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Vivre avec une addiction : les parcours de quatre sans-abris toxicomanes

14 décembre 2023 à 13:21

Comment mettre fin à son addiction ? À l’association Transit à Bruxelles, on parle plutôt de contrôler la consommation de drogue pour limiter les risques. Cette ASBL accueille des sans-abris toxicomanes depuis 1995. Un hébergement de treize jours ainsi qu’un accompagnement médical et psychosocial sont offerts aux usager·es. C’est aussi un refuge pour manger et se reposer des heurts de la rue. Les personnes qui passent les portes de l’association schaerbeekoise entament déjà un processus de guérison.

Les 693* usager·es accueilli·es à Transit cohabitent avec ce qui est devenu, au fil des ans, leur addiction. Une addiction qui ne laisse pas de répit et ne prend pas de vacances. Il peut y avoir des moments de stagnation, des retours en arrière et des opportunités manquées. Le chemin est long mais l’espoir d’un arrêt les pousse à continuer le combat. Pour certain·es, Transit est un nouveau départ mais bien souvent, ces personnes n’en sont pas à leur premier lancer de dés.

Stéphanie** (43 ans)

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Sur les mains vernies de Stéphanie cohabitent la bague argentée de sa mère et les brûlures laissées sur ses doigts par le briquet avec lequel elle consommait.

Elle est assise seule sur un des bancs de l’accueil. Ses yeux noirs possèdent encore quelque chose d’enfantin malgré sa quarantaine d’années. Ils fixent le gobelet de café posé devant elle. Comme beaucoup, Stéphanie a un parcours de vie en dents de scie. Ses ongles sont vernis d’un rouge vif. Elle a aussi fait le choix de porter un pantalon et des chaussures à paillettes. On sent un attrait pour tout ce qui brille. Pour autant, Stéphanie est plutôt discrète. Elle avoue préférer s’isoler pour nous raconter son histoire. C’est dans sa chambre d’une douzaine de mètres carrés, qu’elle partage avec une autre femme, qu’elle nous raconte tout doucement son parcours et sa bataille pour mettre fin à son addiction.

Il y a sept ans, Stéphanie a perdu sa mère et « depuis, c’est un peu la décadence ».  Ce moment a marqué un tournant décisif dans sa vie et dans son rapport aux drogues. Elle a commencé à prendre davantage de produits « pour essayer d’anesthésier la tristesse ». La consommation festive a donc cédé la place à une toxicomanie tenace. Elle a perdu la maîtrise et s’est retrouvée piégée. Ce décès a sonné l’arrêt définitif de sa vie d’avant. S’en sont suivies de violentes années de vie dans la rue, accompagnées de toutes sortes d’abus. Elle a été forcée d’y vivre après avoir dilapidé l’entièreté de son héritage en cocaïne. « Un de mes grands regrets », dit-elle.

Elle a tenté plusieurs fois de dire au revoir à la came, sans succès. Aujourd’hui, elle assure que c’est différent et explique avoir développé un « dégoût total » depuis sa dernière prise. Ça lui a fait un électrochoc, elle a senti qu’elle est allée trop loin. Grâce à Transit et à ce qu’elle appelle sa force intérieure, Stéphanie vient de réussir à maintenir un arrêt total d’une dizaine de jours. Elle rêve que cet arrêt soit réellement définitif, pour pouvoir prendre un nouveau départ.

Dans ses esprits, sa mère ne semble jamais bien loin. Peut-être parce qu’elle n’a pas pu se rendre au Maroc, où elle est décédée, Stéphanie n’arrive pas totalement à lui dire au revoir. Elle se l’est promis, un jour elle ira.

Dans sa vie d’avant, la quarantenaire est aussi passée par la case prostitution et ce, bien avant la rue. L’alcoolisme de sa mère les avait fait atterrir dans le quartier Yser et de là « ça a fait boule de neige ». Son corps porte encore les traces de cette période. Sur son visage traîne une cicatrice, trace d’un proxénète en colère. Il y a aussi les brûlures laissées par le briquet dont elle se servait pour consommer du crack. Puis, il y a les traces qu’elle a choisi de poser elle-même : trois tatouages et une infinité de piercings qui habillent ses lobes et son nombril. Chaque ornement choisi marque un moment difficile. Peut-être que bientôt elle changera la donne en s’en offrant un qui marquera « l’arrêt de la conso ». Pourquoi pas aussi, comme elle le dit, graver dans sa chair en lettres tribales le prénom Caroline, celui de sa mère.

Au cours de ses années de conso, elle a déjà réussi à arrêter pendant un an et demi. « Ce qui me fait chier, c’est qu’il y a toujours une rechute. Je me demande ce que c’est la rechute, pourquoi je rechute ? », dit-elle, la colère dans la voix. Elle avoue avoir parfois eu des pensées suicidaires.

Dans la nouvelle maison d’accueil qui l’attend après Transit, « le produit est interdit »,  mais elle explique que c’est particulièrement dur de résister en ce moment car elle rêve beaucoup de sa mère. « D’un autre côté, ça veut aussi dire qu’elle est près de moi. J’aimerais qu’elle me pardonne. »

Henri (58 ans)

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Le baby-foot fait partie des jeux d’intérieur mis à disposition des usager·es qui passent par l’ASBL. Il y a également une table de ping-pong et une télévision accessibles en libre-service.

« Lève tes joueurs quand je tire. » Une casquette vissée sur sa tête et les joues mangées par une barbe de trois jours, Henri, la cinquantaine, est un as du babyfoot – aussi un habitué de Transit. Sobre depuis six ans, il était autrefois en proie à l’alcoolisme. Il continue tout de même de venir ici trois fois par semaine parce que ça lui offre une stabilité.

Henri se décrit comme un exemple parce qu’il a réussi à se sevrer pour de bon après une dizaine de tentatives. Mais il sait que, même quand on s’en sort, la rechute guette la moindre faille. « Il suffit d’une goutte ou d’un déclic pour replonger. » S’il ne se donne aujourd’hui plus le droit de consommer, c’est aussi parce qu’il prend un médicament avec lequel l’alcool ne fait pas bon ménage. Il l’a trouvé après avoir cherché une solution pendant 30 ans. Ce médicament, c’est un peu son joker, sa case chance à lui.

Maintenant que sa maladie est derrière lui, il espère avoir bientôt l’opportunité de multiplier les voyages. Il en a déjà fait plusieurs ; au Bénin, en Espagne ou encore, dans son pays d’origine. Henri est arrivé en Belgique à l’âge de trois ans, avec ses parents adoptifs.

L’alcool et lui, c’est d’ailleurs une histoire de famille. Il l’a compris lors d’un de ses voyages, quand il s’est rendu dans l’orphelinat où il a vécu un temps, alors qu’il était enfant. Là, une femme lui en appris davantage sur ses parents biologiques. Sa mère avait quitté la région et personne n’avait de ses nouvelles mais, apparemment, son père souffrait d’alcoolisme.

Pourtant, c’est avec sa famille adoptive qu’il a goûté son poison pour la première fois. Il avait 8 ans quand ses parents lui ont laissé tremper ses lèvres dans un verre en cristal. Dans cette famille bourgeoise, cela faisait partie de l'éducation de faire apprécier l'alcool de qualité. Ses premiers contacts, dans ce cadre, l'ont quelque part marqué. Sans le savoir, ses parents lui ont ouvert les portes de l’addiction. Mais tout s’est vraiment accéléré au cours de ses études secondaires. Il brossait les cours pour boire avec ses copains et, comme il était bon élève, tout le monde le laissait tranquille. Henri a longtemps été protégé par ses facilités. Il est l’exemple qu’une bonne éducation et un milieu social privilégié n’immunisent pas des addictions.

Marc-Antoine (28 ans)

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Un café dans une main, une cigarette roulée comme un joint dans l’autre, un jeune homme, tatoué au visage, reste dans le coin de la cour et ne semble pas vouloir parler aux autres résident·es. « Mon vice, je l’ai toujours », dit-il, après s'être présenté à voix basse. Pour lui, impossible d’arrêter complètement le shit. Ce serait même illusoire. Mais il a levé le pied. « Parfois, je prends une chambre d’hôtel et je fume là, une nuit. Après je freine, j’arrête pendant un certain temps, avant de le refaire. »

Marc-Antoine voit l’addiction comme un engrenage. Essayer d’arrêter, ça peut foirer à chaque étape du processus – s’il ne parle pas aux autres usagers et usagères, c’est d’ailleurs pour ne pas être influencé. Alors, il faut trouver une alternative, une échappatoire à la consommation. Pour lui, ce sont les tatouages. « Et pourtant, de base, je déteste les aiguilles », dit-il en haussant les sourcils. Difficile à croire quand on voit qu'il est recouvert de dessins. Son regard pétille quand il nous décrit l’araignée qu’il se fera encrer sur son crâne chauve le lendemain. Il a aussi une phrase en chinois sur l’avant-bras, le nom de son ex. Moins commun, la croix gammée tatouée sur la droite de son torse, parfaitement symétrique à un dessin de l’étoile de David de l’autre côté. « Je suis un fan de la Seconde Guerre mondiale, c’est pour ça », explique-t-il, avant de finalement lâcher quelques minutes plus tard qu'il est d'extrême droite. Mais il ne nous parle pas davantage de son idéologie. Par contre, il nous confie qu’il ne se rend pas compte de l’image qu’il renvoie.

Si sa mère ne veut plus le voir à cause de son corps tatoué, ça ne l’empêche pas de retourner chez lui, de temps en temps, à Hasselt, faire un tour de la ville ou prendre un verre.

Marc-Antoine rêve de voyager en Suisse, et au Luxembourg. Il parle même de vouloir visiter les pays de l’Est. « J’aimerais bien aller en Ukraine, en Russie. Même maintenant, ouais, je m’en fous. » Pour ces projets, il lui faut de l’argent. C’est pour ça qu’il est à Transit : ses treize jours d’hébergement lui permettent d'en mettre de côté. L’argent, c’est d’ailleurs une des raisons qui l’a poussé à ralentir sa consommation. « Aussi, ça me rendait violent. » Marc-Antoine a un passé agressif, qui l’a mené à s’arrêter plusieurs fois sur la case prison. Au total, il y est resté trois ans et demi, du temps qu’il a consacré à la lecture de Patrick Süskind, notamment.

Marin (50 ans)

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La vue sur Bruxelles, depuis la fenêtre d’un des appartements autonomes de Transit. Il s’agit de studios, situés au dernier étage du bâtiment.

« Le doyen d’ici », c’est comme ça qu’il se présente. Dans la rue, les autres l’appellent « le Français ». Marin a 50 ans mais en fait 38. Souriant, il inspire la confiance. C’est son premier passage par « la case Transit », mais il connaît déjà tout le monde, de la rue. Pendant encore plus d’une semaine, il a un endroit où dormir et prendre une douche. Il a aussi des rendez-vous avec son assistante sociale, qui l’aide à préparer son futur. Dès qu’il dit « Je veux m’en sortir », c’est comme une prière : il touche du bois, celui du cadre d’une fenêtre. Il aimerait aussi renouer avec ses sept enfants, dont il parle avec autant de fierté que de regrets : il ne les a pas vraiment vu grandir.

Toute sa vie, Marin a été derrière les fourneaux. L'Horeca, c'est tout ce qu'il connaît. Et, selon lui, dans le milieu de la restauration, difficile d'éviter la cocaïne. Un soir, alors qu'il servait, une femme, Colombienne, lui a tapé dans l'œil : « une sirène en robe blanche », la décrit-il en souriant. Elle lui a pris son cœur et il l’a suivie à Barcelone.

Une fois dans sa maison, trois kilos de poudre, blanche elle aussi, l'attendaient sur un plateau d’argent. Il était jeune, et la drogue ne l’a plus quitté depuis. Il a eu des enfants avec elle, qui lui manquent beaucoup. Son fils de 23 ans lui a rendu visite il y a peu : « Il deale maintenant. Quand je l’ai vu, il avait une énorme balafre. Je lui ai dit d’arrêter mais… tout ça, c’est de ma faute. » Rongé par la culpabilité, Marin continue à nous parler de ses regrets, en marquant des pauses pour tousser. « J’ai  envie de m’en sortir, j’ai envie de voir mes enfants… J’étais bien socialement, j’avais beaucoup d’argent, j’avais des voitures… et j’ai tout perdu. »

La case Transit a aussi ses tentations, et il s’avère être beaucoup plus facile de se laisser pousser à reculons que d’aller de l’avant. Autour de lui, ces « boiteux » comme Marin les appelle, peuvent le repousser dans la consommation. Hier soir, un autre usager lui a proposé de fumer du crack. Il soupire : « Ici, ils ne te proposent pas d’aller faire un jogging, de s’aérer, de regarder un film, d’aller draguer… Il m’a dit qu’il avait la pipe et j’ai accepté. »

Marin est passionné de nourriture. C’est son projet, le point culminant de sa guérison : ouvrir son snack. « La cuisine, je kiffe ça, et je kiffe faire plaisir aux gens. Quand les assiettes reviennent vides, ça me fait tellement plaisir ! » Une usagère lui apprend qu’il y aura de la blanquette au menu pour le repas de midi. Marin reste bouche bée, euphorique. « On mange bien ici, dit-il ensuite, à notre faim, et on a même droit à un dessert le soir. »

Il a aussi beaucoup voyagé, notamment après ses trois divorces. « Ça me permettait de faire des pauses. » Il a aussi travaillé à l’étranger, en Grèce surtout, où il est resté deux ans pour « joindre l’utile à l’agréable ». Il raconte qu’il avait un super studio, un bon salaire et qu’il n’y a pas consommé de poudre à cette époque. Par contre, il buvait. Ici, en Belgique, c’est moins paradisiaque. « J’arrive pas à avoir un travail stable. Si j’en avais un, j’aurais un studio et je gérerais ma consommation », affirme-t-il en fumant une cigarette tordue.

Avoir un toit, c’est une case plus éloignée de son parcours. Il la voit à l’horizon, mais ce n’est pas imminent. « Il faut même pas que j’envisage de trouver un appartement maintenant parce que je vais traîner qu’avec des boiteux. Et, quand on traîne avec des boiteux, on finit par boiter aussi, donc je vais tout perdre. D’abord je dois faire ma cure, puis la postcure. » Le mois prochain, il aura sa place à l’hôpital Brugmann pour commencer son sevrage.

Si ces témoignages sont plein d’espoir, malheureusement peu des personnes qui passent la porte de Transit s’en sortent et arrivent à quitter leur addiction. Les travailleur·ses qui les accompagnent nous le confirment : le chemin vers la guérison est long voire interminable, chaque épreuve peut les repousser en arrière. Tou·tes savent que l'arrêt définitif de la consommation est utopique, la drogue ne les quittera probablement jamais. C'est pour ça que chez Transit, on ne parle pas d'arrêt mais de « transition vers une autre étape » – une étape où leur dépendance n'est plus complètement problématique.

*Le nombre de personnes accueillies sur l’année 2022. **Tous les prénoms ont été modifiés pour protéger leur vie privée.

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Le comptoir d’échange permet aux usager·es qui passent les portes de Transit de bénéficier de matériels stériles afin d’avoir une consommation plus sécurisée.
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Au moment d’entrer dans le hall de Transit, celles et ceux qui comptent rester dans les espaces communs doivent d’abord laisser toutes leurs affaires personnelles dans des casiers nominatifs à l’accueil.
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L’évier de la chambre de Stéphanie.
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Lorsqu’une personne fait une demande d’hébergement à Transit et qu’il y a de la place, elle peut y rester treize jours consécutifs. Elle se voit alors attribuer une chambre double qu’elle partagera avec un·e autre pensionnaire.
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Dans la salle de repos, toutes les personnes qui arrivent à Transit peuvent se reposer. Qu’elles soient en attente d’un hébergement ou simplement de passage.
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Bosser dans la bière sans se la coller : mission presque (im)possible

6 décembre 2023 à 08:56

Mon coach sportif me suit sur Instagram. Avant un cours, il m'interpelle en souriant : « Anaïs, t’aimes bien l’alcool, non ? » Rouge comme une écrevisse, je réponds en balbutiant que contrairement aux apparences, ma propension à lever le coude est relativement faible. Trop tard. Dorénavant, la poivrote de la salle, c’est moi. Je fais tache dans cet univers où santé et régime sain règnent en maître.

Je ne peux pas lui en vouloir, c’est vrai que si vous scrollez mon compte, vous pouvez vous dire que je suis une bonne buveuse. Pendant longtemps, j’y postais frénétiquement mes dégustations et à l’instar des TikTokers beauté et leurs hauls make-up, mes followers pouvaient admirer mes commandes en ligne des dernières pépites craft et mes butins de retours de festivals.

Tombée dans la marmite houblonnée il y a six ans, j’ai quitté en 2022 l’angoisse d’un flex office de rédaction locale pour l’univers merveilleux des « beer writers » (et autres travaux de petites mains dans des brasseries). À la simple évocation du milieu professionnel dans lequel j’évolue, la réponse de mes interlocuteur·ices est toujours la même : « Mais c’est trop bien, tu dois avoir de la bière en illimité ! »

C’est vrai. Bosser dans la bière, c’est souvent avoir un accès illimité et quasi gratuit au produit. Si vous voulez vous enivrer jusqu’à plus soif du matin au soir, il y aura rarement quelqu’un pour vous en empêcher.

Je me sens un peu bête de ne pas y avoir pensé plus tôt : travailler dans la bière = boire de la bière. Logique. Seulement voilà, l'éthanol et moi avons toujours eu une relation basée sur la modération, à tel point que je ne connais même pas les effets d’une gueule de bois – et si mes placards débordent de bouteilles prêtes à être consommées, ils se vident aussi lentement que ma pile de livres à lire.

Trop souvent depuis que j’ai rejoint le monde craft, je me suis retrouvée avec un verre que je n’avais pas envie de boire. Pas aujourd’hui ; pas à cette heure ; pas dans cette quantité. J’ai cru que c’était ce qu’on attendait de moi pour prouver mes connaissances et rentrer dans le moule – pour beaucoup, c’est encore un prérequis.

Être une femme au milieu d’une majorité de mecs n’a pas aidé à faire taire ce sentiment naissant d’avoir quelque chose à prouver (d’après les chiffres de 2021 du biérologue Emmanuel Gillard, les femmes représentent seulement 13% des effectifs des brasseries françaises). Boire peu d’alcool ou des bières plutôt légères ou fruitées (aka les supposées « bières de filles »), ce serait comme confirmer les clichés sexistes sur les femmes et la bière, notre méconnaissance et notre faible attrait pour le produit. Alors on peut aussi « boire comme un bonhomme » mais pas trop, pour ne pas blesser les ego virils et perdre notre féminité au passage.

Surtout, pour moi et beaucoup d’autres amies du milieu, boire peu, c’est aussi une question de sécurité, pour garder le contrôle sur la situation lors d’événements où l’alcool coule à flot et que se faire emmerder par un type bourré est monnaie courante – une étude de 2019 montre d’ailleurs que les femmes qui boivent de la bière sont perçues comme plus ouvertes sexuellement, je vous laisse infuser cette information.

Quand je lui parle de l’omniprésence de la consommation d’alcool au sein de la profession, l’addictologue et consultante sociale Stéphanie Ladel manque de s’étouffer : « Mais l’industrie brassicole n’a pas le même code du travail que les autres ? » En 2021, les médecins du travail évaluent que 8,6% des salarié·es sont en difficulté avec l’alcool. S’il n’existe pas d’étude propre à la filière brassicole, on peut facilement imaginer un pourcentage plus élevé tellement les opportunités de s’en ouvrir une sont quotidiennes.

Rendre visite à un caviste qui vous propose une pinte à 14 heures (parce que c’est toujours l’heure de l’apéro quelque part). Déposer des bières chez un client au petit matin et s’enfiler un jus houblonné plutôt qu’un café. Participer à un cycle de conférences avec open bar dès le petit-déjeuner.

Des comportements normaux et indispensables à la pratique du métier, vraiment ? Écrire sur la bière implique-t-il de justifier une consommation d’alcool conséquente pour être reconnu·e dans son travail ? Et brasseur·se, sommelier·ère, caviste ?

« Les buralistes ne fument pas tous des clopes », me lance dans un rire Sébastien Rosset, cofondateur de la brasserie O’Clock, dans les Yvelines, et sobre depuis deux ans. « J’ai toujours eu un souci avec l’alcool depuis que je suis étudiant, mais en ouvrant la brasserie les limites ont disparu. C’est ton quotidien, t’as les mains dedans toute la journée, évidemment que ça devient banal, mais on a des mauvaises pratiques et j’ai pas su m’imposer de règles. »

« Quand tu vas visiter une brasserie, c’est pas étonnant qu’on te propose une bière à 9 heures du matin et que ça ne choque personne », m’explique Benoît Barnabé, qui arpente brasseries et festivals depuis cinq ans pour son podcast Bière et Moustache.

Cofondatrice de la brasserie Sauvage, près de Rennes, Lucie Mary m’explique se voir systématiquement proposer un canon lors de ses livraisons : « La dernière fois il était 10 heures du matin alors j’ai demandé un café et on m’a fait comprendre que, quand même, j’aurais pu faire un effort et accepter la bière. » Et tant pis s’il faut reprendre le volant derrière.

Boire avec les clients, qu’ils soient pro ou non, c’est la base du métier pour quiconque touche de près ou de loin au produit ; le refus, même s’il est accepté, reste mal perçu.

« On m’a souvent dit que j’étais pas vraiment brasseur parce que quand des collègues s’enfilent dix pintes et plus dans une soirée pro, je prends qu’une ou deux bières légères, détaille Harold Kziazyk, brasseur aux 3 Brasseurs, à Rennes. Ça m’a fait me poser des questions sur ma légitimité, mais au moins, j’ai les idées claires le lendemain. »

Biérologue et cofondatrice de la brasserie Adventice, à Douai, Agathe Leroy passe aussi du temps derrière le bar, où les sollicitations sont permanentes : « T’as les pompes à proximité et les clients veulent tout le temps te payer des verres. Je dis non mais c’est pas poli, des clients m’ont fait remarquer que ça se faisait pas du tout. »

Dans ce métier perçu comme festif, il y a une image à tenir. « Les gens veulent que tu sois fun avec eux, et ça passe par la boisson », souligne la biérologue.

Un sentiment accentué lors des TTO (pour « tap takeover » ou « prise de becs » en français, une soirée avec une seule brasserie proposée à la carte du bar) où les client·es viennent à la rencontre de leurs brasseur·ses préféré·es et espèrent que leur déplacement sera rentabilisé : « On te demande de mettre l’ambiance, de créer l’animation, on te paie des shooters, tu fais la fermeture du bar avec l’équipe, c’est beaucoup de sollicitations dans la soirée et ça semble impensable de les refuser », explique Lucie Mary.

Mais c’est dans les festivals de bière que la limite entre travail et loisirs devient la plus floue pour les équipes. Il faut dire que la bière y est presque en libre service. Arborer un bracelet ou un badge exposant, c’est se faire offrir un verre à chaque stand si on en a envie. Moment fort pour les brasseur·euses (aller au contact direct des client·es, se faire connaître dans un milieu de plus en plus compétitif, prendre des contacts avec des distributeurs et cavistes locaux), les festivals sont l’occasion de revoir les copains des autres brasseries invitées.

« Y’a un côté lâcher prise qui est compréhensible, ce sont les seuls moments où les brasseries se retrouvent vraiment entre elles, il y a l’effervescence, la joie de se retrouver, souligne Benoît Barnabé. Mais aujourd’hui, pendant les grosses périodes de festivals, il y en a quasiment tous les week-end, le lâcher prise n’a plus vraiment lieu d’être et peut devenir une excuse pour dépasser les limites. »

Si elle aime l'effervescence des festoch’, Lucie Mary préfère s’éclipser une fois la journée terminée plutôt que de participer aux afters trop arrosés : « Pour beaucoup dans le milieu, l’alcool est consommé comme si t’étais avec tes potes alors qu’on vient quand même travailler, représenter notre brasserie. »

Pour Sébastien Rosset, la bière est devenue un vrai boulot depuis qu’il a arrêté d’en boire. « J’allais dans les festivals pour me la mettre et j’étais plus bourré que les gens qui participaient, j’enchainais les black out, reconnaît-il. Mon premier festoch’ sans alcool c’était un challenge, même si j’ai encore du mal à retrouver le côté festif et à me lâcher, y’a la fierté de l’avoir fait, de se réveiller le matin en étant frais et dispo pour reprendre la route et retrouver ma femme et mes filles. »

Cette normalisation de la surconsommation est accentuée par l’idée très présente dans le milieu craft qu’on ne se pinte pas la ruche avec des bières de soif bas-de-gamme (communément appelées « bières de clodo » dans tout ce que le mépris de classe fait de mieux) mais qu’on déguste. Et déguster, ce n’est pas se la coller, c’est plus distingué vous voyez.

Ici, pas de place pour la bibine fadasse que les industriels nous servent à grande échelle, mais un breuvage houblonné de qualité avec des matières premières venant des meilleures malteries d’Europe et des houblonnières les plus prisées d’Idaho. Avec la craft, c’est toute une palette de saveurs jusqu’alors inconnues qui s'offrent à nos palais industrialisés, comment y résister ?

D’autant que, contrairement au vin, la bière ne se recrache pas ; la faute à nos capteurs d’amertume bien placés au fond de notre gorge (vous pouvez toujours chercher un crachoir, il n’existe pas). Recracher sa bière, c’est casser la rétro-olfaction, niquer sa dégustation et passer pour un·e hérétique !

Ce déni face à l’alcoolisme présent dans le milieu tient en partie à cette montée en gamme du produit. L’autrice Nora Bouazzouni définit ce concept de premiumisation dans son essai Mangez les riches (Éditions Nouriturfu) comme « une réintroduction de la rareté par l’embourgeoisement de plats populaires accessibles », citant le burger à 10 euros sans les frites ou le jambon-beurre à 8 euros. Je propose d’ajouter la pinte de craft à 10 balles.

Elle poursuit : « La montée en gamme, c’est une couche de culture et d’intellectualisation (d’esthétisation) par “dégoût du facile” (comprendre “des plaisirs trop immédiatement accessibles »), un genre d’appropriation culturelle, une légitimation sociale par les riches, qui veulent du poulet frit sans culpa, des kebabs sans les pauvres, des burgers sur des nappes blanches », et siroter leur bière sans les vieux piliers de comptoirs du PMU.

Face à ce produit considéré comme plus qualitatif en raison de ses ingrédients premium, sa fabrication non-industrielle et son prix plus élevé, notre perception des comportements à risque s’en trouve altérée.

Avouez-le, vous viendrez plus facilement dire d’un mec qui s’enfile deux Picon-Bière au PMU du village, tous les soirs après son shift à l’usine, que c’est un poivrot, plutôt que le type qui quitte La Défense pour un bar hype de la capitale, où il se jette trois pintes de Double IPA à 10° derrière la cravate lors de son afterwork quotidien.

Agathe Leroy me donne raison et parle même d’un « fort alcoolisme mondain dans la bière artisanale, où des mecs se mettent des races à la Cantillon tout en étant perçus comme cool car le produit est premium ».

« La molécule éthanol, elle est la même partout, c’est la même dans la bière bas de gamme que dans la bonne bière aux qualités gustatives différentes. On détériore notre analyse de la chimie en perception de soi et du produit », ironise Stéphanie Ladel.

L’un est pointé du doigt par la société tandis que l’autre récolte des likes sur les réseaux. Dans la communauté consacrée de « beer geek », on s’organise autour de groupes Facebook, forums et comptes Instagram, où on review ses dégustations. Sur Untappd, l’application immanquable pour noter les bières consommées, on rentre frénétiquement ses check-in, récoltant badges et reconnaissance au sein de la communauté – les membres ayant le plus gros nombre de check-in obtenant au passage une forte légitimité.

Mes premiers pas dans la craft se sont fait par ce biais, comme pour beaucoup d’autres professionnel·les aujourd’hui. Pour s’intégrer et montrer qu’on s’y connaît, il faut poster ce qu’on s’avale, checker ses bières et le faire savoir. Alors que j’explique à mes proches que je suis très loin des dix verres par semaine (la limite à ne pas dépasser d’après les recommandations de Santé publique France), j’affiche une autre image en ligne.

Benoît Barnabé reconnaît (et je peux l’admettre aussi) s’être vu plusieurs fois dicter sa consommation par les réseaux sociaux : « Si ça fait trois ou quatre jours que j’ai pas bu de bière, ça veut dire que j’ai pas posté sur mon compte Instagram, donc il faudrait que je mette du contenu et je vais m’en ouvrir une. »

Quelques minutes à scroller et la tentation peut s’avérer grande, surtout avec les releases quotidiennes de nouvelles bières, les brasseries tendances fonctionnant beaucoup sur le principe de bières éphémères en quantité parfois limitées (il ne faut pas les louper).

« On montre tout le temps que la bière c’est cool et c’est marrant mais pas les gueules de bois du lendemain, plaisante le podcasteur. Il faut pas scroller longtemps pour identifier ceux qui surconsomment, et y’en a beaucoup. »

Après avoir joué le jeu des réseaux et des groupes de consommateur·ices averti·es, Agathe Leroy a pris ses distances avec le milieu geek, une décision qui impacte parfois sa confiance en elle : « Je suis pas au courant des dernières modes alors je me sens bête et pas crédible. Ça m’est arrivé de me sentir nulle à côté de quelqu’un qui connaissait les noms des derniers houblons expérimentaux, les dernières sorties des brasseries à suivre. »

Mais avec 49 000 décès annuels en France liés à l’alcoolisme, les cas de conscience sont réels pour les pro du secteur. « Je me suis posé plusieurs fois la question de ma responsabilité, admet la biérologue. Je fais un métier où j’incite en quelque sorte les gens à boire de l’alcool, j’en vends potentiellement à des gens malades, et je me suis déjà demandé si j’avais envie de continuer à faire ça même si j’adore mon travail. »

À son échelle, elle inclut désormais de la prévention contre l’alcoolisme dans les formations qu'elle dispense, et dans la filière, les initiatives se multiplient via les syndicats et associations avec des formations et des journées de sensibilisation à l’alcoolodépendance.

Dans leur podcast Brasseurs, les cofondateurs de la brasserie Tipsy consacrent un épisode à ce sujet, échangeant sur leurs propres pratiques et leurs conseils comme noter les bières bues sur une semaine, se fixer des horaires pour déguster, des jours sans alcool et surtout, bannir la brasserie comme lieu de consommation pour la recentrer sur sa fonction première : un lieu de travail.

Travailler dans la bière sans boire une goutte, est-ce une alternative envisageable pour autant ? Pour Sébastien Rosset, ne plus goûter ses bières ne l’empêche pas de savoir les vendre, mais il reconnaît qu’il n’aurait pas pu poursuivre son activité seul : « Je suis capable d’en parler parce que d’autres goûtent pour moi et je connais les recettes, je connais les houblons, je me sers beaucoup de mon nez, j’ai retrouvé un plaisir olfactif et surtout une vraie passion pour mon métier. »

L’addictologue estime que l'honnêteté avec sa clientèle ne peut être que bénéfique : « Vous pouvez faire le choix de créer une ambiance différente dans votre brasserie en rappelant que votre produit est intéressant mais pas anodin, pas complètement innocent. Ça ne veut pas dire qu’on va moins consommer chez vous, mais en étant averti·e, vous créez une loyauté avec les client·es, vous avez une attitude soucieuse de leur bien-être, vous laissez le choix à toutes les étapes. »

De mon côté, je me suis déculpabilisée et j’ai arrêté d’accepter les verres pour faire plaisir/prouver quelque chose/me sentir légitime (rayez la mention inutile). Boire de la bière c’est bien, mais c’est encore mieux quand c’est moi qui décide si j’ai envie (ou pas) de me la coller.

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Les gens qui meurent expérimentent de « nouvelles dimensions de la réalité »

6 octobre 2023 à 08:33

Lors d’une nouvelle étude, des scientifiques ont observé chez des patient·es mourant·es des schémas cérébraux qui pourraient être en lien avec les expériences de mort imminente (EMI) communément rapportées, telles que les visions lucides, les sensations hors du corps, la révision de sa propre vie et d’autres « dimensions de la réalité ». Les résultats offrent la première preuve complète que les souvenirs des patient·es et leurs ondes cérébrales indiquent des éléments universels d’expériences de mort imminente.

Au cours d’une vaste étude pluriannuelle dirigée par Sam Parnia, médecin en soins intensifs et professeur agrégé au département de médecine de la NYU Langone Health, les chercheur·ses ont observé 567 patient·es, dans 25 hôpitaux du monde entier, qui subissaient une réanimation cardio-pulmonaire (RCP) après avoir été victimes d’un arrêt cardiaque, dont la plupart se sont avérés fatals.

Les signaux cérébraux de l’électroencéphalogramme (EEG) captés chez des dizaines de patient·es ont révélé que les épisodes de conscience accrue se produisaient jusqu’à une heure après l’arrêt cardiaque. Bien que la plupart des patient·es de l’étude n’aient malheureusement pas été réanimé·es par la RCP, 53 ont été ramené·es à la vie. Parmi les survivant·es, 11 patient·es ont fait état d’un sentiment de conscience pendant la RCP et six d’une expérience de mort imminente.

Parnia et ses collègues suggèrent que le passage de la vie à la mort peut déclencher un état de désinhibition dans le cerveau, état qui « semble faciliter la compréhension lucide de nouvelles dimensions de la réalité, y compris la conscience profonde des individus, et tous les souvenirs, pensées, intentions et actions envers autrui d’un point de vue moral et éthique ». Selon ce que rapporte une nouvelle étude publiée dans la revue Resuscitation, cette découverte a entre autres de profondes implications pour la recherche sur la réanimation cardio-pulmonaire, les soins de fin de vie et la conscience en général.

Les patient·es ayant survécu à un arrêt cardiaque « ont toujours signalé avoir découvert être pleinement conscient·es de leur propre point de vue, et ce même si ces personnes semblent dans le coma et totalement insensibles pour les médecins qui tentent de les réanimer », a déclaré Parnia lors d’un appel avec VICE. « Ils traversent une expérience intérieure et leur conscience n’est pas simplement présente, elle est portée à un niveau jamais connu auparavant. Leurs pensées deviennent plus vives et plus claires que d’habitude ».

« Il est important de souligner que cette expérience implique également une réévaluation volontaire et morale de leur vie, a-t-il poursuivi. Il ne s’agit pas seulement de moments aléatoires, mais de l’ensemble de leur vie. Ça reste un mystère, et on ne parle pas d’une ou de deux anecdotes. Un certain nombre d’études ont suggéré que jusqu’à 10% de la population adulte vit l’une de ces expériences, ce qui, si l’on fait le calcul, correspond probablement à 400 ou 500 millions de personnes dans le monde. »

Compte tenu de l’omniprésence et des thèmes communs rencontrés lors de ces NDE, Parnia et ses collègues ont entrepris de rechercher chez les mourant·es des ondes cérébrales spécifiques qui pourraient être liées aux expériences si souvent rapportées par celles et ceux ayant frôlé la mort. Entre 2017 et 2020, l’équipe a étudié des centaines de patient·es comateux·ses qui subissaient une réanimation cardio-pulmonaire dans des hôpitaux du Royaume-Uni et des États-Unis. Obtenir des relevés EEG dans un environnement aussi intense est évidemment assez difficile, et les chercheur·ses ont dû enregistrer l’activité cérébrale pendant les brèves pauses entre les compressions thoraciques. Mais ils ont réussi à capter des biomarqueurs transitoires de la conscience lucide chez plusieurs patient·es, longtemps après l’arrêt cardiaque initial.

« L’une des particularités de ce projet, c’est que pour la première fois, des scientifiques ont mis au point une méthode qui permet d’examiner les signes de lucidité et de conscience chez des personnes en cours de réanimation, en recherchant des marqueurs cérébraux, ou des signatures cérébrales de la conscience, à l’aide d’un appareil EEG et d’un moniteur d’oxygène cérébral », a expliqué Parnia.

« La plupart des médecins pensent que le cerveau meurt après cinq ou dix minutes de privation d’oxygène, explique Parnia. L’un des points clés qui ressort de cette étude, c’est que ce n’est pas vrai. Même si l’on observe un ECG plat après l’arrêt du cœur, ce qui se produit en quelques secondes, ça ne signifie pas que le cerveau est endommagé de façon permanente, et surtout pas qu’il est mort. Il est simplement entré en hibernation. Ce qu’on a pu montrer, c’est qu’en fait, le cerveau peut réagir et restaurer ses fonctions, même une heure plus tard, ce qui ouvre toute une fenêtre d’opportunités aux médecins dans la mise en place de nouveaux traitements. »

L’étude rapporte en effet que « l’activité EEG quasi-normale/physiologique (rythmes delta, thêta, alpha, bêta) compatible avec la conscience et une reprise possible d’un réseau d’activité cognitive et neuronale est apparue jusqu’à 35-60 minutes après le début de la réanimation cardio-pulmonaire. Il s’agit du premier rapport sur les biomarqueurs de la conscience pendant l’AC/RPC ».

Ces résultats s’inscrivent dans la lignée d’une vague d’études récentes axées sur les expériences vécues par les mourant·es, qui font état de poussées d’activité cérébrale pendant la mort, de preuves d’une transition progressive vers la mort (par opposition à un événement soudain) et de thèmes communs et récurrents dans les expériences de mort imminente.

Parnia et ses collègues ont également interrogé 28 individus ayant survécu à un arrêt cardiaque sur leur contact avec la mort. L’équipe note que les expériences vivaces rapportées par les patient·es à la frontière de la vie et de la mort sont très différentes des rêves et des hallucinations qui peuvent survenir pendant les jours ou les semaines de rétablissement qui suivent un arrêt cardiaque.

Des personnes d’origines et de cultures diverses ont en effet tendance à rapporter des expériences de mort imminente partageant des éléments similaires, tels qu’un voyage hors du corps vers un lieu réconfortant (par exemple la maison de leur enfance), et où leur vie est passée en revue dans le détail à travers un prisme moral, suivi d’un sentiment de « retour dans le corps ». L’équipe a suggéré que ces expériences communes, qui comprennent également des aperçus de nouvelles dimensions de la réalité, sont déclenchées par la désinhibition du cerveau pendant la mort, une désinhibition qui permet des épisodes de conscience accrue inaccessibles aux vivants.

« Quand on examine les expériences de mort qui ont laissé des souvenirs aux personnes qui les ont vécues, et ce au sein d’une population mondiale, les thèmes abordés sont tous cohérents, a déclaré Parnia. Notre conclusion est qu’il s’agit d’une expérience réelle qui ne survient qu’avec la mort. Cette expérience se produit d’une manière ou d’une autre dès que l’on passe de la vie à la mort. »

« On est essentiellement sur le point de découvrir ce qui nous arrive quand on est en train de mourir, ce qui arrive à notre conscience, conclut-il. On a l’intention de mettre au point des méthodes plus complètes d’analyse de ce qui se passe dans le cerveau seconde par seconde, afin de dresser la carte de la neurophysiologie de la vie et de la mort chez les personnes qui la traversent. »

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