Des premiĂšres oppressions classistes du 12Ăšme siĂšcle aux manifestations pour le suffrage universel , la Bataille ou lâOpĂ©ration matelas , le quartier des Marolles Ă Bruxelles a forgĂ© son identitĂ© de haut lieu de rĂ©sistance, au fort ancrage socialiste. La police y a sorti les fusils Ă maintes reprises au cours des derniers siĂšcles, dans lâespoir de faire taire les diffĂ©rentes contestations.
Aujourdâhui, mĂȘme si le nombre important de logements sociaux Ă©vite aux Marolles de disparaĂźtre sous les projets de modernisation enclenchĂ©s par la machine capitaliste, les premiĂšres pierres de la gentrification sont posĂ©es depuis un petit temps, entre galeries dâart aux oeuvres dĂ©gueulasses et logements privĂ©s aux prix Ă©levĂ©s â le quartier du Sablon nâest pas loin.
Dans ce quâil reste de cet Ăźlot historique, la librairie MĂ©tĂ©ores continue de faire exister lâĂąme militante du quartier, au 207 de la rue Blaes, au rez-de-chaussĂ©e du bĂątiment auquel est accrochĂ©e une imposante enseigne en fer « Palais du PANTALON ». « La librairie est nĂ©e en septembre 2020 dâun constat : les nouveaux plans dâurbanisme faisaient disparaĂźtre les lieux dans lesquels nous pouvions encore ralentir le temps et nous voir en dehors de nos disciplines et catĂ©gories quotidiennes », dit le texte de prĂ©sentation sur leur site.
La sĂ©lection des frĂšres Sanli est composĂ©e de livres qui les animent , orientĂ©e par leurs sensibilitĂ©s politiques. Entre les numĂ©ros du PavĂ© dans les Marolles et les premiĂšres publications de leur propre catalogue en tant quâĂ©diteur, des gros noms cĂŽtoient ceux plus confidentiels ou Ă©mergents, comme AlĂšssi DellâUmbria, Julien Talpin, Jean-Marc Rouillan , Irene ou tienstiens .
Alors que le massacre perdure en Palestine, la propagande sioniste scabreuse du gouvernement israĂ©lien est toujours poussĂ©e Ă la tĂ©lĂ© et sur internet Ă coups dâinvestissements colossaux . Pour contrer le bourrage de crĂąne, ou simplement pour vous informer mieux, vos onglets ont certainement dĂ» se multiplier ces derniers mois, Ă tel point quâil y avait peut-ĂȘtre trop Ă lire sur votre navigateur, dans la hĂąte et sans direction claire â tout ça pour une lecture tronçonnĂ©e des faits et enjeux dont il est question.
Je me suis moi-mĂȘme pris la tĂȘte avec des gens sur les rĂ©seaux sociaux, dont les pseudo-arguments boiteux semblaient moins reflĂ©ter une bĂȘtise pure quâune comprĂ©hension morcelĂ©e ou dĂ©viĂ©e. Dans ces cas-lĂ , se poser hors Ă©cran pourrait peut-ĂȘtre constituer un cadre plus propice Ă lâanalyse, dans une temporalitĂ© diffĂ©rente (câest un conseil appuyĂ© Ă qui se reconnaĂźtra). En tous cas, si la flemme gagne, le livre en tant quâobjet laisse au moins la possibilitĂ© physique dây revenir plus tard.
Pour retrouver des bases saines dans ce marasme intellectuel, on a sollicitĂ© les conseils de Renaud-Selim Sanli. Il nous a dressĂ© une liste de quelques rĂ©fĂ©rences importantes qui permettent dây voir plus clair. Ses commentaires personnels sont Ă©crits entre guillemets.
Oeuvres â Ăcrits politiques, thĂ©Ăątre, poĂ©sie et nouvelles de Mohamed Boudia (Premiers Matins de Novembre)
« On connaßt trop peu Mohamed Boudia, poÚte, dramaturge et écrivain algérien, mais surtout militant politique, qui fait le pont entre la cause algérienne et la cause palestinienne. »
Homme dâengagement, dâaction et de thĂ©Ăątre, Boudia lie trĂšs tĂŽt ces trois aspects de sa vie. Il fait notamment sauter Ă lâexplosif un pipeline Ă Marseille, monte des piĂšces aux Baumettes pour sensibiliser Ă la cause du FLN et sortir ses pairs de lâemprisonnement psychologique, avant de littĂ©ralement sâĂ©vader et rejoindre le FPLP. Il en deviendra dâailleurs lâun des membres les plus actifs en France et en Europe, si bien que son nom sera vite ajoutĂ© Ă la liste des cibles Ă abattre du Mossad. AprĂšs avoir fait exploser dâautres lieux en Europe et en IsraĂ«l liĂ©s au sionisme (un dĂ©pĂŽt de carburant israĂ©lien Ă Rotterdam, par exemple), il est finalement assassinĂ© en 1973 Ă Paris, Ă lâĂąge de 41 ans.
« Ce qui est important dans ses Ă©crits, câest la place quâil donne Ă des disciplines esthĂ©tiques, littĂ©raires ou culturelles dans un projet rĂ©volutionnaire â ce qui nous montre aussi quâa lieu en ce moment une extermination culturelle de la Palestine. Il pose la question majeure de la place de lâesthĂ©tique dans la rĂ©volution mais aussi dans les projets dâindĂ©pendance et de libĂ©ration post-rĂ©volution. »
Je ne partirai pas â mon histoire est celle de la Palestine de Mohammad Sabaaneh (Alifbata)
« Comme une fatalitĂ©, la BD de lâauteur palestinien Mohammad Sabaaneh est sortie en septembre 2023, soit peu de temps avant lâoffensive du Hamas et lâextermination en cours opĂ©rĂ©e par lâĂtat dâIsraĂ«l. »
« Le livre raconte le caractĂšre quasi-carcĂ©ral de la Palestine telle quâelle existe maintenant, les dĂ©boires dâune population enfermĂ©e et, malgrĂ© tout, les beautĂ©s qui font que les habitant·es tiennent profondĂ©ment Ă leur terre ancestrale. La BD de Sabaaneh nous montre ce refus viscĂ©ral de partir, qui concerne pourtant un peuple martyrisĂ© sous les yeux de tous et toutes depuis 70 ans. »
Gaza (articles pour Haaretz, 2006-2009) de Gideon LĂ©vy (La Fabrique)
Le journaliste Gideon LĂ©vy ne se dĂ©place plus sans garde du corps. Câest ce qui arrive quand on fait partie des voix dissidentes les plus importantes en IsraĂ«l. Il fait dâailleurs partie de la direction dâHaaretz, le plus grand quotidien de gauche lĂ -bas.
« Câest une voix de gauche israĂ©lienne, et qui parle de Gaza aux IsraĂ©lien·nes, ainsi que des horreurs commises par Tsahal et les dirigeants ultra-nationalistes en place â des crimes de guerres, voire de crimes contre lâhumanitĂ©. »
Ce livre, publiĂ© par La Fabrique, prĂ©sente des articles Ă©crits sur Haaretz entre 2005 et 2009. « Ces articles gardent toute leur actualitĂ© et luttent contre lâindiffĂ©rence des IsraĂ©lien·nes mais aussi la nĂŽtre, en miroir. Câest un rare exemple contemporain de journalisme de combat. »
Stratégie pour la libération de la Palestine du FPLP (Foreign Language Press)
Lâorganisation marxiste rĂ©volutionnaire occupe une place centrale dans lâhistoire de la Palestine. Mais son influence sâest considĂ©rablement dĂ©gradĂ©e au fil des derniĂšres dĂ©cennies, ce qui a laissĂ© davantage de place et de pouvoir au Fatah et au Hamas. MalgrĂ© tout, ses militant·es continuent Ă porter lâespoir dâune Palestine libre Ă travers leur lutte.
« Peu accessible en français, la maison dâĂ©dition marxiste Foreign Language Press est la seule Ă avoir jusquâici publiĂ© et rĂ©uni en français les textes du FPLP pour une stratĂ©gie de la libĂ©ration de la Palestine. Ces textes sont importants historiquement, mais aussi pour le prĂ©sent, pour nous rappeler quâil a existĂ© et existe encore des tentatives rĂ©volutionnaires internationalistes en Palestine â comme Samidoun par exemple. »
Lâaffaire Georges Ibrahim Abdallah de SaĂŻd Bouamama (Premiers Matins de Novembre)
« Comment ne pas parler de la cause palestinienne sans parler de Georges Ibrahim Abdallah ? » Militant communiste libanais, Abdallah est lâune des figures historiques du Front Populaire de LibĂ©ration de la Palestine (FPLP) et de la Fraction armĂ©e rĂ©volutionnaire libanaise (FARL). Câest avec ces groupes quâil sâest engagĂ© en faveur des causes palestinienne et libanaise. « [Au sein du FPLP,] il Ă©tait le chef des opĂ©rations extĂ©rieures depuis la France, oĂč il a menĂ© plusieurs actions rĂ©volutionnaires contre lâimpĂ©rialisme amĂ©ricain, au nom de la libĂ©ration de la Palestine. »
EnfermĂ© depuis bientĂŽt quarante ans â ce qui en fait le plus ancien prisonnier politique dâEurope â, il multiplie les demandes de libĂ©ration mais la France reste inflexible. « Pourtant, il est lĂ©galement libĂ©rable sous conditions, mais les nouvelles lois antiterroristes françaises donnent un âappui lĂ©galâ au gouvernement pour empĂȘcher sa sortie. »
« Le rĂ©cit de la vie de Georges Ibrahim Abdallah, Ă©crit par le militant marxiste antiraciste SaĂŻd Bouamama, raconte non seulement lâhistoire des luttes de la Palestine, de ses alliances et de la rĂ©pression internationale, mais aussi du prix Ă payer quand on lutte pour une Palestine libre. »
Le film Fedayin, le combat de Georges Ibrahim Abdallah raconte aussi son parcours.
DerriĂšre les fronts â Chroniques dâune psychiatre psychothĂ©rapeute palestinienne sous occupation de la Dr. Samah Jabr (Premiers Matins de Novembre)
La Dr. Samah Jabr est une figure majeure dans le domaine de la psychiatrie. AprĂšs avoir obtenu son diplĂŽme de mĂ©decine gĂ©nĂ©rale, elle se spĂ©cialise dans diffĂ©rents pays du monde, avant dâĂȘtre nommĂ©e responsable de lâUnitĂ© de santĂ© mentale au ministĂšre palestinien de la SantĂ©. Elle pratique en Cisjordanie et articule notamment son activitĂ© autour des dommages psychologiques provoquĂ©s par lâoccupation israĂ©lienne.
« Dans la lignĂ©e de Frantz Fanon qui analysait les sĂ©quelles mĂ©dicales et psychiatriques sur les personnes colonisĂ©es Ă partir de sa pratique en AlgĂ©rie, elle montre trĂšs clairement les impacts psychiques des politiques ethnocides et coloniales de lâĂtat dâIsraĂ«l. La dĂ©tresse psychique est aussi une politique dĂ©libĂ©rĂ©ment contre-rĂ©volutionnaire, puisquâelle mĂšne Ă lâabattement ou Ă une intĂ©riorisation de la violence qui se dĂ©chaĂźne contre soi plutĂŽt que dans une optique dâindĂ©pendance. »
Le livre, publiĂ© chez Premiers Matins de Novembre, compile certains textes rĂ©digĂ©s par la Dr. Jabr depuis 2003. « TrĂšs clairement dans lâoptique dâune libĂ©ration et une indĂ©pendance de la Palestine, elle cherche dans ses chroniques la possibilitĂ© dâune paix avec les IsraĂ©lien·nes, sans pour autant trouver un acteur crĂ©dible avec qui dialoguer. Elle rappelle notamment que la gauche laĂŻque israĂ©lienne est une gauche qui nâa pas hĂ©sitĂ© Ă sâallier historiquement Ă la bourgeoisie impĂ©rialiste. »
Le documentaire DerriĂšre les fronts : rĂ©sistances et rĂ©siliences en Palestine dâAlexandra Dols prĂ©sente aussi son travail.
Prisonnier de JĂ©rusalem â Un dĂ©tenu politique en Palestine occupĂ©e de Salah Hamouri (Libertalia)
Ses multiples arrestations par les services de sĂ©curitĂ© israĂ©liens au cours des deux derniĂšres dĂ©cennies rendent considĂ©rablement dense la page WikipĂ©dia de lâavocat franco-palestinien Salah Hamouri. « Il a Ă©tĂ© dĂ©tenu plus de dix ans dans les prisons israĂ©liennes pour des faits quâil nâaurait pas commis. En 2022, il a Ă©tĂ© inculpĂ© par un tribunal militaire puis sous dĂ©tention administrative, donc sans rĂ©el jugement, avant dâĂȘtre dĂ©portĂ© en France sans possibilitĂ© de retour. »
La révolution captive de Nahla Abdo (Blast)
« Un slogan circule actuellement concernant les otages israĂ©lien·nes : âBring them back homeâ. La demande est lĂ©gitime Ă lâĂ©gard du pouvoir sioniste en IsraĂ«l, mais il faudrait aussi pouvoir rappeler tou·tes les palestinien·nes retenu·es sans procĂšs dans les prisons israĂ©liennes aussi â dont des mineur·es. »
Depuis 1967, 40% dâhommes palestiniens auraient Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ©s par IsraĂ«l Ă un moment de leur vie. Ă la mi-dĂ©cembre 2023, on parlait de prĂšs de 7 000 Palestinien·nes dĂ©tenu·es dans les geĂŽles israĂ©liennes â dont plus de 2 000 sans inculpation ni procĂšs, pour qui la dĂ©tention est renouvelĂ©e tous les six mois, sur plusieurs annĂ©es parfois. En ce qui concerne les mineur·es dâĂąge, les autoritĂ©s israĂ©liennes procĂšdent chaque annĂ©es Ă lâarrestation de pas moins de 700 enfants et ados .
« Ces politiques dâincarcĂ©rations sont aussi une atteinte grave aux droits des femmes. Pourquoi exclure la cause palestinienne de la cause fĂ©ministe quand tant de femmes sont incarcĂ©rĂ©es quotidiennement ? Ou encore quand les conditions mĂȘmes de lâoccupation israĂ©lienne â ou de ses politiques dâanĂ©antissement actuelles â leur refusent tous les droits Ă©lĂ©mentaires ? »
Nahla Abo a elle aussi connu la prison. Dans son livre La rĂ©volution captive , la sociologue palestinienne montre, sur base dâenquĂȘtes de terrain, que les femmes palestiniennes combattent depuis prĂšs dâun siĂšcle le colonialisme et sont toujours actives dans la rĂ©volution pour la libĂ©ration de la Palestine. Pour ces raisons, des milliers dâentre elles ont Ă©tĂ© emprisonnĂ©es par IsraĂ«l â dans des conditions inhumaines et sans procĂšs.
« Ăa va Ă lâencontre dâun discours dominant orientaliste et islamophobe qui les cantonneraient Ă ĂȘtre âles femmes des terroristesâ. Elles sont considĂ©rĂ©es en Palestine comme des prisonniĂšres politiques aux mĂȘmes Ă©gards que les hommes palestiniens. Les tortures sexuelles font partie des outils de domination de lâarmĂ©e israĂ©lienne qui contrĂŽlent les prisons politiques. Lâautrice revient aussi de maniĂšre salutaire et historique sur la place des femmes dans les diffĂ©rents moments de soulĂšvement et dâIntifada. »
Boycott, DĂ©sinvestissement, Sanctions dâOmar Barghouti (La Fabrique)
Originaire dâune famille palestinienne de Jordanie, Omar Barghouti est le cofondateur de la campagne BDS (le mouvement est aussi prĂ©sent en Belgique , notamment Ă lâULB ). Dans son analyse, le militant analyse la colonisation israĂ©lienne sur le modĂšle de lâapartheid en Afrique du Sud. « De maniĂšre complĂ©mentaire aux luttes de libĂ©ration, Barghouti propose une voie pacifique, non-violente et internationale contre les colonies israĂ©liennes et leurs soutiens institutionnels : celui du Boycott, du DĂ©sinvestissement et des Sanctions Ă©conomiques, politiques, culturelles et institutionnelles. »
Avec BDS, il sâagit dâaffaiblir les acteurs israĂ©liens qui soutiennent les colonies â des universitĂ©s aux entreprises â, mais aussi de peser sur lâĂ©conomie des entreprises internationales, entre autres, « pour que celles-ci se dĂ©sengagent progressivement de leurs politiques de soutien au projet de colonisation en Palestine ». « Ces derniers mois, on a pu voir McDonaldâs, Zara, Starbucks ou encore Carrefour subir dâimportantes pertes en raison de leurs politiques Ă©conomiques pro-IsraĂ«l. »
Les Blancs, les Juifs et nous â Vers une politique de lâamour rĂ©volutionnaire dâHouria Bouteldja (La Fabrique)
Si le livre prend le ton polĂ©mique de lâessai, on a rarement vu une telle levĂ©e de boucliers, voire de campagne de dĂ©nigrement, Ă lâencontre de Houria Bouteldja, Ă gauche comme Ă droite. « Pourtant ce que lâautrice tente ici Ă©tait tant nĂ©cessaire quâattendu : il faut comprendre le champ politique blanc comme une pyramide dâoppressions qui se nouent lâune Ă lâautre Ă travers les questions raciales. »
« Pour Bouteldja, historiquement, les Juif·ves ne sont pas blanc·hes, mais Ă travers lâinstrumentalisation blanche de la guerre entre IsraĂ«l et la Palestine, un Ă©cart politique risque de se creuser entre indigĂšnes issu·es des colonies et les groupes politiques juifs. Par cette instrumentalisation blanche, les pouvoirs en place tentent de faire rĂ©gner lâidĂ©e selon laquelle lâantisĂ©mitisme serait le fait principalement des populations arabo-musulmanes. Cette instrumentalisation permet en retour dâopprimer davantage les populations arabo-musulmanes, sans pour autant sâattaquer aux racines de lâantisĂ©mitisme profondĂ©ment occidentales.* »
« Ă la suite dâautres militant·es pro-palestinien·ne, elle rappelle lâimportance de la libĂ©ration palestinienne pour les peuples du Sud global. La question de la libĂ©ration de la Palestine reste une question politique structurant le champ blanc ou du Nord global, câest ce quâelle appelle : âla preuve par la Palestineâ. Il suffit de voir les pays en faveur de la plainte de lâAfrique du Sud Ă la Cour internationale de justice qui condamne IsraĂ«l de gĂ©nocide. Pas un seul pays du Nord global ne soutient la rĂ©solution. »
IsraĂ«l, Palestine â LâĂ©galitĂ© ou rien dâEdward SaĂŻd (La Fabrique)
« On connaĂźt le cĂ©lĂšbre thĂ©oricien palestinien Edward SaĂŻd pour Lâorientalisme , dont le sous-titre explicite donne le contenu : LâOrient crĂ©Ă© par lâOccident. Ce quâon sait parfois moins, câest que cet intellectuel âen exilâ Ă©tait aussi un fervent dĂ©fenseur de la cause de sa terre et de son pays. TrĂšs influencĂ© par la proposition de Walter Benjamin selon laquelle âil nâexiste aucune preuve de civilisation qui ne soit en mĂȘme temps une preuve de barbarieâ, SaĂŻd va combattre sans relĂąche les fantasmes culturels coloniaux et leurs impacts politiques concrets. »
En 1979, un an aprĂšs avoir publiĂ© LâOrientalisme â qui est dâailleurs encore considĂ©rĂ© comme lâun des textes majeurs des Ă©tudes postcoloniales â, SaĂŻd Ă©crit un autre ouvrage important, The question of Palestine . En 1995, il Ă©crit Peace and its Discontents: Essays on Palestine in the Middle East Peace Process .
« Yâa encore trop peu de ses livres qui sont disponibles en français. Lâouvrage publiĂ© par La Fabrique reprend les articles de presse de SaĂŻd en faveur de la cause palestinienne et ses liens avec les rĂ©seaux palestiniens â notamment des textes Ă©crits Ă la suite des accords dâOslo. Câest lâun des premiers livres sur la Palestine publiĂ© par La Fabrique, qui est lâun des Ă©diteurs en France qui a le plus dĂ©blayĂ© la voie pour une critique radicale des politiques israĂ©liennes et de ses soutiens. »
Ă travers les murs â Lâarchitecture de la nouvelle guerre urbaine dâEyal Weizman (La Fabrique)
« Dans la lignĂ©e de travaux qui nous montrent que lâarchitecture est un art de la guerre coloniale, ce livre explique comment lâarmĂ©e dâoccupation israĂ©lienne Ă pu repenser ses stratĂ©gies militaires Ă partir dâune expertise architecturale des territoires occupĂ©s de Palestine. »
En gros, la quatriĂšme de couverture explique quâen 2002, lâarmĂ©e israĂ©lienne a adoptĂ© une tactique inĂ©dite pour son offensive militaire : passer Ă travers les murs et les planchers, Ă lâintĂ©rieur des immeubles, au lieu dâarpenter les rues, en extĂ©rieur. On parle de « gĂ©omĂ©trie inversĂ©e » ou mĂȘme de « tournant postmoderne » dans la guerre en milieu urbain. « Ce quâil y a dâautant plus Ă©tonnant, câest lâutilisation trĂšs libre et dĂ©tachĂ©e de philosophies contemporaines â comme Debord, Deleuze et Guattari â par Tsahal pour penser leurs nouvelles politiques de dâoccupation et dâinterventions militaires criminelles en Palestine. »
Lâarchitecte israĂ©lien Eyal Weizman est lâun des fondateurs de Forensic Architecture , un groupe de recherche multidisciplinaire qui enquĂȘte sur des cas de violence dâĂtat et de violations de droits humains. Le laboratoire utilise des techniques et des technologies architecturales comme des logiciels de reconstruction, dâoutils statistiques, dâanalyses mĂ©tĂ©orologiques ou acoustiques, entre autres, pour recouper une variĂ©tĂ© de sources de preuves. « Ils et elles ont notamment pu travailler sur les homicides volontaires de Frontex en MĂ©diterranĂ©e â qui laisse littĂ©ralement mourir des centaines de personnes quotidiennement, en les laissant couler. »
La politique du bulldozer â La ruine palestinienne comme projet israĂ©lien de LĂ©opold Lambert (B2)
LĂ©opold Lambert est aussi architecte, en plus dâĂȘtre le fondateur et rĂ©dacteur-en-chef de The Funambulist , une revue critique et dĂ©coloniale dâarchitecture.
« Son premier ouvrage traite, de maniĂšre complĂ©mentaire au livre de Weizman, des politiques de destruction architecturale dâIsraĂ«l en Palestine occupĂ©e. Par un aller-retour entre architecture sioniste et destruction de la Palestine, il nous montre aussi que la politique de bombardements et de destruction nâest pas gratuite ou non-rĂ©flĂ©chie, en tĂ©moigne les arguments rĂ©pĂ©tĂ©s dâIsraĂ«l selon lesquels les Palestinien·nes utilisent leurs bĂątiments civils et maisons comme des bases militaires, comme des boucliers pour les forces armĂ©es. Ces arguments permettraient de crĂ©er des âbases lĂ©galesâ Ă la destruction massive de Gaza. »
Dans ce court essai â 72 pages â, Lambert revient sur lâhistoire des destructions rĂ©pĂ©tĂ©es dans lâhistoire de la Palestine occupĂ©e. Le « bulldozer » du titre fait rĂ©fĂ©rence Ă Ariel Sharon, dont câĂ©tait lâun des surnoms â au hasard, « Roi dâIsraĂ«l » en Ă©tait un autre. « Lambert analyse la destruction de la Palestine comme le cĆur dâune politique architecturale contre-insurrectionnelle, qui laisse la population face Ă des territoires dĂ©vastĂ©s, parfois toxiques, quâelle doit Ă chaque fois tenter de reconstruire. Cette politique des dĂ©bris participe aussi dâune impossibilitĂ© dâune politique palestinienne sur le long cours. »
La rĂ©sistance des bijoux â Contre les gĂ©ographies coloniales dâAriella AĂŻsha Azoulay (Rot Bot Krik)
En fouillant dans des documents personnels quand son pĂšre meurt, Ariella Azoulay dĂ©couvre que sa grand-mĂšre portait le prĂ©nom AĂŻcha. La thĂ©oricienne et essayiste franco-israĂ©lienne met alors tout en Ćuvre pour retracer lâhistoire fragmentĂ©e de sa famille et la dĂ©ployer Ă travers des catalogues de bijoux et des archives. En rĂ©sulte son livre, un format hybride entre autobiographie et thĂ©orie politique.
« Câest un livre publiĂ© par les excellentes nouvelles Ăditions RĂČt-BĂČ-Krik [fondĂ©es en 2021, NDLR]. Il nous fait circuler entre diffĂ©rentes matĂ©rialitĂ©s politiques, historiques et esthĂ©tiques coloniales. Câest Ă partir de sa propre histoire, et plus particuliĂšrement des bijoux de sa mĂšre, que Arielle AĂŻsha Azoulay dĂ©fait les nĆuds coloniaux intriquĂ©s entre lâintime et le familial, entre lâintime et le colonial â qui fera lâintersection entre deux histoires encore trop refoulĂ©es : celle de lâAlgĂ©rie colonisĂ©e par la France et celle de la Palestine colonisĂ©e par IsraĂ«l. »
« Elle nous montre, grĂące aux bijoux laissĂ©s par sa mĂšre, que les histoires dâun monde juif-musulman peuvent encore avoir une force, loin dâune volontĂ© de pure sĂ©paration ethnique. Elle Ă©voque aussi une sĂ©paration entre les objets traditionnels â on pense aussi aux musĂ©es â et les personnes qui les vivent ou qui en vivent, puisque lâautrice a aussi pour volontĂ© de rĂ©veiller une mĂ©moire musculaire recouverte par lâimpĂ©rialisme : celle de sa famille juive joaillĂšre. »
Sumud, La portée internationale de la résistance palestinienne (Antidote)
« On est toujours heureux quand des ouvrages internationalistes paraissent depuis la Belgique. Antidote fait ici un travail en deux ouvrages : le premier, Une philosophie palestinienne de la confrontation dans les prisons coloniales , rappelle les politiques de confrontations des prisonnier·es politiques palestinien·nes en milieu carcĂ©ral israĂ©lien. Le deuxiĂšme, La portĂ©e internationale de la rĂ©sistance palestinienne, rappelle lâimportance de la cause palestinienne dans les luttes internationalistes et anti-impĂ©rialistes. On y retrouve des tĂ©moignages et textes de militant·es Ă travers le monde, dont par exemple lâimportance de la Palestine pour lâextrĂȘme gauche japonaise. »
« Dans cet article, on a fait le choix de ne proposer que certains ouvrages sur et pour la cause palestinienne, Ă©tant donnĂ© lâurgence dans laquelle on se trouve. Aussi, il nous faudra rappeler lâimportante production littĂ©raire palestinienne : il nây pas de gĂ©nocide sans gĂ©nocide culturel. Ă ce titre, on doit saluer la rĂ©cente Anthologies de la poĂ©sie palestinienne , dirigĂ©e par Abdellatif LaĂąbi, qui nous rappelle sa vivacitĂ© et les espoirs de libĂ©ration quâelle porte en elle. Palestine vivra. »
*« En renforçant lâidĂ©e que la critique du sionisme est un acte dâantisĂ©mitisme, les pouvoirs occidentaux, dont la France, forcent une identitĂ© du peuple juif Ă lâĂtat dâIsraĂ«l. Or, il existe des multiplicitĂ©s de traditions juives, dont certaines ont toujours Ă©tĂ© antisionistes. Voir, Ă ce sujet, Antisionisme, une histoire juive (Syllepse, 2023) ou encore Histoire gĂ©nĂ©rale du Bund (LâĂ©chapppĂ©e, 2022). »
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