, une Palestinienne de 9 ans, la « plus jeune journaliste palestinienne », NDLR] et Mansour [Shouman, porté disparu. Il aurait été capturé par l’armée israélienne, mais l’information n’a pas été confirmée, NDLR]. Jamais autant de journalistes n’ont été tué·es en si peu de temps. 

Si vous ne mourez pas de vos blessures, vous mourrez de faim. Gaza connaît en ce moment la pire famine au monde [en termes de proportion et non de personnes touchées, NDLR], les gens ont commencé à manger de la nourriture animale. Et les animaux qui n’ont pas de nourriture commencent à manger des morceaux de cadavres dans la rue. C’est triste de voir ça et de ne pas pouvoir aider. Je vois ces images en direct tous les jours.

Mercredi 24 janvier

Je bois plus ou moins deux litres d’eau salée par jour.

Je suis resté quasiment toute la journée dans mon local. Dans l’après-midi, la députée européenne espagnole Ana Miranda est venue me rendre visite. Elle nous a proposé de nous aider à obtenir plus de visibilité médiatique pour notre cause. D’ailleurs, elle va m’aider [avec d’autres eurodéputé·es de son groupe Les Verts/ALE et du Groupe de la Gauche, NDLR] à prendre la parole au Parlement européen la semaine prochaine, le 30.

Concernant l’ULB et les gardes de sécurité, on est toujours en discussion pour voir si je peux encore rester ou pas. Chaque semaine, je négocie avec eux. Ils me refusent des visites, vérifient les cartes d’identité des personnes qui viennent… Certains d’entre eux me compliquent la vie.

J’essaie de me tenir prêt mentalement pour vendredi : la CIJ va rendre sa décision concernant la plainte de l’Afrique du Sud contre Israël pour dénoncer le génocide. J’aurais voulu aller à La Haye [où siège le CIJ] mais j’étais tellement fatigué que partir m’est impossible. Je suis triste de ne pas pouvoir partager ce moment avec le groupe de grévistes de la faim aux Pays-Bas.

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Jeudi 25 janvier

Aujourd’hui c’était une journée un peu dure, comme hier. Mon ventre me fait très mal. 

J’avais vraiment envie de prendre une douche. Mon amie Christy, qui s’occupe un peu de moi, est passée ce matin et m’a laissé prendre une douche chaude chez elle. Je lui en suis reconnaissant.

Même si je me sens faible, il fallait que je sorte un peu. Avec les gardes à la porte, j’ai toujours cette impression d’être en prison qui me reste. Il y avait une collecte de vêtements pour les réfugié·es, y compris pour les Palestinien·nes. J’y suis allé avec Christy qui voulait faire don ; on y a rencontré des gens de différentes communautés.

Je continue de contacter des gens sur les réseaux. Certains répondent, d’autres me bloquent. D’autres encore m’assurent qu’ils se sentent concernés par les droits humains mais donnent juste l’impression de s’en foutre des Palestinien·nes tué·es chaque jour. Et les gens qui se disent soucieux des droits de femmes, que pensent-ils des fausses couches qui ont augmenté de 300% à Gaza à cause des bombardements israéliens ou de la pénurie de serviettes hygiéniques pour les femmes qui ont leurs règles ? Ils ne se soucient pas d’elles. Il y a trois mois, il y avait 36 hôpitaux à Gaza, tous ont été bombardés [sur les 36, seuls 13 sont encore partiellement opérationnels, NDLR]. Chaque jour, le droit international est violé.

Vendredi 26 janvier

Ce matin, j’avais besoin de me vider la tête. Je suis resté dehors pendant trois heures, juste pour sentir le soleil. De retour sur mon téléphone, de nouveau les images, encore et encore ; encore de nouvelles atrocités. 

Mon événement concernant la grève de la faim – organisé avec le Réseau ADES – s’est joint au rassemblement à la Bourse. Mais la décision de la CIJ est tombée et elle s’avère décevante : toujours pas de cessez-le-feu. J’ai les nerfs. Cette déception, je l’ai aussi sentie chez d’autres. On espérait au moins un cessez-le-feu. Israël n’arrêtera donc pas de nous tuer. 

C’était malgré tout une soirée très forte en émotions : on a montré des vidéos de grévistes de la faim issu·es du monde entier et on a chanté notre hymne national. C’était assez émouvant de pouvoir prendre la parole, d’autant plus que je suis très faible et fatigué, et que c’est épuisant émotionnellement de se répéter tous les jours. Je ne veux pas parler de moi mais je veux utiliser ma voix pour défendre les intérêts de mon peuple. C’était important de montrer qu’il y a beaucoup de gens dans le monde qui mènent une grève de la faim pour Gaza en ce moment. On a utilisé un projecteur pour les afficher et on a relayé leur voix à travers le micro ; ça a souligné l’aspect mondial de l’action collective.

Ça fait presque 30 jours que j’ai commencé ma grève de la faim ; je peux tenir en au moins 40 – même si je commence à avoir du mal à marcher. Ou jusqu’à un cessez-le-feu permanent. 

Aujourd’hui, des pays comme les États-Unis, l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Australie, le Royaume-Uni, la Finlande et le Canada ont suspendu les fonds versés à l’UNRWA, ce qui montre une complicité et un soutien à la poursuite du nettoyage ethnique par Israël ainsi qu’à la violence brutale contre les civil·es palestinien·nes. Ils nous voient comme moins que des êtres humains. C’est clairement un acte de violence coloniale, qui vise délibérément à nous affamer et à nous condamner à mort, en nous enlevant le peu de soutien qu’on avait.

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Samedi 27 janvier

C’est dur, j’ai froid. Mon téléphone sonne constamment ; des messages, des appels, ma boîte mail est pleine. Je dois acheter plus de datas. J’utilise toutes les plateformes et je fais partie de beaucoup de groupes. Je traduis les messages dans différentes langues pour que tout le monde comprenne, je coordonne les personnes à l’étranger qui sont aussi en grève de la faim, je reste informé des actions en Belgique et à l’international, etc. On a besoin d’un cessez-le-feu de toute urgence. Chaque jour, on a besoin d’un cessez-le-feu. Chaque jour, on perd des âmes qu’on ne pourra jamais récupérer.

Dimanche 28 janvier

Je sens que je fais quelque chose de grand, qui attire l’attention des gens sur le massacre des civil·es et le génocide à Gaza. Je pense à ma famille en Palestine, à chaque fois que je pense à eux je pense directement à toutes les autres familles là-bas. Je pense aussi à ces médias qui se trompent (volontairement) depuis longtemps, qui alimentent depuis le 7 octobre la machine de propagande sioniste sans prêter attention à cette occupation – alors qu’elle dure depuis 76 ans dans la violence. On vit là notre seconde Nakba.

Lundi 29 janvier

Je vais bien. L’insomnie était là, encore une fois. Je suis resté éveillé, à regarder toutes ces images, à chercher encore et toujours à entrer en contact avec des gens pour leur dire au moins quelque chose, n’importe quoi qui puisse aller dans le sens de la libération de la Palestine. On doit atteindre les politiques, pousser plus, toujours pousser plus pour y arriver. On n’a pas le temps de s’arrêter. 

Ce soir, je vais assister à la projection de Yallah Gaza au Cinéma Aventure – et je prendrai la parole encore une fois.

Ma grève de la faim est symbolique, peu importe le nombre de jours qui s’écoulent, même si oui, ça devient de plus en plus difficile pour moi chaque jour. Mon action est une question de volonté, je veux que la Palestine soit libre, et la volonté et le dévouement c’est ce dont on a besoin pour réussir notre combat. Il faut pousser les gens à prendre conscience de l’urgence. C’est urgent et on doit agir en faveur de la libération. On ne peut pas normaliser la violence, on doit être humains, uni·es et mettre fin à l’apartheid.

On doit aussi lutter pour le Soudan, le Yémen, le Congo, les Ouïghour·es, les peuples aborigènes, les peuples indigènes, le Tigré, Hawaï et tous les peuples opprimés en quête de libération. J’ai besoin que tout le monde continue à parler de la Palestine, j’ai besoin que vous continuiez à manifester, à participer aux actions, à envoyer des e-mails aux politiques, à en parler, à vous organiser, à marcher ! On a besoin de vous ! Jusqu’à ce qu’on soit libres. Free Palestine !

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Faudrait-il renommer les partis politiques belges ?

À l’étranger ou au sein du pays, la complexité du champ politique en Belgique étonne souvent – quand il n’en n’écarte pas les gens tant ils sont perdus entre les trois régions, les différents niveaux de pouvoirs et les structures étatiques morcelées. Entre autres. 

Face à ce large tableau confus, les partis sont nos premières prises quand il s’agit de scène politique. Ils en sont évidemment la personnification. À l’échelle locale, ce sont eux qui sont présents lors de certaines manifestations, ce sont eux pour qui on doit voter sous peine d’amende et ce sont derrière leurs bannières que les politiques prennent la parole concernant les sujets qui nous touchent. 

Ce sont aussi eux dont les noms me font parfois sourciller, tant leur appellation me semble parfois éloignée de leur vision – ou en tous cas pas très cohérente avec l’image que j’en ai, certes subjective. Le temps que je philosophe sur la question, un parti aura sans doute même changé de nom. Alors, avant que mes interrogations ne se perdent dans le trou sans fond de mon cerveau, j’ai préféré contacter un spécialiste de la question.

Contrairement à moi, Thomas Legein est le genre de personne dont l’encéphale contient une connaissance accrue de la politique belge, ce qui lui permet de saisir un grand nombre de faits et d’enjeux liés à ce sujet. En tant que chercheur au Département de science politique à la Vrije Universiteit Brussel (VUB), son activité quotidienne consiste à étudier l’organisation des partis politiques belges et leurs transformations. 

On lui a demandé ce qu’évoque chez lui la question des noms de partis.

VICE : Y’a des aspects précis sur lesquels tu portes une attention particulière ?
Thomas Legein :
J’étudie les questions de démocratie au sens large mais je me spécialise surtout dans l’étude des partis politiques et, en particulier, des stratégies qu’ils mettent en place pour atteindre leurs objectifs ou pour s’adapter à un contexte qui leur est finalement de plus en plus hostile. Quand décident-ils de changer de président·e ? Pourquoi les partis choisissent-ils de se repositionner idéologiquement ? Quel serait l’intérêt pour eux d’inclure plus sérieusement les citoyen·nes dans leur prise de décisions internes et qu’est ce qui pourrait motiver ça ? Ce sont toutes des questions que je me pose et que j’essaie de mettre en lien avec le contexte dans lequel ils se trouvent. Les défaites électorales, les scandales ou encore le fait d’être renvoyé dans l’opposition après des années au pouvoir sont généralement des défis importants qui poussent les partis à répondre et à s’adapter à leur nouvelle réalité. Et c’est justement leur réponse qui m’intéresse.

Ce que fait Georges-Louis Bouchez au MR ou les enjeux auxquels font aujourd’hui face l’OpenVLD ou le CD&V en Belgique sont par exemple tout à fait intéressants pour moi. Mais on peut voir plus large. Ce qu’il se passe avec la NUPES et les partis qui les composent en France rentre aussi dans ce que j’étudie, et je parle même pas du bordel au sein du Parti Conservateur britannique, qui est une véritable mine d’or à étudier.

Il se passe quoi avec l’OpenVLD ou le CD&V au juste ?
On a là deux partis traditionnels en danger de mort, clairement. L’OpenVLD aurait dû à mon sens débuter une réflexion interne dès le lendemain des élections de 2019 pour éviter de tomber si bas dans les sondages. Malheureusement pour eux, Alexandre De Croo est devenu Premier ministre et le parti est donc totalement dédié à l’exercice du pouvoir. Ça a aussi créé un vide de leadership à la tête du parti, avec une succession de présidents moins connus censés tenir le fort le temps du mandat de De Croo. Le parti est donc incapable de procéder à une refonte nécessaire, à l’image du cdH par exemple, qui a choisi (ou a été forcé dans) l’opposition pour se concentrer sur sa transformation. Les cas Gwendolyn Rutten ou Els Ampe montrent les tensions internes qui existent à quelques mois des élections.

Le CD&V a déjà une réflexion un peu plus aboutie à ce propos. On a vu deux présidents de partis successifs, Joachim Coens et Sammy Mahdi, annoncer et procéder à des modifications de l’organisation interne du parti tout en réaffirmant leur attachement à certaines valeurs fondamentales des chrétiens-démocrates. Sammy Mahdi a également durci le ton en faisant prendre au CD&V un cap bien à droite, notamment sur des thématiques comme l’immigration. Les sondages sont désastreux pour l’ancien parti tout puissant. Les lignes bougent en conséquence, quitte à adopter les effets d’annonce à la N-VA ou Vlaams Belang.

Est-ce que le nom des partis politiques a déjà été un objet de réflexion pour toi ? 
Le nom d’un parti politique c’est hyper important, parce que c’est une sorte de mnémotechnique mais aussi de raccourci pour les électeur·ices – surtout quand il est assorti à une couleur. Un peu à l’image d’une métaphore. Quand on te parle du Parti socialiste, qui a un logo rouge, ça t’évoque directement – même inconsciemment – une série de symboles, de visages, d’idées, de valeurs voire de slogans que tu jugeras positivement ou négativement selon ton bord politique. C’est le premier marqueur idéologique que les gens rencontrent lorsqu’ils ont à faire avec un parti. Pour certains partis extrémistes et/ou populistes, ça peut par exemple être du coup très utile d’utiliser ça pour brouiller les pistes en adoptant des noms vagues comme Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne), qui pourrait être le nom d’un parti libéral classique, Vox, en Espagne, qui évoque à la fois l’idée transversale de « Voix » et à la fois rien de particulier, ou encore le parti polonais Droit et Justice qui mobilise deux thèmes majeurs des partis conservateurs classiques. On étudie au final très peu l’utilisation des noms par les partis politiques alors qu’il s’agit en fait d’un enjeu politique en soi.

J’ai récemment commencé un petit projet annexe avec un collègue, Arthur Borriello [de l’UNAmur], sur l’évolution des noms des partis politiques à travers le temps : est-ce qu’ils sont tous de plus en plus creux ou est-ce que c’est juste une impression ? La République en Marche en France, Juiste Antwoord 21 (« Juste réponse 21 ») aux Pays-Bas ou Azione (Action) en Italie : y’a de quoi s’interroger.

Et quelles grosses différences tu fais avec les noms plus anciens ? 
Dans les faits, c’est pour l’instant compliqué de dessiner de grandes tendances. L’idée de départ du projet nous est clairement venu du nouveau nom des Engagé.e.s [ex-cdH], mais aussi de certains éléments de langage ou de la communication de certaines personnalités politiques comme Emmanuel Macron. Où sont encore les marqueurs idéologiques et comment ils se traduisent dans le nom des partis modernes ? Il faut par contre noter que ça ne concerne pour l’instant pas une majorité de partis mais plutôt, souvent, de très vieux partis en grande difficulté ou de nouveaux acteurs fraîchement débarqués sur la scène politique.

C’est peut-être une idée reçue, et on espère pouvoir l’infirmer ou le confirmer, mais on a quand même l’impression que les anciens noms de parti se fixaient plus explicitement sur une valeur ou un concept clé du projet défendu. Aujourd’hui, brouiller les pistes paraît avoir la cote, de préférence en induisant l’idée de mouvement ou de pro-activité, comme si la considération principale des partis concernés était de montrer qu’ils s’opposent à l’immobilisme politique, dont ils seraient pourtant la cause si on suit leur logique.

Y’a un lien entre défaite électorale et nouvelle appellation ?
On a effectivement vite tendance à faire le lien entre une défaite électorale et changement de nom de parti. C’est rare de voir un parti politique qui gagne soudainement changer de nom, et c’est en même temps normal. Changer d’étiquette c’est prendre le risque de perdre l’attention d’une partie de l’électorat qui a bien le nom à l’esprit. Et puis si le parti gagne, ce nom est associé au succès. Changer de nom après une défaite, au contraire, c’est se distancier de cet épisode douleureux en envoyant un message de modernisation du parti sur la forme ou le contenu.

Mais un changement de nom peut survenir dans d’autres contextes. Dans le cas des Engagé.e.s par exemple, changer de nom était moins une question de réagir aux défaites électorales de 2018 et 2019 que de sortir de l’état de coma artificiel dans lequel le parti était depuis pas mal de temps. Les défaites étaient juste des cerises sur le gâteau. Aujourd’hui, le MR envisage très sérieusement de changer de nom. Pourtant, bien qu’il n’ait pas atteint ses objectifs électoraux aux dernières élections, on ne peut pas dire que le parti ait subi un véritable revers électoral au point de devoir renouveler son image auprès de l’opinion publique. Il s’agira-là, sauf surprise, de communiquer à l’électorat un nouveau positionnement politique ou de réaffirmer une valeur centrale défendue par le parti. Et ce projet fait plus suite à l’arrivée de Bouchez à la tête du parti qu’à un véritable défi politique posé aux libéraux. Et puis un changement de nom ne veut pas obligatoirement dire changer du tout au tout. En 2001, le Socialistische Partij (SP) belge est devenu le Socialistische Partij Anders (sp.a). La différence est minime mais le message est clair : montrer son ouverture à la société civile tout en marquant l’acceptation du principe d’économie de marché. Simple et efficace.

À propos du MR, tu disais dans un entretien sur la Revue Politique, qu’il était aujourd’hui plus conservateur que libéral, et que Bouchez incarne bien ce conservatisme – par sa méthode de communication notamment. J’ai aucune idée du terme autour duquel leur nouveau nom va s’articuler, mais j’imagine qu’il n’y a aucune chance pour qu’une référence au terme « conservateur » s’y retrouve, à la façon du parti de droite anglais… Est-ce que c’est une question culturelle ou l’enjeu se situe ailleurs ?
C’est évidemment impossible d’anticiper ce pour quoi le MR va opter… s’il change finalement de nom. Simplement évoquer la possibilité de changer peut aussi faire partie d’une stratégie de l’ambiguïté. Dans tous les cas, ce serait une faute politique de le changer si proche de la double échéance électorale qui nous attend en 2024.

Le MR n’a aucun intérêt à adopter une étiquette « conservateur » dans son espace politique même si on est pas à l’abri d’une surprise. Aucune force de droite ne lui pose véritablement de défi pour l’instant. Le parti a donc tout le loisir d’entretenir le flou tant qu’il s’assure que Les Engagé.e.s, maintenant plutôt situé au centre-droit de l’échiquier, ne vienne pas chasser sur ses plates-bandes. Au contraire, ça ne m’étonnerait pas justement que Bouchez – s’il est toujours président après les élections – cherche à remettre le terme de « libéralisme » en avant. De son point de vue, ses prédécesseurs ont volontairement abandonné le gimmick de « fier d’être libéral », à son plus grand regret. Quand je te parlais de la stratégie d’ambiguïté, on est ici face à un cas-type.

Tu penses qu’il devrait exister un cadre légal en ce qui concerne les noms ? 
Je pense pas qu’il faille encadrer légalement le choix des noms de partis. En Belgique, d’une manière ou d’une autre, la loi prévoit déjà l’interdiction de l’utilisation de noms explicitement offensants ou qui peuvent heurter. Après, tu rentres plus largement ici dans un débat plus philosophique sur la démocratie et les libertés politiques. Qu’il s’agisse du nom des partis, de leur financement ou de leur communication, à quel point l’État devrait se mêler de la manière avec laquelle les personnes engagées politiquement s’organisent et cherchent à faire prévaloir leur projet de société ? Puisque c’est ça, au final, un parti politique. Il n’y a pas de bonne réponse, tout le monde doit se faire une opinion là-dessus.

OK, mais parfois le nom ne reflète d’aucune manière le projet de société d’un parti – comme c’est le cas avec certains noms qu’on pourrait considérer comme trompeurs ou creux au mieux, comme tu le disais. Y’a quand même quelque chose d’un peu manipulatoire et malhonnête non ? 
Je pense qu’il est vraiment important de comprendre que le nom d’un parti politique est un enjeu politique en soi. Ils sont vraiment libres de choisir le nom qu’ils veulent et font passer des messages grâce à celui-ci. On est donc ici, t’as raison, dans la base même de la communication politique et, à ce jeu, certains partis sont moins scrupuleux dans leur stratégie d’entretenir le flou. 

On a récemment fait l’exercice avec une collègue d’identifier tous les partis libéraux à travers le monde uniquement sur base de leur nom. Et c’était un véritable casse-tête. Premièrement, certains se nomment explicitement libéraux mais sont en fait carrément conservateurs comme le Parti Libéral-démocratique japonais. Deuxièmement, beaucoup de ces partis n’utilisent pas le terme « libéral », et préfèrent ceux de « réforme », « liberté » ou « démocratie », comme le Parti démocratique luxembourgeois ou le Parti de la réforme estonien par exemple. Mais plus important encore, troisièmement, ça dépend évidemment du contexte. En Afrique du Nord ou en Asie, quasi aucun parti libéral n’utilise ce terme, au profit, justement, de ces idées de liberté et de démocratie. Aussi parce que le terme « libéralisme » peut être négativement connoté, comme aux États-Unis où il est utilisé par certains pour définir les gens « d’une certaine gauche ».

Là où je veux en venir, c’est qu’on pourrait décider de forcer les partis à utiliser des noms en lien avec ce qu’on considère être leur projet politique. Mais qui peut décider de la liste des mots qu’ils pourraient lier à leur conception de la société si ce n’est eux-mêmes ? 

D’ailleurs, c’est quoi être « libéral » au juste ? C’est devenu très confus et galvaudé comme terme non ?
Comme le nom d’un parti peut l’être, l’étiquette « libérale » est parfois mal utilisée, utilisée à tort et à travers ou utilisée pour des raisons stratégiques. La difficulté c’est que l’espace politique n’est pas divisé en deux pôles « Gauche – Droite » mais en quatre dimensions. Je vais pas rentrer dans les détails conceptuels ici, mais tu peux par exemple être « de gauche » (ou « progressiste ») sur des questions culturelles/de société, comme sur la question du droit à l’avortement, mais de droite sur des thématiques économiques comme le montant des taxes sur le travail. Ce qui différencie les libéraux de droite des conservateurs de droite aujourd’hui concerne principalement les questions sociétales alors que les deux défendent assez solidement les principes fondamentaux du capitalisme économique et son développement. L’enjeu de garder une appellation « libérale » pour un parti de droite est de paraître – qu’il le soit réellement ou non – progressif sur les enjeux contemporains. Le défi, c’est de montrer qu’on défend les libertés individuelles.

À ce jeu-là, tu peux par exemple très facilement différencier les discours de l’OpenVLD et de la N-VA en Flandre, cette dernière s’assumant assez comme force conservatrice. Et c’est là tout le confort du MR : le parti n’a pas de compétiteur de droite dans son espace politique actuel, alors il n’a pas besoin de choisir un camp ou l’autre, de marquer clairement la dimension du spectre politique dans laquelle il se trouve par rapport aux enjeux contemporains. Donc je pense qu’il a tout intérêt à garder une image, même si elle n’est plus fondée, de parti « libéral » même si le discours de Georges-Louis Bouchez, dans son contenu, positionne le parti comme force conservatrice.

On a parlé du MR, mais quid du PS ? On peut toujours le considérer comme socialiste ?
Le Parti socialiste n’est pas obligé de s’appeler parti socialiste, qu’il défende un programme de gauche ou non. Si l’on comprend le socialisme dans sa forme historique, comme pensée par Proudhon, Marx ou Engels par exemple, je dirais que non, le parti socialiste n’est plus socialiste. Si l’on comprend le socialisme dans sa forme moderne, c’est-à-dire telle que défendu par les partis socio-démocrates européens alors oui, le parti socialiste belge est un parti socialiste tout à fait classique. D’ailleurs, il est forcé de garder un message ancré à gauche pour éviter que le PTB ne prenne le lead sur des thématiques fondamentales du socialisme comme le travail ou la sécurité sociale. La différence aujourd’hui, pour caricaturer, est que les partis socio-démocrates – ou « de centre-gauche » – ont accepté la logique de marché et se limitent à chercher à en limiter les dégâts alors qu’auparavant les partis socialistes défendaient une logique politique et économique alternative au projet capitaliste.

Je ne pense pas que le parti ait intérêt à changer de nom à court terme puisqu’il reste pour l’instant la force dominante en Wallonie et à Bruxelles. Même au niveau européen on observe le parti socialiste belge comme symbole de la résilience de la sociale-démocratie là où de nombreux partis de gauche classique européens se sont effondrés. Une aura, positive pour certain·es, négative pour d’autres, subsiste autour de ce nom historique.

Justement, le PTB est vraiment un « Parti du travail de Belgique » selon toi ? Sans oublier Écolo, Les Engagés ou DéFi. Y’en a dont le nom te fait tiquer ?
Rien à redire sur le PTB ou Écolo. Leur nom est en adéquation avec leur projet politique et sont sans ambiguïté. Je suis plus partagé sur DéFi. Les initiales n’évoquent pas grand-chose et le parti n’a pas une aura assez large pour que l’opinion publique connaisse véritablement le nom complet derrière : Démocrate Fédéraliste Indépendant. 

Par contre, je trouve que le choix du nom Les Engagé.e.s est très drôle. Surtout en sachant que le parti a dépensé une petite fortune pour que des consultants en com’ brainstorment et arrivent avec cet ovni. C’est pour moi tout ce qu’il ne faut pas faire. Qui en politique n’est pas engagé·e ? Quelle(s) valeur(s) cardinale(s) guide(ent) le parti ? Quel est le projet derrière tout ça ? Ça sonne creux et ça n’évoque rien. En comparaison, le choix récent du sp.a de s’appeler Vooruit (« En avant ») est intéressant. Le nom est en lui-même tout aussi creux mais il résonne au moins avec une tendance plus large qu’on observe de plus en plus et, de manière intéressante, surtout chez les partis libéraux européens : une volonté de faire avancer les choses, d’inspirer un mouvement, de se bouger. Pour autant, l’aspect « valeurs politiques » est également absent et c’est pour moi une mauvaise stratégie. Est-ce que c’est une tendance qu’on verra chez de plus en plus de partis à l’avenir ? Je le pense, malheureusement.

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Grève de la faim : le récit d’Omar, jour par jour

Dans notre récent article sur les rassemblements qui se tiennent tous les soirs à Bruxelles en soutien au peuple palestinien, on notait l’absence d’Omar Karem. Ça fait quelques semaines maintenant qu’il ne vient plus – ou peu. 

Depuis le 31 décembre 2023, le journaliste palestinien a entamé une grève de la faim stricte sur le site de l’ULB. Il ne boit que de l’eau, avec du sel – ni bouffe ni vitamines ni aide médicale, juste le strict minimum pour ne pas mourir. Il dit vouloir n’y mettre un terme que lorsque des mesures claires à l’encontre d’Israël seront adoptées. L’arrêt du génocide en Palestine par un cessez-de-feu permanent, l’arrêt du transit de matériel militaire par la Belgique, l’accès à l’aide humanitaire et médicale à Gaza ou encore le recours à la Cour Pénale Internationale afin d’émettre des mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens pour « crimes de guerre » figurent parmi ses revendications. 

De manière générale, c’est l’absence de réactions politiques qui a plongé Omar dans cette initiative. Né à Gaza en 1983, il n’a jamais vu sa Palestine libre. C’est dans le champ du journalisme qu’il s’est d’abord battu pour la cause de son peuple – notamment depuis Bruxelles, où il a obtenu le droit d’asile – mais les limites de l’activisme écrit étant ce qu’elles sont, cette grève de la faim est son ultime recours pour porter plus loin la voix des siens. « Voir sur un écran des morts à des milliers de kilomètres ne provoque peut-être pas de réactions, mais qu’en sera-t-il si vous voyez un homme dépérir et mourir devant vos yeux, chez vous ? »  

Quelques médias ont relayé son action et certaines plateformes comme Humanity for Palestine et Palestinian Refugees for Dignity relaient régulièrement les dernières nouvelles. Mais il y a quelques jours, Omar nous a lui-même envoyé un message pour qu’on en parle aussi. On lui a proposé de tenir un journal pour donner un aperçu de ce en quoi consiste sa grève de la faim. 

Le contenu de cet article se base sur les discussions quotidiennes entre Omar et l’auteur, ainsi que sur des notes complémentaires apportées par Stephanie Collingwoode Williams, membre du groupe de soutien à Omar. 


Jeudi 18 janvier

Je n’arrive pas à dormir. Mon cerveau rumine, je me dis que ce monde est détraqué. C’est impossible de continuer à vivre normalement pendant que des millions de Palestinien·nes sont condamné·es à la mort et au silence. Tous les jours sont rythmés par une violence inimaginable. Quelle cruauté n’a pas encore été commise ? Et on se dit « bonne année », mais de quoi est-ce qu’on peut encore se réjouir ?

Le déchaînement militaire est intense : les bombes sur les hôpitaux, sur le bureau d’une agence de l’ONU, sur une église, les bombardements à Noël, au Nouvel An… Et encore, ce ne sont que des monuments. Parce qu’ils détruisent aussi tout ce qui reste de notre culture ; ils effacent notre mémoire, nos traditions, nos oliviers centenaires… C’est un effacement culturel. Et ils publient des photos de belles maisons au bord de la plage qu’ils vont construire, tout ça sans parler des vies ôtées, tant de vies ôtées.

Tout est soumis à la brutalité, au massacre, au génocide : le phosphore blanc, l’arrêt forcé des soins intensifs néonataux, les gens laissés là sans nourriture pendant que des camions chargés de dons alimentaires sont bloqués, internet coupé pour que le monde ne puisse pas voir les atrocités qu’ils commettent, les sources d’eau bétonnées, les enfants emprisonnées sans procès pour avoir jeté des pierres sur leurs chars, la torture dans leurs geôles… Ils font des vidéos dans lesquelles ils rient de notre douleur et ils laissent les civil·es suffoquer sous les décombres pendant qu’on essaie de les sauver en déblayant avec des tongs. Y’a pas un instant de répit.

La vie palestinienne, c’est devenu l’horreur au réel, et pourtant je vois encore des gens comme moi jouer avec leurs enfants pour les faire oublier, pour les faire sourire. On survit.

Vendredi 19 janvier 

Très tôt le matin, je suis allé à Louise, où se tenait un procès. Des familles originaires de Gaza ont attaqué l’État belge, et leurs avocat·es font pression pour arrêter la guerre, ouvrir les frontières à l’aide humanitaire et assurer la sécurité des civil·es. Je n’ai pas pu rester longtemps, je suis juste allé leur montrer mon soutien en personne.

Je me suis précipité du tribunal à mon local de l’ULB, où je devais faire une interview avec une personne à Londres, toujours dans la matinée. J’ai marché dans la neige, en poussant mon corps au-delà de ses limites. Ça fait 20 jours que j’ai commencé la grève de la faim, mon corps s’affaiblit, je dois parfois m’arrêter pour respirer et laisser la douleur s’atténuer. Mais mon corps est devenu mon outil de résistance et rien n’est plus important que de ça : rester focus sur la Palestine. 

L’interview s’est bien passée. On a fait une vidéo où j’expliquais encore la même chose – j’explique toujours la même chose, avec des mots différents. Je veux que les gens comprennent. 

Mon amie est venue chercher le lapin qu’elle m’avait prêté – le « lapin pour la Palestine » – qui m’a tenu compagnie pendant les premiers jours de mon occupation à l’ULB. C’était sympa d’avoir un animal avec moi. L’université veut me mettre dehors, et je dois me battre contre eux. Ils disent que c’est « à cause des examens » mais je suis loin [des bâtiments principaux du campus] et je ne dérange personne. J’ai demandé à des gens de venir me soutenir. On verra, on en reparlera la semaine prochaine.

Les collectifs [Zone neutre et Getting the voice out, NDLR] qui organisent une manif à Arts-Loi contre les violences en centre fermé m’ont invité à les rejoindre cet après-midi. En même temps, il y a aussi eu un événement au MedexMusem à Ixelles, où se tient une petite expo sur la cause palestinienne, avec de la nourriture palestinienne et une récolte de fonds pour envoyer de l’argent aux associations Gaza Sunbirds et Connecting humanity. J’essaierai d’y aller demain.

À 18 heures, j’ai rejoint le rassemblement quotidien dans le centre. Ils ont imprimé mon action sur des tracts et l’ont distribué aux gens. Souvent, une jeune femme prend le micro et parle à ma place pour expliquer en français en quoi consiste mon action. Le caddy propose toujours du thé et du café pour les manifestant·es. Je ne me suis pas éternisé, il faisait trop froid pour que je reste dehors trop longtemps. Prendre le bus et parcourir de longues distances devient assez difficile. Sans nourriture, mon corps ne peut plus aussi bien lutter contre le froid et ça devient de plus en plus compliqué de rester debout pendant plusieurs minutes.

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Samedi 20 janvier

Un entretien en live sur Instagram était prévu dans l’après-midi avec Ahmed Eldin [journaliste et ex-correspondant pour VICE] et Samuel Crettenand. Samuel est un activiste suisse, lui aussi en grève de la faim.

À l’ULB, des militant·es qui me soutiennent continuent de m’apporter de l’eau et du sel. En attendant le live, j’ai continué mes activités de sensibilisation en ligne et j’ai lu, essentiellement des articles à propos d’autres situations, d’autres mouvements de lutte à travers le monde : Soudan, Congo, Afrique du Sud ou encore Cuba. Nos luttes sont toutes unies, on se bat toutes et tous contre le même pouvoir colonial. Tout le monde doit être libre.

Vers 17 heures, j’ai rejoint le live avec Ahmed et Samuel depuis le MedexMusem. Samuel est en grève de la faim depuis une quarantaine de jours. Pendant le live, il a annoncé qu’il arrêtait. Il était en direct de la marche pour la Palestine à Genève. 

Autour de moi, les gens se sentent coupables de manger mais je leur assure que ça ne me dérange pas. Après le live, le collectif Artists4Palestine m’a donné la parole. J’ai parlé de ma grève de la faim pour pointer une nouvelle fois l’attention sur le génocide en cours. La soirée entière était dédiée au soutien à la Palestine. Je n’avais pas vraiment d’énergie pour parler, mais c’était important de le faire.

Je suis revenu en tram à l’ULB, dans ma prison. Il n’y a que le téléphone qui me donne l’impression d’être vivant ; ça me permet de voir le soutien qu’on m’adresse sur les réseaux sociaux. Les vigiles de l’ULB à la porte de l’immeuble me rappellent que je suis comme enfermé. J’ai pris contact avec des médecins bénévoles – vu que des associations comme la Croix-Rouge ou Médecins Sans Frontières refusent de m’aider – pour prévoir un rendez-vous demain histoire de faire un contrôle. J’ai aussi accroché deux drapeaux palestiniens à ma fenêtre, et un parapluie avec notre symbole, la pastèque, comme ça les gens sauront où je me trouve.

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Dimanche 21 janvier

Les nuits sont difficiles. Je les passe toujours essentiellement sur mon téléphone.

Je sais que c’est encore tôt pour avoir des problèmes médicaux sérieux, mais j’ai fait un contrôle de routine, juste histoire de vérifier ma température, l’état du sang et du cœur. Le médecin a dit que tout était « OK ».

À la manifestation [une grande marche s’est tenue à Bruxelles ce jour-là, NDLR], j’ai senti à quel point mon état de fatigue était lourd mais ça m’a fait du bien de voir des gens. Malgré la météo, des milliers de personnes sont venues. Ça me rappelle les images des gens qui ont marché dans le monde entier et qui continueront à marcher jusqu’à ce que la Palestine soit libre. Comme l’a dit Nelson Mandela : « Nous savons très bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens. » On les avait soutenu·es ; aujourd’hui les Sud-Africain·es nous soutiennent devant la Cour internationale de Justice (CIJ). Ce seront toujours les peuples opprimés qui se battront pour les autres peuples opprimés.

Il faisait froid à la manif, je ne peux plus faire ce genre de choses trop longtemps. J’ai heureusement pu rester dans la voiture d’une connaissance pendant une grande partie de la marche. J’ai aussi trouvé quelques personnes qui me soutiennent et qui m’ont aidé à tenir ma banderole. Les manifestant·es s’arrêtaient pour la prendre en photo – mon message et mon appel à l’action étaient écrits dessus. Certaines personnes sont venues me remercier et me dire que ce que je fais est courageux. J’ai essayé de prendre la parole sur le podium, entre les discours et l’autopromotion politique – dont le PTB –, mais ils ne m’ont pas laissé faire. Certains partis comme le PTB ne veulent pas me laisser parler mais ils veulent quand même utiliser mon image – moi en tant que Palestinien – pour se promouvoir. Je suis vraiment déçu de la position des partis politiques, ça me rappelle aussi quand j’ai été expulsé de la Chambre lors de la journée de commémoration des génocides le 8 décembre. Ils ne m’ont pas non plus laissé parler de la Palestine et un parti de droite m’a pris mon micro et a appelé la police pour m’arrêter. Michel De Maegd [membre du MR et député fédéral, NDLR] s’en est non seulement pris à moi le jour même, mais il a aussi continué sur X, où il a menti en ajoutant des éléments qui ne se sont pas produits.

On m’a ramené à l’ULB après la manif. Je continue ma lutte et ma grève de la faim.

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Lundi 22 janvier

J’ai perdu quasiment 17 kilos en trois semaines. J’ai de moins en moins d’énergie. Mon sommeil est fragmenté en plusieurs siestes tout au long de la journée.

J’ai fait un live sur Tiktok – c’est une plateforme utile, les gens y trouvent de bonnes infos sur la Palestine. Par contre, Facebook et Instagram suppriment et censurent souvent les contenus pro-palestiniens.

Chaque jour, je parle avec d’autres personnes qui participent au mouvement international de grève de la faim, Hungerstrike4Gaza, pour voir comment elles vont. C’était sympa de parler avec des gens qui comprennent. On a discuté des prochaines étapes et on a aussi pris contact avec une Indonésienne qui a entamé une grève de la faim. C’était son premier jour ; on a voulu la soutenir, lui montrer qu’elle n’est pas seule.

J’ai quand même trouvé assez de force pour me rendre à l’ambassade de l’Afrique du Sud à Trône, pour les remercier symboliquement. On a apporté nos keffiehs et des broderies palestiniennes pour les offrir – cadeau de solidarité et signe de respect. Les portraits de Yasser Arafat et Nelson Mandela figuraient sur certaines pancartes. Notre interlocutrice de l’ambassade nous a dit qu’on ne faisait qu’un, qu’on était ensemble dans ce combat. On était heureux de brandir le drapeau sud-africain à côté du nôtre. C’était un moment de joie et de solidarité.

Mardi 23 janvier

Mentalement, c’est un petit OK. En tous cas pas suffisant pour faire face aux problèmes de l’administration universitaire et aux services de sécurité. Ma revendication politique n’est peut-être pas assez claire pour eux… 

Sanad [Latifa] vient de partir. Il est venu prendre des photos pour l’article. 

C’est aussi avec tristesse que j’ai vu sur les réseaux sociaux que des familles, et notamment des journalistes, essayaient de trouver des moyens de quitter Gaza à tout prix. Motaz [Azaiza] quitte Gaza – il avait reçu beaucoup de menaces de mort de l’armée israélienne. Bisan [Owda] reste sur place, tout comme Lama [Abujamous, une Palestinienne de 9 ans, la « plus jeune journaliste palestinienne », NDLR] et Mansour [Shouman, porté disparu. Il aurait été capturé par l’armée israélienne, mais l’information n’a pas été confirmée, NDLR]. Jamais autant de journalistes n’ont été tué·es en si peu de temps. 

Si vous ne mourez pas de vos blessures, vous mourrez de faim. Gaza connaît en ce moment la pire famine au monde [en termes de proportion et non de personnes touchées, NDLR], les gens ont commencé à manger de la nourriture animale. Et les animaux qui n’ont pas de nourriture commencent à manger des morceaux de cadavres dans la rue. C’est triste de voir ça et de ne pas pouvoir aider. Je vois ces images en direct tous les jours.

Mercredi 24 janvier

Je bois plus ou moins deux litres d’eau salée par jour.

Je suis resté quasiment toute la journée dans mon local. Dans l’après-midi, la députée européenne espagnole Ana Miranda est venue me rendre visite. Elle nous a proposé de nous aider à obtenir plus de visibilité médiatique pour notre cause. D’ailleurs, elle va m’aider [avec d’autres eurodéputé·es de son groupe Les Verts/ALE et du Groupe de la Gauche, NDLR] à prendre la parole au Parlement européen la semaine prochaine, le 30.

Concernant l’ULB et les gardes de sécurité, on est toujours en discussion pour voir si je peux encore rester ou pas. Chaque semaine, je négocie avec eux. Ils me refusent des visites, vérifient les cartes d’identité des personnes qui viennent… Certains d’entre eux me compliquent la vie.

J’essaie de me tenir prêt mentalement pour vendredi : la CIJ va rendre sa décision concernant la plainte de l’Afrique du Sud contre Israël pour dénoncer le génocide. J’aurais voulu aller à La Haye [où siège le CIJ] mais j’étais tellement fatigué que partir m’est impossible. Je suis triste de ne pas pouvoir partager ce moment avec le groupe de grévistes de la faim aux Pays-Bas.

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Jeudi 25 janvier

Aujourd’hui c’était une journée un peu dure, comme hier. Mon ventre me fait très mal. 

J’avais vraiment envie de prendre une douche. Mon amie Christy, qui s’occupe un peu de moi, est passée ce matin et m’a laissé prendre une douche chaude chez elle. Je lui en suis reconnaissant.

Même si je me sens faible, il fallait que je sorte un peu. Avec les gardes à la porte, j’ai toujours cette impression d’être en prison qui me reste. Il y avait une collecte de vêtements pour les réfugié·es, y compris pour les Palestinien·nes. J’y suis allé avec Christy qui voulait faire don ; on y a rencontré des gens de différentes communautés.

Je continue de contacter des gens sur les réseaux. Certains répondent, d’autres me bloquent. D’autres encore m’assurent qu’ils se sentent concernés par les droits humains mais donnent juste l’impression de s’en foutre des Palestinien·nes tué·es chaque jour. Et les gens qui se disent soucieux des droits de femmes, que pensent-ils des fausses couches qui ont augmenté de 300% à Gaza à cause des bombardements israéliens ou de la pénurie de serviettes hygiéniques pour les femmes qui ont leurs règles ? Ils ne se soucient pas d’elles. Il y a trois mois, il y avait 36 hôpitaux à Gaza, tous ont été bombardés [sur les 36, seuls 13 sont encore partiellement opérationnels, NDLR]. Chaque jour, le droit international est violé.

Vendredi 26 janvier

Ce matin, j’avais besoin de me vider la tête. Je suis resté dehors pendant trois heures, juste pour sentir le soleil. De retour sur mon téléphone, de nouveau les images, encore et encore ; encore de nouvelles atrocités. 

Mon événement concernant la grève de la faim – organisé avec le Réseau ADES – s’est joint au rassemblement à la Bourse. Mais la décision de la CIJ est tombée et elle s’avère décevante : toujours pas de cessez-le-feu. J’ai les nerfs. Cette déception, je l’ai aussi sentie chez d’autres. On espérait au moins un cessez-le-feu. Israël n’arrêtera donc pas de nous tuer. 

C’était malgré tout une soirée très forte en émotions : on a montré des vidéos de grévistes de la faim issu·es du monde entier et on a chanté notre hymne national. C’était assez émouvant de pouvoir prendre la parole, d’autant plus que je suis très faible et fatigué, et que c’est épuisant émotionnellement de se répéter tous les jours. Je ne veux pas parler de moi mais je veux utiliser ma voix pour défendre les intérêts de mon peuple. C’était important de montrer qu’il y a beaucoup de gens dans le monde qui mènent une grève de la faim pour Gaza en ce moment. On a utilisé un projecteur pour les afficher et on a relayé leur voix à travers le micro ; ça a souligné l’aspect mondial de l’action collective.

Ça fait presque 30 jours que j’ai commencé ma grève de la faim ; je peux tenir en au moins 40 – même si je commence à avoir du mal à marcher. Ou jusqu’à un cessez-le-feu permanent. 

Aujourd’hui, des pays comme les États-Unis, l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Australie, le Royaume-Uni, la Finlande et le Canada ont suspendu les fonds versés à l’UNRWA, ce qui montre une complicité et un soutien à la poursuite du nettoyage ethnique par Israël ainsi qu’à la violence brutale contre les civil·es palestinien·nes. Ils nous voient comme moins que des êtres humains. C’est clairement un acte de violence coloniale, qui vise délibérément à nous affamer et à nous condamner à mort, en nous enlevant le peu de soutien qu’on avait.

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Samedi 27 janvier

C’est dur, j’ai froid. Mon téléphone sonne constamment ; des messages, des appels, ma boîte mail est pleine. Je dois acheter plus de datas. J’utilise toutes les plateformes et je fais partie de beaucoup de groupes. Je traduis les messages dans différentes langues pour que tout le monde comprenne, je coordonne les personnes à l’étranger qui sont aussi en grève de la faim, je reste informé des actions en Belgique et à l’international, etc. On a besoin d’un cessez-le-feu de toute urgence. Chaque jour, on a besoin d’un cessez-le-feu. Chaque jour, on perd des âmes qu’on ne pourra jamais récupérer.

Dimanche 28 janvier

Je sens que je fais quelque chose de grand, qui attire l’attention des gens sur le massacre des civil·es et le génocide à Gaza. Je pense à ma famille en Palestine, à chaque fois que je pense à eux je pense directement à toutes les autres familles là-bas. Je pense aussi à ces médias qui se trompent (volontairement) depuis longtemps, qui alimentent depuis le 7 octobre la machine de propagande sioniste sans prêter attention à cette occupation – alors qu’elle dure depuis 76 ans dans la violence. On vit là notre seconde Nakba.

Lundi 29 janvier

Je vais bien. L’insomnie était là, encore une fois. Je suis resté éveillé, à regarder toutes ces images, à chercher encore et toujours à entrer en contact avec des gens pour leur dire au moins quelque chose, n’importe quoi qui puisse aller dans le sens de la libération de la Palestine. On doit atteindre les politiques, pousser plus, toujours pousser plus pour y arriver. On n’a pas le temps de s’arrêter. 

Ce soir, je vais assister à la projection de Yallah Gaza au Cinéma Aventure – et je prendrai la parole encore une fois.

Ma grève de la faim est symbolique, peu importe le nombre de jours qui s’écoulent, même si oui, ça devient de plus en plus difficile pour moi chaque jour. Mon action est une question de volonté, je veux que la Palestine soit libre, et la volonté et le dévouement c’est ce dont on a besoin pour réussir notre combat. Il faut pousser les gens à prendre conscience de l’urgence. C’est urgent et on doit agir en faveur de la libération. On ne peut pas normaliser la violence, on doit être humains, uni·es et mettre fin à l’apartheid.

On doit aussi lutter pour le Soudan, le Yémen, le Congo, les Ouïghour·es, les peuples aborigènes, les peuples indigènes, le Tigré, Hawaï et tous les peuples opprimés en quête de libération. J’ai besoin que tout le monde continue à parler de la Palestine, j’ai besoin que vous continuiez à manifester, à participer aux actions, à envoyer des e-mails aux politiques, à en parler, à vous organiser, à marcher ! On a besoin de vous ! Jusqu’à ce qu’on soit libres. Free Palestine !

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La liste politique des livres sur la Palestine, par la librairie Météores

Des premières oppressions classistes du 12ème siècle aux manifestations pour le suffrage universel, la Bataille ou l’Opération matelas, le quartier des Marolles à Bruxelles a forgé son identité de haut lieu de résistance, au fort ancrage socialiste. La police y a sorti les fusils à maintes reprises au cours des derniers siècles, dans l’espoir de faire taire les différentes contestations. 

Aujourd’hui, même si le nombre important de logements sociaux évite aux Marolles de disparaître sous les projets de modernisation enclenchés par la machine capitaliste, les premières pierres de la gentrification sont posées depuis un petit temps, entre galeries d’art aux oeuvres dégueulasses et logements privés aux prix élevés – le quartier du Sablon n’est pas loin.

Dans ce qu’il reste de cet îlot historique, la librairie Météores continue de faire exister l’âme militante du quartier, au 207 de la rue Blaes, au rez-de-chaussée du bâtiment auquel est accrochée une imposante enseigne en fer « Palais du PANTALON ». « La librairie est née en septembre 2020 d’un constat : les nouveaux plans d’urbanisme faisaient disparaître les lieux dans lesquels nous pouvions encore ralentir le temps et nous voir en dehors de nos disciplines et catégories quotidiennes », dit le texte de présentation sur leur site.

La sélection des frères Sanli est composée de livres qui les animent, orientée par leurs sensibilités politiques. Entre les numéros du Pavé dans les Marolles et les premières publications de leur propre catalogue en tant qu’éditeur, des gros noms côtoient ceux plus confidentiels ou émergents, comme Alèssi Dell’Umbria, Julien Talpin, Jean-Marc Rouillan, Irene ou tienstiens

Alors que le massacre perdure en Palestine, la propagande sioniste scabreuse du gouvernement israélien est toujours poussée à la télé et sur internet à coups d’investissements colossaux. Pour contrer le bourrage de crâne, ou simplement pour vous informer mieux, vos onglets ont certainement dû se multiplier ces derniers mois, à tel point qu’il y avait peut-être trop à lire sur votre navigateur, dans la hâte et sans direction claire – tout ça pour une lecture tronçonnée des faits et enjeux dont il est question. 

Je me suis moi-même pris la tête avec des gens sur les réseaux sociaux, dont les pseudo-arguments boiteux semblaient moins refléter une bêtise pure qu’une compréhension morcelée ou déviée. Dans ces cas-là, se poser hors écran pourrait peut-être constituer un cadre plus propice à l’analyse, dans une temporalité différente (c’est un conseil appuyé à qui se reconnaîtra). En tous cas, si la flemme gagne, le livre en tant qu’objet laisse au moins la possibilité physique d’y revenir plus tard.

Pour retrouver des bases saines dans ce marasme intellectuel, on a sollicité les conseils de Renaud-Selim Sanli. Il nous a dressé une liste de quelques références importantes qui permettent d’y voir plus clair. Ses commentaires personnels sont écrits entre guillemets.

Oeuvres – Écrits politiques, théâtre, poésie et nouvelles de Mohamed Boudia  (Premiers Matins de Novembre) 

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« On connaît trop peu Mohamed Boudia, poète, dramaturge et écrivain algérien, mais surtout militant politique, qui fait le pont entre la cause algérienne et la cause palestinienne. »

Homme d’engagement, d’action et de théâtre, Boudia lie très tôt ces trois aspects de sa vie. Il fait notamment sauter à l’explosif un pipeline à Marseille, monte des pièces aux Baumettes pour sensibiliser à la cause du FLN et sortir ses pairs de l’emprisonnement psychologique, avant de littéralement s’évader et rejoindre le FPLP. Il en deviendra d’ailleurs l’un des membres les plus actifs en France et en Europe, si bien que son nom sera vite ajouté à la liste des cibles à abattre du Mossad. Après avoir fait exploser d’autres lieux en Europe et en Israël liés au sionisme (un dépôt de carburant israélien à Rotterdam, par exemple), il est finalement assassiné en 1973 à Paris, à l’âge de 41 ans.

« Ce qui est important dans ses écrits, c’est la place qu’il donne à des disciplines esthétiques, littéraires ou culturelles dans un projet révolutionnaire – ce qui nous montre aussi qu’a lieu en ce moment une extermination culturelle de la Palestine. Il pose la question majeure de la place de l’esthétique dans la révolution mais aussi dans les projets d’indépendance et de libération post-révolution. »

Je ne partirai pas – mon histoire est celle de la Palestine de Mohammad Sabaaneh (Alifbata)

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« Comme une fatalité, la BD de l’auteur palestinien Mohammad Sabaaneh est sortie en septembre 2023, soit peu de temps avant l’offensive du Hamas et l’extermination en cours opérée par l’État d’Israël. »

« Le livre raconte le caractère quasi-carcéral de la Palestine telle qu’elle existe maintenant, les déboires d’une population enfermée et, malgré tout, les beautés qui font que les habitant·es tiennent profondément à leur terre ancestrale. La BD de Sabaaneh nous montre ce refus viscéral de partir, qui concerne pourtant un peuple martyrisé sous les yeux de tous et toutes depuis 70 ans. »

Gaza (articles pour Haaretz, 2006-2009) de Gideon Lévy (La Fabrique)

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Le journaliste Gideon Lévy ne se déplace plus sans garde du corps. C’est ce qui arrive quand on fait partie des voix dissidentes les plus importantes en Israël. Il fait d’ailleurs partie de la direction d’Haaretz, le plus grand quotidien de gauche là-bas.

« C’est une voix de gauche israélienne, et qui parle de Gaza aux Israélien·nes, ainsi que des horreurs commises par Tsahal et les dirigeants ultra-nationalistes en place – des crimes de guerres, voire de crimes contre l’humanité. » 

Ce livre, publié par La Fabrique, présente des articles écrits sur Haaretz entre 2005 et 2009. « Ces articles gardent toute leur actualité et luttent contre l’indifférence des Israélien·nes mais aussi la nôtre, en miroir. C’est un rare exemple contemporain de journalisme de combat. »

Stratégie pour la libération de la Palestine du FPLP (Foreign Language Press)

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L’organisation marxiste révolutionnaire occupe une place centrale dans l’histoire de la Palestine. Mais son influence s’est considérablement dégradée au fil des dernières décennies, ce qui a laissé davantage de place et de pouvoir au Fatah et au Hamas. Malgré tout, ses militant·es continuent à porter l’espoir d’une Palestine libre à travers leur lutte.

« Peu accessible en français, la maison d’édition marxiste Foreign Language Press est la seule à avoir jusqu’ici publié et réuni en français les textes du FPLP pour une stratégie de la libération de la Palestine. Ces textes sont importants historiquement, mais aussi pour le présent, pour nous rappeler qu’il a existé et existe encore des tentatives révolutionnaires internationalistes en Palestine – comme Samidoun par exemple. »

L’affaire Georges Ibrahim Abdallah de Saïd Bouamama (Premiers Matins de Novembre)

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« Comment ne pas parler de la cause palestinienne sans parler de Georges Ibrahim Abdallah ? » Militant communiste libanais, Abdallah est l’une des figures historiques du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) et de la Fraction armée révolutionnaire libanaise (FARL). C’est avec ces groupes qu’il s’est engagé en faveur des causes palestinienne et libanaise. « [Au sein du FPLP,] il était le chef des opérations extérieures depuis la France, où il a mené plusieurs actions révolutionnaires contre l’impérialisme américain, au nom de la libération de la Palestine. »

Enfermé depuis bientôt quarante ans – ce qui en fait le plus ancien prisonnier politique d’Europe –, il multiplie les demandes de libération mais la France reste inflexible. « Pourtant, il est légalement libérable sous conditions, mais les nouvelles lois antiterroristes françaises donnent un “appui légal” au gouvernement pour empêcher sa sortie. »

« Le récit de la vie de Georges Ibrahim Abdallah, écrit par le militant marxiste antiraciste Saïd Bouamama, raconte non seulement l’histoire des luttes de la Palestine, de ses alliances et de la répression internationale, mais aussi du prix à payer quand on lutte pour une Palestine libre. »

Le film Fedayin, le combat de Georges Ibrahim Abdallah raconte aussi son parcours. 

Derrière les fronts – Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation de la Dr. Samah Jabr (Premiers Matins de Novembre)

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La Dr. Samah Jabr est une figure majeure dans le domaine de la psychiatrie. Après avoir obtenu son diplôme de médecine générale, elle se spécialise dans différents pays du monde, avant d’être nommée responsable de l’Unité de santé mentale au ministère palestinien de la Santé. Elle pratique en Cisjordanie et articule notamment son activité autour des dommages psychologiques provoqués par l’occupation israélienne. 

« Dans la lignée de Frantz Fanon qui analysait les séquelles médicales et psychiatriques sur les personnes colonisées à partir de sa pratique en Algérie, elle montre très clairement les impacts psychiques des politiques ethnocides et coloniales de l’État d’Israël. La détresse psychique est aussi une politique délibérément contre-révolutionnaire, puisqu’elle mène à l’abattement ou à une intériorisation de la violence qui se déchaîne contre soi plutôt que dans une optique d’indépendance. »

Le livre, publié chez Premiers Matins de Novembre, compile certains textes rédigés par la Dr. Jabr depuis 2003. « Très clairement dans l’optique d’une libération et une indépendance de la Palestine, elle cherche dans ses chroniques la possibilité d’une paix avec les Israélien·nes, sans pour autant trouver un acteur crédible avec qui dialoguer. Elle rappelle notamment que la gauche laïque israélienne est une gauche qui n’a pas hésité à s’allier historiquement à la bourgeoisie impérialiste. »

Le documentaire Derrière les fronts : résistances et résiliences en Palestine d’Alexandra Dols présente aussi son travail.

Prisonnier de Jérusalem – Un détenu politique en Palestine occupée de Salah Hamouri (Libertalia) 

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Ses multiples arrestations par les services de sécurité israéliens au cours des deux dernières décennies rendent considérablement dense la page Wikipédia de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri. « Il a été détenu plus de dix ans dans les prisons israéliennes pour des faits qu’il n’aurait pas commis. En 2022, il a été inculpé par un tribunal militaire puis sous détention administrative, donc sans réel jugement, avant d’être déporté en France sans possibilité de retour. »

La révolution captive de Nahla Abdo (Blast)

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« Un slogan circule actuellement concernant les otages israélien·nes : “Bring them back home”. La demande est légitime à l’égard du pouvoir sioniste en Israël, mais il faudrait aussi pouvoir rappeler tou·tes les palestinien·nes retenu·es sans procès dans les prisons israéliennes aussi – dont des mineur·es. » 

Depuis 1967, 40% d’hommes palestiniens auraient été incarcérés par Israël à un moment de leur vie. À la mi-décembre 2023, on parlait de près de 7 000 Palestinien·nes détenu·es dans les geôles israéliennes – dont plus de 2 000 sans inculpation ni procès, pour qui la détention est renouvelée tous les six mois, sur plusieurs années parfois. En ce qui concerne les mineur·es d’âge, les autorités israéliennes procèdent chaque années à l’arrestation de pas moins de 700 enfants et ados.

« Ces politiques d’incarcérations sont aussi une atteinte grave aux droits des femmes. Pourquoi exclure la cause palestinienne de la cause féministe quand tant de femmes sont incarcérées quotidiennement ? Ou encore quand les conditions mêmes de l’occupation israélienne – ou de ses politiques d’anéantissement actuelles – leur refusent tous les droits élémentaires ? »

Nahla Abo a elle aussi connu la prison. Dans son livre La révolution captive, la sociologue palestinienne montre, sur base d’enquêtes de terrain, que les femmes palestiniennes combattent depuis près d’un siècle le colonialisme et sont toujours actives dans la révolution pour la libération de la Palestine. Pour ces raisons, des milliers d’entre elles ont été emprisonnées par Israël – dans des conditions inhumaines et sans procès. 

« Ça va à l’encontre d’un discours dominant orientaliste et islamophobe qui les cantonneraient à être “les femmes des terroristes”. Elles sont considérées en Palestine comme des prisonnières politiques aux mêmes égards que les hommes palestiniens. Les tortures sexuelles font partie des outils de domination de l’armée israélienne qui contrôlent les prisons politiques. L’autrice revient aussi de manière salutaire et historique sur la place des femmes dans les différents moments de soulèvement et d’Intifada. »

Boycott, Désinvestissement, Sanctions d’Omar Barghouti (La Fabrique)

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Originaire d’une famille palestinienne de Jordanie, Omar Barghouti est le cofondateur de la campagne BDS (le mouvement est aussi présent en Belgique, notamment à l’ULB). Dans son analyse, le militant analyse la colonisation israélienne sur le modèle de l’apartheid en Afrique du Sud. « De manière complémentaire aux luttes de libération, Barghouti propose une voie pacifique, non-violente et internationale contre les colonies israéliennes et leurs soutiens institutionnels : celui du Boycott, du Désinvestissement et des Sanctions économiques, politiques, culturelles et institutionnelles. »

Avec BDS, il s’agit d’affaiblir les acteurs israéliens qui soutiennent les colonies – des universités aux entreprises –, mais aussi de peser sur l’économie des entreprises internationales, entre autres, « pour que celles-ci se désengagent progressivement de leurs politiques de soutien au projet de colonisation en Palestine ». « Ces derniers mois, on a pu voir McDonald’s, Zara, Starbucks ou encore Carrefour subir d’importantes pertes en raison de leurs politiques économiques pro-Israël. »

Les Blancs, les Juifs et nous – Vers une politique de l’amour révolutionnaire d’Houria Bouteldja (La Fabrique)

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Si le livre prend le ton polémique de l’essai, on a rarement vu une telle levée de boucliers, voire de campagne de dénigrement, à l’encontre de Houria Bouteldja, à gauche comme à droite. « Pourtant ce que l’autrice tente ici était tant nécessaire qu’attendu : il faut comprendre le champ politique blanc comme une pyramide d’oppressions qui se nouent l’une à l’autre à travers les questions raciales. »

« Pour Bouteldja, historiquement, les Juif·ves ne sont pas blanc·hes, mais à travers l’instrumentalisation blanche de la guerre entre Israël et la Palestine, un écart politique risque de se creuser entre indigènes issu·es des colonies et les groupes politiques juifs. Par cette instrumentalisation blanche, les pouvoirs en place tentent de faire régner l’idée selon laquelle l’antisémitisme serait le fait principalement des populations arabo-musulmanes. Cette instrumentalisation permet en retour d’opprimer davantage les populations arabo-musulmanes, sans pour autant s’attaquer aux racines de l’antisémitisme profondément occidentales.* »

« À la suite d’autres militant·es pro-palestinien·ne, elle rappelle l’importance de la libération palestinienne pour les peuples du Sud global. La question de la libération de la Palestine reste une question politique structurant le champ blanc ou du Nord global, c’est ce qu’elle appelle : “la preuve par la Palestine”. Il suffit de voir les pays en faveur de la plainte de l’Afrique du Sud à la Cour internationale de justice qui condamne Israël de génocide. Pas un seul pays du Nord global ne soutient la résolution. »

Israël, Palestine – L’égalité ou rien d’Edward Saïd (La Fabrique)

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« On connaît le célèbre théoricien palestinien Edward Saïd pour L’orientalisme, dont le sous-titre explicite donne le contenu : L’Orient créé par l’Occident. Ce qu’on sait parfois moins, c’est que cet intellectuel “en exil” était aussi un fervent défenseur de la cause de sa terre et de son pays. Très influencé par la proposition de Walter Benjamin selon laquelle “il n’existe aucune preuve de civilisation qui ne soit en même temps une preuve de barbarie”, Saïd va combattre sans relâche les fantasmes culturels coloniaux et leurs impacts politiques concrets. »

En 1979, un an après avoir publié L’Orientalisme – qui est d’ailleurs encore considéré comme l’un des textes majeurs des études postcoloniales –, Saïd écrit un autre ouvrage important, The question of Palestine. En 1995, il écrit Peace and its Discontents: Essays on Palestine in the Middle East Peace Process

« Y’a encore trop peu de ses livres qui sont disponibles en français. L’ouvrage publié par La Fabrique reprend les articles de presse de Saïd en faveur de la cause palestinienne et ses liens avec les réseaux palestiniens – notamment des textes écrits à la suite des accords d’Oslo. C’est l’un des premiers livres sur la Palestine publié par La Fabrique, qui est l’un des éditeurs en France qui a le plus déblayé la voie pour une critique radicale des politiques israéliennes et de ses soutiens. »

À travers les murs – L’architecture de la nouvelle guerre urbaine d’Eyal Weizman (La Fabrique)

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« Dans la lignée de travaux qui nous montrent que l’architecture est un art de la guerre coloniale, ce livre explique comment l’armée d’occupation israélienne à pu repenser ses stratégies militaires à partir d’une expertise architecturale des territoires occupés de Palestine. »

En gros, la quatrième de couverture explique qu’en 2002, l’armée israélienne a adopté une tactique inédite pour son offensive militaire : passer à travers les murs et les planchers, à l’intérieur des immeubles, au lieu d’arpenter les rues, en extérieur. On parle de  « géométrie inversée » ou même de « tournant postmoderne » dans la guerre en milieu urbain. « Ce qu’il y a d’autant plus étonnant, c’est l’utilisation très libre et détachée de philosophies contemporaines – comme Debord, Deleuze et Guattari – par Tsahal pour penser leurs nouvelles politiques de d’occupation et d’interventions militaires criminelles en Palestine. »

L’architecte israélien Eyal Weizman est l’un des fondateurs de Forensic Architecture, un groupe de recherche multidisciplinaire qui enquête sur des cas de violence d’État et de violations de droits humains. Le laboratoire utilise des techniques et des technologies architecturales comme des logiciels de reconstruction, d’outils statistiques, d’analyses météorologiques ou acoustiques, entre autres, pour recouper une variété de sources de preuves. « Ils et elles ont notamment pu travailler sur les homicides volontaires de Frontex en Méditerranée – qui laisse littéralement mourir des centaines de personnes quotidiennement, en les laissant couler. »

La politique du bulldozer – La ruine palestinienne comme projet israélien de Léopold Lambert (B2)

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Léopold Lambert est aussi architecte, en plus d’être le fondateur et rédacteur-en-chef de The Funambulist, une revue critique et décoloniale d’architecture.

« Son premier ouvrage traite, de manière complémentaire au livre de Weizman, des politiques de destruction architecturale d’Israël en Palestine occupée. Par un aller-retour entre architecture sioniste et destruction de la Palestine, il nous montre aussi que la politique de bombardements et de destruction n’est pas gratuite ou non-réfléchie, en témoigne les arguments répétés d’Israël selon lesquels les Palestinien·nes utilisent leurs bâtiments civils et maisons comme des bases militaires, comme des boucliers pour les forces armées. Ces arguments permettraient de créer des “bases légales” à la destruction massive de Gaza. »

Dans ce court essai – 72 pages –, Lambert revient sur l’histoire des destructions répétées dans l’histoire de la Palestine occupée. Le « bulldozer » du titre fait référence à Ariel Sharon, dont c’était l’un des surnoms – au hasard, « Roi d’Israël » en était un autre. « Lambert analyse la destruction de la Palestine comme le cœur d’une politique architecturale contre-insurrectionnelle, qui laisse la population face à des territoires dévastés, parfois toxiques, qu’elle doit à chaque fois tenter de reconstruire. Cette politique des débris participe aussi d’une impossibilité d’une politique palestinienne sur le long cours. »

La résistance des bijoux – Contre les géographies coloniales d’Ariella Aïsha Azoulay (Rot Bot Krik)

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En fouillant dans des documents personnels quand son père meurt, Ariella Azoulay découvre que sa grand-mère portait le prénom Aïcha. La théoricienne et essayiste franco-israélienne met alors tout en œuvre pour retracer l’histoire fragmentée de sa famille et la déployer à travers des catalogues de bijoux et des archives. En résulte son livre, un format hybride entre autobiographie et théorie politique. 

« C’est un livre publié par les excellentes nouvelles Éditions Ròt-Bò-Krik [fondées en 2021, NDLR]. Il nous fait circuler entre différentes matérialités politiques, historiques et esthétiques coloniales. C’est à partir de sa propre histoire, et plus particulièrement des bijoux de sa mère, que Arielle Aïsha Azoulay défait les nœuds coloniaux intriqués entre l’intime et le familial, entre l’intime et le colonial – qui fera l’intersection entre deux histoires encore trop refoulées : celle de l’Algérie colonisée par la France et celle de la Palestine colonisée par Israël. »

« Elle nous montre, grâce aux bijoux laissés par sa mère, que les histoires d’un monde juif-musulman peuvent encore avoir une force, loin d’une volonté de pure séparation ethnique. Elle évoque aussi une séparation entre les objets traditionnels – on pense aussi aux musées – et les personnes qui les vivent ou qui en vivent, puisque l’autrice a aussi pour volonté de réveiller une mémoire musculaire recouverte par l’impérialisme : celle de sa famille juive joaillère. »

Sumud, La portée internationale de la résistance palestinienne (Antidote)

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« On est toujours heureux quand des ouvrages internationalistes paraissent depuis la Belgique. Antidote fait ici un travail en deux ouvrages : le premier, Une philosophie palestinienne de la confrontation dans les prisons coloniales, rappelle les politiques de confrontations des prisonnier·es politiques palestinien·nes en milieu carcéral israélien. Le deuxième, La portée internationale de la résistance palestinienne, rappelle l’importance de la cause palestinienne dans les luttes internationalistes et anti-impérialistes. On y retrouve des témoignages et textes de militant·es à travers le monde, dont par exemple l’importance de la Palestine pour l’extrême gauche japonaise. »


« Dans cet article, on a fait le choix de ne proposer que certains ouvrages sur et pour la cause palestinienne, étant donné l’urgence dans laquelle on se trouve. Aussi, il nous faudra rappeler l’importante production littéraire palestinienne : il n’y pas de génocide sans génocide culturel. À ce titre, on doit saluer la récente Anthologies de la poésie palestinienne, dirigée par Abdellatif Laâbi, qui nous rappelle sa vivacité et les espoirs de libération qu’elle porte en elle. Palestine vivra. »


*« En renforçant l’idée que la critique du sionisme est un acte d’antisémitisme, les pouvoirs occidentaux, dont la France, forcent une identité du peuple juif à l’État d’Israël. Or, il existe des multiplicités de traditions juives, dont certaines ont toujours été antisionistes. Voir, à ce sujet, Antisionisme, une histoire juive (Syllepse, 2023) ou encore Histoire générale du Bund (L’échapppée, 2022). »

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