Du Mont Valérien au Musée de l’Immigration avec le MRAP Valenciennes
(Le groupe de participants au Mont Valérien)
Pour resituer le contexte de cette double visite, elle a été organisée par l’association le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), et son antenne sur Valenciennes présidée par Jean-Claude Dulieu, conseiller départemental du Nord. Cette association nationale est reconnue par l’ONU, elle fête ses 75 ans de lutte pour plus d’humanité de par le monde. A ce titre, Jean-Claude Dulieu a été son président national durant 15 ans où « nous avons pu faire passer des propos manifestement racistes comme un délit et plus une liberté d’expression (comme aux USA) », précise-t-il.
61 personnes étaient présentes, membres du MRAP, de nombreuses associations dans le champ social et d’accueil des populations, des agents territoriaux, des élus dont le maire de la commune de Trith-st-Léger en soutien de ce déplacement associatif, des enseignants, des professions libérales.. « dans le cadre de l’éducation populaire, vous allez enrichir vos convictions humanistes à travers la richesse pédagogique et le diffuser autour de vous », ajoute le Président du MRAP Valenciennes… et extrême richesse il y a eu. Rappel de la visite 2023 sur https://www.va-infos.fr/2023/11/02/deux-visites-a-paris-en-pleine-conscience-avec-le-mrap-valenciennes/
Les fusillés du Mont Valérien, morts au « sang » d’honneur !
Au sud-ouest de Paris, sur Suresnes, le Mont Valérien culmine à 161 mètres dans le département des Hauts-de-Seine. Cette hauteur dans le bassin parisien a d’abord été occupée par des ermites religieux dès 1556, mais le fait cultuel a quitté cette vue imprenable sur Paris en 1841. Il n’en fallait pas plus pour que l’Armée française jette son dévolu sur cet espace pas trop loin de Paris, ni trop proche des civils, discret et stratégique à la fois. L’armée décide donc d’ériger une forteresse entre 1843 et 1846. C’est une Place forte de l’armée française hier et encore aujourd’hui. En effet, ce site est encore militarisé sur sa majeure partie (carte Mont Valérien) avec la présence dans cette forteresse du 88ème régiment de communication.
En fait, la globalité du site est méconnu, car votre rétine est fixée à des images récurrentes d’un lieu de commémoration , de mémoire face à la Croix de Loraine haute de 14 mètres, avec à son pied une flamme soeur jumelle de celle située sous l’Arc de Triomphe, sur une immense esplanade en « V » taillée pour les manifestations mémorielles majuscules. Pour le reste, le contenu est moins connu du grand public, une crypte en hommage à la France combattante durant la seconde guerre mondiale voulue par le Général de Gaulle, et un espace mémoriel sur un site d’exécution. En effet, l’Armée allemande (et pas les SS) a fusillé, dans la fameuse clairière du Mont Valérien, 1008 résistants et otages.
Hubert Germain, dernier compagnon de la Libération… au Mont Valérien !
Ce site, aujourd’hui nommé comme « Premier Haut lieu de la mémoire nationale du ministère des Armées » a donc une double vocation. Sur le côté de l’immense Croix de Lorraine, vous avez une crypte où 17 dépouilles sont présentes, hommes, femmes, et toutes les nationalités venues mourir pour le drapeau tricolore. En point d’orgue dans l’axe de la Croix de Lorraine, la dépouille du dernier « compagnon de la Libération, Hubert Germain, inhumé dans cette crypte en 2021 pour la cérémonie du 11 novembre. La boucle souhaitée par De Gaulle est bouclée », explique la guide.
Ensuite, la visite se dirige sur les hauteurs du Mont Valérien où vous voyez en cheminant un hommage aux fusillés de l’affiche rouge, nous y reviendrons ! Là, vous découvrez en contrebas la clairière où « 60% de résistants et 40% d’otages ont été fusillés. Sur ce site, comme sur celui de Balard et du Fort de Vincennes, ce sont des exécutions suite à un jugement. Le Mont Valérien sera le plus choisi compte tenu de sa discrétion. Pour les exécutions plus sommaires sans procès, les Jardins du Luxembourg, Châtenay Malabry et le Bois de Boulogne seront les lieux privilégiés », ajoute la guide. On parle de résistants avec une majorité de communistes (70%), dont l’adhésion au simple parti politique est interdite dès l’occupation de l’armée allemande. Puis, entre 1941 et 1942, l’armée allemande décide de prendre des otages à chaque acte de résistance afin de faire naître une opposition aux attentats dans la population française. Peine perdue, un sentiment de compassion naît suite à ses exécutions visant une opposition politique présumée, la communauté juive, les personnes handicapées, les homosexuels, etc.
Par contre, le Mont Valérien n’a jamais été une « prison, ni un lieu de détention provisoire, ni aujourd’hui un cimetière. Les personnes exécutées sont enterrées ailleurs, et dans des fosses individuelles et anonymes », précise-t-il.
Les époux Manouchian, une reconnaissance tardive, mais essentielle !
Le fait historique récent est la mise en lumière des groupes de résistants, composés d’étrangers, et reconnus à travers l’entrée au Panthéon de l’Arménien Missak Manouchian le 21 février 2024, accompagné de son épouse Mélinée. Ce geste porte la lumière sur l’intégralité de ce groupe de 21 résistants, identifiés comme extrêmement dangereux par l’occupant dont l’arrestation fera l’objet d’une véritable « campagne de communication, c’est du marketing à travers cette fameuse affiche rouge où tous les membres de ce groupe de résistants figurent », précise la guide. Son procès du 15 au 18 février 1944 marquera les esprits.
Cette reconnaissance de la nation est également le moment « de l’union des mémoires. C’est très important », poursuit-elle. En effet, la fin de la guerre marque une lutte sans merci politico-mémoriel sur le site du Mont Valérien et bien au delà. Les Gaullistes ont obtenu la plupart des lauriers et cette arrivée au Panthéon rappelle que les communistes et des combattants résistants des autres pays ont lutté chaque jour contre l’occupant allemand. D’ailleurs, ce site militarisé ne peut se visiter seul, hors esplanade, comme tenu que « nous devons commenter les inscriptions dans la clairière, car il y a des erreurs (ou mensonges) », conclut-elle. La plus grosse ineptie est qu’à la sortie de la guerre, il fallait faire croire au peuple français en reconstruction que dès le 1er jour de l’occupation par l’ennemi, la France a résisté et non collaborée avec un zèle peu commun.
En visite sur ce lieu, Robert Badinter en 1997 regrette qu’aucune stèle n’est dédiée à ses 1008 fusillés. Chose faite en 2003 où une cloche volumineuse, en lecture à 360°, énumère les noms de tous les personnes exécutées au Mont Valérien. Une participante à cette visite rappelle deux noms du Valenciennois gravés sur cette cloche : « C’est Pierre Neve, originaire de Denain, ancien enseignant au Lycée français de Berlin en 1933, puis sur Paris en 1940. Il a été arrêté suite à ses écrits contre le 3ème Reich (les fameux otages). Ensuite, c’est Robert Witchtz, originaire d’Abscon, fusillé à 19 ans ». Enfin, sur ce lieu mortifère, une chapelle désacralisée est encore un lieu de mémoire où les futurs condamnés attendaient lorsqu’il y avait « trop d’exécutions le même jour. Ils restaient dans cette ancienne chapelle quelques minutes ou quelques heures en attendant » , ajoute la guide. Dans ce lieu est exposé des poteaux d’exécution et des cercueils de transports des corps…
On le sait encore moins, mais sur cette esplanade du Mont Valérien, à la sortie de la guerre, les veuves des résistants identifiés et morts pour la France (et pas seulement les fusillés du Mont Valérien) ont reçu un hommage national, sur ladite esplanade du Mont Valérien, à travers la remise d’une décoration aux veuves de guerre. Une enfant d’une veuve témoigne : « C’était très impressionnant cette cérémonie, je j’ai pas arrêté de pleurer. Mon père représentait la résistance en Normandie ».
Le Palais de la Porte Dorée, symbole de la démesure d’une exposition éphémère sur les colonies françaises en 1931…
Il faut restituer le contexte de cette construction pharaonique. La France au XIXème siècle, comme beaucoup de pays européens, se lance dans une conquête des colonies, de l’Indochine à l’Afrique en passant par les DOM TOM que nous connaissons aujourd’hui, la France étend son périmètre national de façon exponentielle.
A l’occasion de la 1ère guerre mondiale, nombre de soldast sont venus combattre loin de leurs terres pour la France, mais à la sortie de ce conflit ravageur dans les toutes les familles françaises, l’opinion publique ne comprend plus le besoin de dépenser autant d’argent hors de nos frontières tant les besoins sont immenses. C’est pourquoi, une exposition coloniale internationale a été organisée en 1931 sur Paris afin d’organiser une promotion XXL des colonies.
Là, nous touchons dans la démesure, le bois de Vincennes est investi complètement avec d’ailleurs les prémices du Zoo de Vincennes, mais également des édifices en dur aujourd’hui disparus sauf l’immense Palais de la Porte Dorée. Bâtiment immense, les surfaces des pièces sont impressionnantes, voire très datées, la hauteur de plafond est indéfinissable, les espaces infinies…, vous avez même un aquarium tropical en sous-sol ! C’est l’antithèse d’un projet architectural éco-responsable en 2024, impensable !
Un succès populaire hallucinant
Quel fut l’accueil des Français vis à vis de cette exposition dont la mise en place a mis 3 ans, pour six seulement d’exposition seulement ? Le succès a été incroyable. Certes, certains sont venus plusieurs fois, mais sur une population recensée à 40 millions d’habitants en France, 33 millions de billets vendus… ! Il fallait conserver une empreinte de cette trace d’histoire, indéniablement !
Ce monument a de fait été conservé à juste titre pour en faire un site de compréhension des flux migratoires, c’est le Musée national de l’histoire de l’immigration. Sur quatre siècles, la guide a brossé une traçabilité de notre creuset national, pétri d’origines diverses. Déjà au XVIIème siècle, Louis XIV, le roi au règne le plus étendu de l’histoire du Monde (72 ans), demande aux protestants (les huguenots) de se convertir au catholicisme ou de partir. Des vagues de pratiquants protestants atterrirent en Angleterre et dans bien d’autres pays expliquant le culte associé aujourd’hui au pays. Ce sont les premiers « émigrés » Français. A cette époque, le triste « Code Noir » de l’esclavage voit le jour en 1685 et avec lui la commercialisation codifié de la traite des esclaves entre la France, l’Afrique et les débuts des Etats-Unis d’Amérique. Rappelons tout de même qu’il n’y avait pas d’esclavage en France métropolitaine, ce circuit était uniquement une source de denrées alimentaires, voire autres matières précieuses, pour la France.
Bien sûr 1789 passe par là, la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen le 26 août 1789 implique dans la durée la fin de l’esclave dans les colonies françaises en 1794, un statut remis en cause par Napoléon Bonaparte avec le souci de relancer l’économie du pays. La seconde fin de l’esclavage (et la bonne) en France intervient en 1848…
En effet vers 1848, l’avènement de la 2ème république, en France, est concomitant avec l’influence de la révolution française partout en Europe avec une conséquence simple, l’exil de intelligentsia des pays concernés. « On invente le statut de réfugiés à cette occasion avec la venue d’artistes et de penseurs de toute l’Europe, Frédéric Chopin fut l’un d’entre eux », ajoute la guide.
En 1889, les grands travaux de Paris entreprise par le Baron Haussmann ont attiré des travailleurs étrangers. Ainsi, une 1ère vague d’Italiens, de Polonais, de Belges, de Prussiens arrivent sur le sol français.
« En 1917, on se méfie des étrangers (avec la Carte Nationale d’Identité) », guide
Après la première guerre contre l’empire Prussien et la défaite de 1870 où la France perd la Lorraine et une partie de la Moselle, les ferments des coalitions entre les grandes puissances milliaires débouchent sur la Première guerre mondiale. Pourquoi mondiale, car la France et autres pays coloniaux demandent aux populations de ces pays conquis de venir combattre pour la mère patrie… !
Par contre, concernant ces d’étrangers déjà sur place, et ceux non volontaires pour combattre, ils sont suspectés d’office d’intelligence avec l’ennemi. « En 1917, on se méfie des étrangers et on invente la CNI (Carte Nationale d’identité) où les l’exhaustivité des informations sur la famille, l’emploi, et même des caractéristiques physiques très très poussées », explique-t-elle la guide, des données lunaires au regard de nos lois à ce stade. Ce n’est qu’en 1944 que la CNI, actuellement en vigueur en 2024, connaît son format connu. Avant ce changement, c’est le fameux Livret de Famille qui fait office de justificatif de pièce d’identité pour un foyer français.
La France Black/Blanc/Beur, un propos raciste en 2024 ?
Ensuite, les colonies au fil des années réclament leur indépendance au XXème siècle avec en point d’orgue, en France, la Guerre en Algérie et les accords d’Evian (très décriés aujourd’hui). Ensuite, dans les années 70, vous avez dans la même période une vague massive de réfugiés des pays de l’Amérique du Sud dont les situations sont très subversives et un rejet des populations immigrées déjà présentes, c’est toute la paradoxe !
L’arrivée des radios libres en 1981 (en danger actuellement) fait émerger une nouvelle culture musicale, sans oublier France 1998, et la 1ère victoire en Coupe du Monde de football. « La France Black/Blanc/Beur est perçue par les jeunes générations comme un propos raciste en 2024 », commente la guide. « Nous sommes tous les racistes de notre époque. Les mots évoluent comme celui de nègre, enseigné à l’époque dans les écoles et aujourd’hui… ! », ajoute-t-elle.
Si vous pouvez vous rendre au sein de ce Musée national de l’histoire de l’Immigration, n’hésitez pas, car vous allez toucher du doigt notre histoire commune, entre injustice et humanité, avec une ligne de crête si étroite comme nous le voyons chaque jour !
Daniel Carlier
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