Chez France Télévisions, des déconnexions entre DSI et direction du numérique
Dans un contexte financier critique et un cadre social rigide, mobiliser les moyens pour déployer la stratégie numérique de France Télévisions est un défi.
La Cour des comptes dresse ce constat dans un rapport consacré à l’évolution du groupe audiovisuel public entre 2017 et 2024.
Des synergies manquées entre DSI et direction du numérique
L’institution pointe notamment un déficit cumulé de 81 M€ sur cette période. Elle évoque, entre autres pistes de remédiation, des « synergies […] à rechercher dans la gestion informatique ». Des surcoûts découlent effectivement de l’absence de mutualisations suffisantes entre la DNUM (direction du numérique) et la DTSI (direction des technologies et des systèmes d’information).
La première a développé en parallèle son SI et son infra, sans lien avec ceux de la seconde. Deux prestataires – Broadcom pour la virtualisation, Palo Alto pour le réseau – ont conclu des contrats de services avec chacune de ces directions, sans concertation entre elles afin de négocier le meilleur prix.
De même, la DNUM ne participe pas* au projet de mutualisation de l’infrastructure d’hébergement des baies de stockage, de la solution de sauvegarde et du cloud coordonné par la DTSI avec les membres de l’initiative TAP (Technologies de l’audiovisuel public). Cette dernière rassemble France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, TV5MONDE, ARTE et l’INA. Elle vise une mise en commun des moyens d’innovation et de R&D technologique. Un de ses marchés concerne l’hébergement des données des organismes de l’audiovisuel public.
L’absence d’un schéma directeur des systèmes d’information
Au-delà d’appeler à cette mutualisation, la Cour des comptes invite France Télévisions à formaliser sa stratégie informatique. Elle souligne « de nombreux écarts aux normes de référence ». En particulier vis-à-vis du référentiel COBIT (bonnes pratiques d’audit et de gouvernance des systèmes). De son avis, le groupe audiovisuel devrait, compte tenu de l’importance des enjeux numériques et technologiques de son activité, se doter d’un comité dédié au risque cyber.
Le responsable cyber n’est pas positionné au niveau du comité de direction, nous explique-t-on de surcroît.
Plus globalement, un schéma directeur des systèmes d’information fait défaut. Et le document alternatif – une feuille de route couvrant 2024 – ne saurait s’y substituer dans l’optique d’un pilotage cohérent et transversal.
Les grands projets de modernisation connaissent des retards
La Cour des comptes regrette de n’avoir pu consulter aucun document précisant les objectifs, le calendrier et l’alignement avec la stratégie globale, alors que de nombreux grands projets de la DTSI sont identifiés comme stratégiques.
L’un de ces projets, MOSAR (Modernisation et optimisation des systèmes d’automatisation des régies) a été lancé en 2018 pour renouveler les moyens techniques de production du réseau France 3 (24 antennes régionales).
Auparavant, chaque renouvellement s’opérait de manière unitaire, avec une équipe d’ingénieurs et de chefs de projet responsables de la conception et de la mise en place des moyens, sous-traitant la partie intégration. Ce mode de fonctionnement permettait de renouveler une ou deux régions par an ; rythme insuffisant pour assurer le maintien en condition opérationnelle. De plus, aucune mutualisation n’était possible, chaque régie étant différente de la précédente.
Attribué à Red Bee Media, MOSAR a permis d’atteindre une cadence de 3 régies par an et de mutualiser les formations, le matériel de rechange et les contrats de support, tout en facilitant la mobilité pour le personnel. En l’absence de données chiffrées, la Cour de comptes ne peut juger de la bonne conduite du projet. Toujours est-il que cette automatisation, susceptible de réduire de 40 % les effectifs des régies, « rencontre régulièrement des oppositions et des retards liés au dialogue social ». Plus récemment, la modernisation de la vidéo mobile s’est heurtée aux mêmes difficultés.
Autre projet stratégique : Sherlock. Son but : optimiser les processus de diffusion, avec une solution unique sur le périmètre groupe (passage d’une logique « antenne » à une logique « content-centric« ). Elle doit remplacer une brochette d’outils vieillissants maintenus dans le cadre de deux contrats TMA distincts en raison des technologies différentes utilisées.
Comme MOSAR, Sherlock a connu des reports. Ce sur plusieurs jalons-clés, principalement en raison du manque de ressources internes, de la complexité à basculer dans le cloud et de la reprise des données pouvant comporter des incohérences.
Un cadre social jugé peu favrorable à la mobilisation des compétences
Depuis 2018, Sherlock a représenté 21,4 M€ de dépenses d’investissement ; MOSAR, 13,7 M€. Ils ont accompagné la croissance régulière des charges de la DTSI.
Le budget de la direction du numérique a aussi augmenté (comme ses effectifs, à contre-courant de la diminution au niveau du groupe). Le recours aux prestations extérieures s’est nettement intensifié, face à la difficulté à mobiliser des compétences en interne, « en particulier dans le cadre actuel de gestion des ressources humaines de France Télévisions ».
Au contraire de Radio France, le groupe audiovisuel n’a que récemment mis en œuvre une implication à grande échelle de ses collaborateurs dans la stratégie numérique. Dans un premier temps, il avait effectivement décidé de spécialiser certains collaborateurs sur les fonctions numériques.
* L’absence de participation à ce projet est due à un contrat en cours. La DNUM envisage d’entrer dans la boucle à l’échéance de ce contrat.
Illustration générée par IA
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