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Les analyses sanguines « next-gen » : entre promesse santé et vrai risque sur la vie privée

Par :Maxime
26 mai 2025 à 15:57
Les analyses sanguines « next-gen » : entre promesse santé et vrai risque sur la vie privée

Disclaimer, vu le sujet : cet article représente mon opinion toute personnelle rien qu'à moi sur le sujet, et n'a évidemment rien à voir avec celle de mon employeur actuel (que j'ignore, d'ailleurs). D'ailleurs vous savez ce qu'on dit des opinions : si cet article vous contrarie, je vous invite à le considérer comme du jetable, plutôt que comme quelque chose auquel il faut nécessairement réagir.

Il y a quelques années (déjà !), je vous bassinais avec les tests ADN à la mode – ce merveilleux cadeau de Noël qui permet à votre cousin de découvrir qu’il est à 2%, viking, et à votre assureur de découvrir qu’il ne vous assurera plus jamais. Je l'ai retrouvé sous une couche de poussière à la faveur de l'annonce de la revente de la base de données de 23andme (que je prenais comme exemple à l'époque) à un labo pharmaceutique, ancrant dans la réalité le pire scénario que j'esquissais à l'époque.

Mais aujourd’hui, on va parler d’un nouveau joujou : les analyses sanguines « deep health », comme celles proposées par Lucis (ex-ZeroHealth). Non pas que cette entreprise en particulier me pose problème : c'est celle dont on m'a parlé, et la seule que je connaisse. Rien de ciblé, donc.
Leur promesse : grâce à des « biomarqueurs avancés », vous allez tout savoir sur votre santé (« et même ce que votre médecin n’ose pas vous dire ! »). On vous vend des tableaux de bord colorés, des « insights » personnalisés, et une impression de contrôle total sur votre corps. Mais ce qu’on ne vous explique pas, c’est que la vraie valeur, ce n’est pas votre cholestérol – c’est votre data. En vrai, c’est surtout un nouveau business model : la monétisation de votre biologie.

Science ou science-fiction ?

Vous pensiez que la médecine avait raté quelque chose ? Rassurez-vous, non.

Commençons par la base (et vous qui me connaissez savez que je suis très attaché à cet aspect particulier) : est-ce que ces tests sont reconnus par la communauté médicale ? Spoiler : non, pas tellement.

Les sociétés savantes comme l’American Medical Association (AMA) ou la European Society of Cardiology (ESC) ne recommandent pas ce genre de panels XXL pour Monsieur et Madame Tout-le-Monde. À moins d’avoir une pathologie précise ou un contexte clinique solide, on considère que ces tests relèvent plus du marketing que de la médecine fondée sur les preuves. La plupart des « plages optimales » de ces biomarqueurs sortent de l’imagination fertile des boîtes qui les vendent, pas de grandes études randomisées ou de méta-analyses. Et puis, tester 50 trucs à la fois, ça augmente surtout les fausses alertes et l’anxiété (sans parler du surdiagnostic et de ses conséquences), pas la santé publique.

D'aileurs, on n'a aucune preuve d’amélioration de quoi que ce soit. L’ESC précise même que le dépistage large chez les personnes à faible risque n’a que peu d’impact, voire aucun, sur la prévention réelle ! (source : ESC)

🥑 Aparté : les tests d’allergies et d’intolérances alimentaires… à 500 € la désillusion

Vous avez probablement déjà vu passer ces publicités pour des tests « révolutionnaires » d’allergies et d’intolérances alimentaires, proposés en direct, parfois à plus de 500 €. Promis, avec une goutte de sang ou un prélèvement de cheveux, vous saurez enfin pourquoi les brocolis vous font gonfler ou pourquoi la pizza vous rend « bizarre ». Petit rappel scientifique :

  • Ces tests ne reposent sur aucun consensus médical sérieux. La Haute Autorité de Santé, l’Académie de Médecine ou encore la Société Française d’Allergologie déconseillent formellement ces pratiques.
  • Les tests IgG, par exemple, n’ont aucune valeur diagnostique pour les intolérances alimentaires. Pire, ils peuvent pousser à des régimes d’éviction inutiles et parfois dangereux.
  • Ce que disent les allergologues : Seuls les tests validés (prick-tests, dosages IgE spécifiques, etc.), prescrits par un médecin, ont une réelle utilité.
  • Le vrai risque : dépenser une fortune pour des résultats fantaisistes, culpabiliser sans raison, et finir carencé parce qu’un algorithme vous interdit le pain, le lait et la tomate.

Pour aller plus loin :

En résumé : Mieux vaut garder vos 500 €, consulter un vrai allergologue… et ne pas vous priver de raclette sur la foi d’un test acheté sur Internet.

Les analyses sanguines « next-gen » : entre promesse santé et vrai risque sur la vie privée
« Ils disent que l’information, c’est le pouvoir. Apparemment, mon sang aussi. »

Et la vie privée dans tout ça ?

Bon, maintenant, parlons de ce qui nous intéresse encore plus que la validité scientifique de la chose : vos données. Quand on me dit : « T’inquiète, c’est pas comme l’ADN, tu ne donnes que tes résultats de prise de sang », j’ai envie de répondre : « Oui, et alors ? »

L’ensemble des marqueurs, croisés avec d’autres infos (âge, sexe, antécédents…), ça devient très parlant. Et surtout, ça se revend très bien.

  • Le labo analyse votre sang, OK, mais qui récupère le PDF final ? La startup, évidemment. Le labo est souvent certifié, mais vos résultats transitent ensuite vers une plateforme qui, elle, n’est pas soumise aux mêmes obligations que votre médecin ou votre hôpital.
  • Que fait-elle de ces données ? Bien malin qui peut répondre à cette question. Parfois, l'entreprise annonce tout bien comme il faut : conformité RGPD, stockage sécurisé, anonymisation (parfois même “pseudonymisation”, le mot préféré du RGPD bingo). Mais souvent, elle se réserve le droit d’utiliser vos données pour la recherche, l’amélioration du service, voire pour les vendre anonymisées à des partenaires. (Et entre nous, la ré-identification, c’est pas si compliqué quand on a des jeux de données croisés.)
  • Et demain ? Les CGU changent, les startups pivotent, les rachats arrivent. Un jour, c’est 23andme. Le lendemain, c’est BigPharma qui rachète la base. Bonne chance pour faire valoir votre droit à l’oubli. Et ça c'est sans compter les éventuelles bases bases de données et autres buckets S3 mal protégés et autres joyeusetés. Finalement, votre sang circule plus que vous ne le pensez.

Quelques conseils de vieux parano :

  • Lisez les CGU et la politique de confidentialité. (Oui, c’est chiant. Mais c’est pire de se faire siphonner ses données.) Sur celle de Lucis par exemple, pas de liste de tiers ou sous-traitants, un mauvais point.
  • N’utilisez que le strict minimum d’infos personnelles. Si le service accepte les pseudonymes, profitez-en. Si vous pouvez utiliser un email dédié, faites-le.
  • Posez-vous la question : ai-je vraiment besoin de ce test ? Ou est-ce juste pour avoir un joli dashboard ?
  • Ce test est-il validé par une société savante ? (Indice : si ce n’est pas le cas, méfiance.)
  • Restez critique sur les recommandations données. L’avis de votre médecin, c’est pas mal aussi. Lui, au moins, il n’a pas de stock options sur votre ferritine (normalement).

En résumé

Les tests sanguins « next-gen » promettent de révolutionner votre santé, mais n’ont pas de validation scientifique solide et posent de vraies questions de privacy. Vos données valent cher, alors ne les bradez pas pour un graphique coloré. Et surtout, gardez votre sang-froid (désolé).

Bref, on nous refait le coup du « quantified self » : plus de chiffres, plus de dashboards, mais pas forcément plus de santé. L’illusion du contrôle, la réalité du data mining.

Un peu de lecture pour finir la journée

Retrouvez-moi dans quelques années pour le billet « Pourquoi j’ai refusé de faire analyser mes ongles par une app IoT connectée à TikTok ». En attendant, prenez soin de vous… et de vos données.

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