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Les Cuistots migrateurs, un traiteur engagé pour découvrir les cuisines du monde chez vous

Afghanistan, Bangladesh, Iran, Éthiopie, Népal, Sénégal, Syrie, Tchétchénie... Les Cuistots migrateurs mettent à l’honneur les cuisines du monde et permettent à des chefs réfugiés de reconstruire leur vie en France.

Nourrir les luttes sociales

Par : Martin Fort
7 février 2024 à 04:30

Au sein d’un fournil improvisé dans la cuisine du bar, Yann* façonne les morceaux de pâte à pain taillés par Marion, et qu’Andrea* avait préalablement mis à reposer. Les trente morceaux découpés rempliront autant de moules rectangulaires en tôle huilés. « Inutile de  grigner la pâte [entailler pour faciliter la cuisson, NDLR] », lance Yann, désormais attelé à surveiller la température du four, alimenté par du bois de récupération. Installé dans la cour du Channel à Calais, un lieu artistique – entre théâtre, libraire, restaurant – situé dans les anciens abattoirs de la ville, le four mettra plus de trois heures à atteindre les 240°C espérés. 

Ce mardi de janvier, la petite équipe produira 60 kilos de pain. La fournée sera récupérée par le Secours catholique et distribuée le lendemain aux migrant·es de Calais. « On s’est engagé·es à leur fournir du pain trois fois par semaine. En échange, l’association finance une partie du projet », développe Yann, à l’origine de cette initiative solidaire à Calais. Ce trentenaire qui porte une petite queue de cheval fait partie de l’Internationale boulangère mobilisée (IBM), un collectif informel de boulanger·es militant·es créé en février 2018, au lendemain de l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes par le gouvernement français – les créateurs de l’initiative avaient pris part à la ZAD. Le but ? Constituer un réseau de boulanger·es mobiles pour coordonner des actions de solidarité. Depuis, au gré des envies de chacun·e, ses membres rejoignent des mobilisations sociales pour lesquelles ils produisent du pain, aidé·es par les fours mobiles de certain·es, construits selon les plans de l’Atelier Paysan, une coopérative d’auto-construction.

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Dans le fournil calaisien, Andrea, Yann et Marion travaillent la pâte grâce aux dons des membres du réseau : ​​farine, ustensiles, moules, etc. Le trio le fera pendant quelques semaines avant de passer le relai à d’autres. Le premier, « militant à plein temps », est un membre rennais, co-fondateur du réseau IBM, et possède son propre four mobile, Pâte à Tract. Le deuxième est un ingénieur de formation qui vit désormais au RSA, comme Andrea. Désormais « nomade », une première carrière étudiante et professionnelle l’avait conduit à travailler à La Défense en costard-cravate. « J’ai arrêté de croire qu’il était possible de changer les choses de l’intérieur », explique-t-il. Enfin, l’Iséroise Marion, 21 ans, à la différence des deux autres, souhaite passer son CAP Boulanger « en candidat libre » après plusieurs stages dans le secteur. D’ailleurs, chaque année, le réseau organise des formations autogérées pour celles et ceux qui, comme elle, souhaitent obtenir un diplôme officiel, obligatoire pour lancer sa structure. 

Tous les trois diffusent un savoir-faire artisanal et politique. Car si cet aliment du quotidien attire la sympathie des Français·es, ses conditions de production restent largement méconnues. Pourtant, au sein même de boulangeries dites « artisanales », elles échappent rarement à une logique industrielle basée sur l’achat de machines coûteuses remboursées au prix d’une course à la rentabilité. À Calais, seuls les bras travaillent le levain. Ce mélange de farine et d’eau qui a fermenté permet de s’affranchir de la levure pour faire lever la pâte. Plus digeste, il permet de produire un pain plus nourrissant qui se conserve mieux. 

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La production plaît beaucoup aux spectateurs et spectatrices du Channel à qui l’initiative propose, un jour dans la semaine, une vente à prix libre – en moyenne, un pain comme le leur se vend 6 euros le kilo. En revanche, lors des distributions dans les camps de migrant·es, leurs fournées n’ont pas toujours été choisies. « Les exilé·es n’aiment pas notre pain, reconnaissent Andrea et Yann. Au départ, les bénévoles du Secours catholique nous le cachaient pour ne pas nous vexer. »

Les deux hommes se souviennent en rigolant de la phrase d’un réfugié afghan, repoussé par l’aspect compact de leur production : « Avec votre pain, on construit des maisons chez nous. » Leur recette subit aussi la concurrence des baguettes, récupérées dans les supermarchés environnants et distribuées par les nombreuses associations de solidarité. Alors les boulanger·es se sont adapté·es, avec succès, en créant une sorte de pain de mie brioché avec du sucre, de l’huile et du lait, désormais consommée. 

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Au fil de leurs fournées et de leurs rencontres, l’équipe a tenté de partager son savoir-faire avec les réfugié·es, mais seulement deux d’entre eux sont venus au fournil depuis début janvier. « Ça marche plus ou moins bien car leur objectif est de traverser la Manche avant tout. C’est difficile de nouer des relations privilégiées », regrette Yann. Bénévole pour l’association Utopia 56 à Calais pendant quelques mois, il souhaitait monter un programme d’entraide qui ne répète pas les rapports « professionnels » entre les bénévoles et les exilé·es. « Le but de l’initiative est de produire du pain, certes, mais aussi de s’intéresser à ce qu’il se passe à la frontière », rappelle le militant, qui assiste parfois aux audiences publiques du Centre de rétention administrative (CRA) de Coquelles, à quelques kilomètres de là.

Étalée de novembre à février, la présence de l’IBM à Calais est l’une des actions les plus importantes du mouvement, avec celle qui avait été menée lors du week-end de manifestations contre la méga-bassine de Sainte-Soline en mars dernier : une tonne de pain et 25 000 parts de gâteaux avaient été produits.

Le 10 février 2024, l’IBM organise sa réunion annuelle à Paris, au Shakirail

*Les prénoms ont été modifiés pour protéger leur identité.

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Deux semaines à bord de l’Ocean Viking

24 janvier 2024 à 12:59

C’est un mardi après-midi de décembre, il fait plein soleil. J’arrive dans le port de Livourne et l’Ocean Viking se dresse devant moi, un navire de 70 mètres de long. L’humeur est joyeuse à bord et je suis accueilli à bras ouverts. L’équipage est opérationnel depuis le début du mois et revient de sa première patrouille. 26 personnes ont été secourues, toutes sont saines et sauves. Le lendemain, on va quitter le port pour mettre le cap vers le sud.

La mer Méditerranée est la route migratoire la plus meurtrière au mondeplus de 2 500 victimes en 2023. Depuis 2016, avec d’autres ONG, SOS Méditerranée navigue entre l’Italie, la Tunisie et la Libye pour secourir les personnes en détresse – d’abord avec le navire Aquarius, puis avec l’Ocean Viking à partir de juillet 2019. Ces dernières années, une partie de « l’opinion publique » en Europe – notamment des activistes d’extrême droite – les ont pris pour cible, sans parler des autorités italiennes qui adoptent toutes sortes de mesures qui rendent leur travail plus difficile. Le récent décret Piantedosi, par exemple, oblige les ONG à naviguer sans délai vers le port assigné après un sauvetage. « Dans le passé, on devait parfois attendre 15 jours avant que l’Italie nous attribue un port de débarquement, mais ça nous permettait au moins de sauver d’autres personnes, explique Jérôme, secouriste. Là, on a sauvé 26 personnes et on a dû aller jusqu’au nord de l’Italie. Et si on n’obéit pas, on se fait immobiliser le navire. »

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La journée à bord commence toujours par une réunion à 8h15. Tout le monde se rassemble et Anita, la coordinatrice de recherche et de sauvetage, donne le briefing. Elle nous explique qu’on va devoir affronter une tempête pendant deux jours, avant de pouvoir naviguer vers la zone d’opération qui se trouve entre l’Italie et la Libye. 

En ce qui me concerne, mes premiers jours seront focalisés sur les rencontres et les formations. Je reçois un talkie-walkie, on m’apprend à effectuer une manœuvre d’homme à la mer et on m’explique la façon dont ça s’organise quand il y a des survivant·es à bord. Les membres de l’équipage appellent volontairement les personnes secourues « survivant·es » pour éviter de porter un quelconque jugement sur les raisons pour lesquelles les gens se trouvaient en mer à ce moment-là. « En vertu du droit maritime international, on a l’obligation de fournir une assistance et non de chercher à savoir qui sont ces personnes, me dit Jérôme. Je suis sauveteur, pas juge – et je serais un criminel si je ne sauvais pas les personnes en détresse. »

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Le jour de Noël, on fait un exercice pour que chacun·e se sente en sécurité sur le canot pneumatique semi-rigide (RHIB, pour « Rigid-hulled Inflatable Boat ») avec lequel les sauvetages sont effectués. « C’est important qu’il y ait des journalistes à bord pour voir ce qu’on fait ici et comment on opère, lance Charlie, sauveteur. Mary, sa collègue, confirme : « La mer, ça peut vraiment être sans foi ni loi si y’a personne pour surveiller ce qui se passe. On voit de près ce que font les garde-côtes libyens dans les eaux internationales. Ils rapatrient les gens vers la Libye, avec le soutien de l’Europe et de l’Italie. Ça va totalement à l’encontre des règles convenues au niveau international et ça, sans nous et d’autres ONG, on serait pas au courant. »

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Anita évoque ensuite le cadre juridique dans lequel l’ONG opère : « Il existe différentes conventions qui déterminent quand on aperçoit des personnes en détresse. On évalue toujours l’état du bateau à secourir d’abord et puis on transmet ces informations aux autorités compétentes en Libye, à Malte et en Italie. Tous ces mails et preuves c’est particulier, mais comme les autorités nous rendent la vie dure, on veut juste s’assurer qu’on est en mesure de prouver qu’on fait rien d’illégal. Je fais mon devoir pour sauver les gens en mer, c’est tout. Le fait qu’on s’acharne autant sur nous, ça me dépasse. Chaque sauvetage est un combat. »

Le lendemain, on arrive dans la zone d’opération au nord de la Libye. La tempête s’est calmée et le beau temps se pose pour quelques jours. Ça signifie potentiellement que beaucoup de gens vont tenter la traversée. Tout au long de la journée, des messages arrivent concernant des embarcations qui ont besoin d’aide. Au niveau de la passerelle, le centre de commandement du navire, il y a toujours quelqu’un de garde, à scruter l’horizon avec des jumelles. Le talkie-walkie crache souvent : « Bridge, bridge, pour Charlie, tu peux vérifier à tribord s’il te plaît ? »

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Le 27, à 1 heure du matin, tout le monde se réveille d’un coup. L’équipage se précipite vers les casiers et, à peine quelques instants plus tard, les trois RHIB sont à l’eau. Autour du navire, les plateformes pétrolières libyennes crachent du feu. La pleine lune illumine l’horizon. Les canots de sauvetage naviguent vers les coordonnées spécifiées et le vaisseau mère suit de près. Anita prévient : « Y’a un bateau des garde-côtes libyens et un bateau en bois en détresse. » L’équipage est inquiet ; les garde-côtes libyens sont imprévisibles et s’ils sont déjà occupés à transférer des personnes sur leur bateau, on ne pourra plus rien faire. Les rescapé·es seront ensuite ramené·es en Libye et placé·es dans des camps de détention, les mêmes qui  ont été condamnés à plusieurs reprises par l’ONU pour traitements inhumains.

On s’approche du bateau en bois. Les gens sont assis les un·es à côté des autres. Ces types d’embarcations sont instables et si trop de gens se penchent du même côté, ils risquent de chavirer. Quand l’équipage leur fait comprendre qu’on ne vient pas de Libye et qu’ils sont désormais en sécurité, certain·es commencent à s’embrasser. Un autre lève les mains en l’air et remercie Dieu. 

Des rescapés affirment que les garde-côtes libyens ont eu des problèmes de moteur et n’étaient donc pas en mesure d’effectuer le sauvetage. Au lieu de charger les gens sur leur navire et de les ramener en Libye comme ils le font habituellement, ils ont alors contacté l’Ocean Viking et ont demandé de l’aide. Certaines personnes à bord du bateau en bois s’étaient déjà aspergées d’essence, prêtes à s’immoler si les garde-côtes libyens s’approchaient d’elles. La peur d’être ramené·es dans un endroit où les droits humains sont violés est tangible.

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Photo : Camille Toulmé / SOS MÉDITERRANÉE

122 personnes sont embarquées en toute sécurité. Elles reçoivent ensuite une aide médicale, avant de pouvoir se doucher et manger. Après une longue nuit, le calme revient sur l’Ocean Viking. « Le sauvetage n’est officiellement terminé qu’une fois que tout le monde est transporté en lieu sûr, m’explique Jérôme. Et sur la route méditerranéenne centrale, au large des côtes libyennes et tunisiennes que ces personnes fuient, le lieu sûr le plus proche c’est l’Italie. » 

Les autorités italiennes ont désigné Bari, dans le sud de l’Italie, comme port de débarquement. Une nouvelle aussi heureuse qu’inattendue. Depuis l’introduction du décret Piantedosi en 2023, l’attribution répétée de ports éloignés au nord de l’Italie ont forcé l’Ocean Viking à naviguer l’équivalent de plus de deux mois supplémentaires – soit 21 000 kilomètres en plus –, ce qui a entraîné un surcoût considérable de 500 000 euros pour le carburant.

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Vers 11h30, un nouveau cas potentiel est aperçu au loin depuis la passerelle. Alors que la nuit de sommeil n’a été que très courte, la radio sonne à nouveau : « All crew, all crew. Ready for rescue. Ready for rescue. » Les RHIB partent. Un bateau en bois bleu est en détresse. Colibri 2, un avion de l’ONG Pilotes Volontaires, survole au-dessus de nos têtes.

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Sur le pont, d’intenses négociations sont en cours entre Rome et l’Ocean Viking. C’est Colibri 2 qui a effectué l’appel officiel concernant le bateau en détresse. L’Ocean Viking a ensuite demandé aux centres de secours de Libye, d’Italie et de Malte de procéder au sauvetage – les autorités compétentes pour cette zone de recherche et de sauvetage. Selon le nouveau décret Piantedosi, un seul sauvetage peut être effectué à la fois. Anita les recontacte et leur dit explicitement que le bateau est en détresse, qu’il est peu probable qu’ils atteignent leur destination et qu’il y a des femmes enceintes et des enfants à bord : « Donc, vous êtes en train de nous ordonner d’abandonner ce bateau en détresse ? » Finalement, Rome cède.

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Ce second sauvetage permet de mettre en sécurité 106 adultes, dont deux femmes enceintes et 17 enfants. Lors du transfert, un nouvel appel d’urgence tombe – le troisième en 24 heures –, toujours de Colibri 2. Deux des trois canots de sauvetage repartent. Anita est tendue, le contact visuel avec les RHIB est perdu. Heureusement, le Colibri 2 assure le contact radio entre les canots et le vaisseau mère. Anita rappelle Rome et obtient le feu vert pour procéder au sauvetage. Selon l’équipage, c’est un petit miracle que trois sauvetages d’affilée aient pu être autorisés. Un peu plus tard, les RHIB réapparaissent à l’horizon avec 16 personnes rescapées à bord.

Il y a beaucoup d’agitation sur le pont du navire. 244 vies ont été sauvées. Il y a des gens du Pakistan, du Bangladesh, de Syrie, d’Égypte, d’Érythrée et du Soudan du Sud.

Vers 18 heures, un quatrième appel de détresse provient d’un navire dans la zone. Rome déclare expressément qu’on ne doit pas dévier de notre cap. Anita décide quand même de naviguer vers l’embarcation, comme l’exige le droit maritime dans ce cas, jusqu’à ce qu’elle obtienne plus d’informations sur qui procèdera au sauvetage. Mais au bout d’un moment, les coordonnées s’avèrent beaucoup plus éloignées que prévu. On reprend la route vers Bari. L’heure d’arrivée estimée reste la même.

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Après une nuit agitée et une journée tout aussi chargée, ça se réveille à bord du navire. Les enfants jouent sur le pont avec des craies, des jouets et des talkies-walkies. Sur les cartes, certains montrent le voyage qu’ils ont accompli tandis que d’autres discutent en buvant du thé. Lors d’un discours de bienvenue, l’équipage me présente comme le journaliste du navire. Je reçois un accueil chaleureux. On m’apprend quelques mots en arabe, on m’entraîne dans un groupe pour danser et on me raconte certains parcours.

La mer est très calme. Pas une vague à l’horizon. Keah, un jeune sud-soudanais de 18 ans, se tient à côté de moi et regarde au loin. « La mer, elle est tellement différente ici. On dirait que la couleur est plus claire et que l’eau est plus calme. Quand on a quitté la Libye, elle ressemblait juste à une grosse toile d’araignée faite de plein de vagues. C’était difficile de trouver un passage. On a dû s’accrocher. Personne ne savait vraiment comment le bateau et le GPS fonctionnaient. On a regardé des vidéos YouTube, ça nous a un peu aidé. »

Plus tard, Keah me partage un bout de son histoire. Alors qu’il avait 9 ans, lui et sa famille ont fui le Soudan du Sud vers le Soudan à cause de la guerre civile. L’an dernier, il a décidé de rejoindre l’Europe via la Libye, mais il a été envoyé dans un camp de travail pendant trois mois, où il s’est notamment fait battre pour de l’argent par des Libyens – on lui a cassé la mâchoire avec une pierre. Malgré ça, il a travaillé jour et nuit dans la construction pour pouvoir payer un passeur. « Ça a été un long voyage et j’ai vécu des choses terribles. Personne sur le bateau n’avait la certitude qu’on atteindrait l’Italie, mais Dieu nous a donné la force. Un jour, j’aimerais revoir ma famille et peut-être aussi apporter du changement et de la paix, dans un pays où la guerre fait rage. »

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La protection team tente de savoir qui a déjà de la famille en Europe, pour le regroupement, et collecter les numéros de téléphone des proches et des familles en question. Elle transmet les infos à la Croix-Rouge et leur fait savoir que tout le monde est en sécurité à bord de l’Ocean Viking. 

Souvent, les survivant·es souhaitent tenir leur famille au courant mais en haute mer, c’est quasiment impossible. Dans les moments où la portée est meilleure, des groupes se rassemblent sur le pont autour d’un ou plusieurs téléphones portables. Certain·es laissent couler des larmes de joie. L’attente d’un contact avec leur mère, leur partenaire ou leurs enfants a été longue.

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Le soleil se couche à l’horizon, mais le calme ne revient pas pour autant à bord du navire. Au contraire. Un groupe de Syriens se met à chanter près de la zone fumeur. L’un d’eux lance le mouvement, les autres suivent. Dans la section des hommes, un peu plus loin, les Bangladais se mettent aussi à chanter. L’un d’eux donne le rythme sur un djembé. C’est un chaos orchestré, et le « leader » loupe parfois une parole ou manque la mesure, mais se reprend habilement, sous le regard amusé de ses compagnons.

Le 30, après deux jours de navigation, on arrive presque à Bari. Tout le monde paraît heureux. Certain·es crient « Italy, Italy ! » Mais alors qu’on se rapproche de la côte, un bateau de la police des frontières italiennes avance vers nous. La confusion gagne les esprits. Un rescapé demande, inquiet, s’il s’agit de garde-côtes libyens. Je lui répond que c’est l’Italie. Il sourit.

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Au port, nous attendent une importante délégation de journalistes, des membres de la Croix-Rouge et surtout beaucoup policier·es. Les survivant·es débarquent et disparaissent progressivement. L’équipage ne saura jamais ce qui va leur arriver après. On n’a ni le temps ni les ressources pour chercher à le savoir. De l’autre côté de la mer, un autre groupe se prépare probablement déjà à entreprendre la dangereuse traversée. L’équipage de l’Ocean Viking veut reprendre la mer au plus vite.

Anita a passé tout l’après-midi au commissariat avec le capitaine. Elle revient le soir avec une mauvaise nouvelle : l’Ocean Viking sera retenu pendant 20 jours. Les directives de Rome n’auraient pas été respectées, parce que le navire a dévié de sa route après le troisième sauvetage – la fois où l’embarcation en détresse était finalement trop éloignée. 

« C’est fou de voir comment ils font tout ce qu’ils peuvent pour entraver notre boulot, dit Mary. J’ai du mal à comprendre comment il peut y avoir un manque d’humanité pareil. Cette politique punit les gens qui veulent aider les autres. Et ça se voit à toutes les frontières en Europe. C’est pas ça, la solution. Si on construit plus de murs, y’aura juste plus de morts. Je suis fière qu’on arrive encore à persévérer malgré tout. Ils nous mettent des bâtons dans les roues et ça nous coûte beaucoup d’argent, de temps et d’énergie, mais ça ne nous arrête pas. On doit être plus fort·es qu’eux, maintenant plus que jamais. »

Cet article a été réalisé avec le soutien du Fonds Pascal Decroos.

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