Reconnue coupable de détournement de fonds publics, elle a été condamnée à quatre ans de prison - dont deux ferme - et cinq ans d’inéligibilité. Le tribunal a mis en avant le « rôle central » de l’ex-présidente du RN dans le système mis en place pour détourner l’argent du Parlement européen.
C’était une décision très attendue pour l’avenir politique de Marine Le Pen. Le tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement, lundi 31 mars, dans le procès des assistants parlementaires du Front national (FN, devenu Rassemblement national, RN) au Parlement européen.
Poursuivie pour des faits de « détournement de fonds publics » et de « complicité de détournement de fonds publics », la présidente du groupe des députés RN à l’Assemblée nationale a été condamnée à une peine de quatre ans d’emprisonnement, dont deux ferme aménageable sous bracelet électronique, à 100 000 euros d’amende, ainsi qu’à une peine d’inéligibilité de cinq ans avec exécution immédiate. Une décision qui compromet sa candidature à l’élection présidentielle de 2027 et aux prochaines législatives.
Dans l’énoncé du jugement, le tribunal a mis en avant le « rôle central » de Marine Le Pen dans le système mis en place pour détourner l’argent du Parlement européen. Il dit avoir « pris en considération, outre le risque de récidive, le trouble majeur à l’ordre public, en l’espèce le fait que soit candidate à l’élection présidentielle une personne déjà condamnée en première instance ».
Soupçons d’assistants fictifs au Parlement européen
L’accusation a d’abord reproché à la triple candidate à l’élection présidentielle d’avoir embauché, lorsqu’elle était eurodéputée (2004-2017), quatre assistants fictifs, qui auraient en réalité travaillé pour le FN. Les assistants rémunérés par le Parlement européen auraient effectué des tâches liées à la gestion du parti plutôt qu’un travail en lien avec l’activité parlementaire européenne, comme cela est normalement requis pour ces collaborateurs.
Parmi les assistants concernés figurent le garde du corps et la cheffe de cabinet de Marine Le Pen, Thierry Légier et Catherine Griset, qui sont également prévenus dans cette affaire. L’enquête menée à partir de 2014 par l’Office européen de lutte antifraude, un organisme d’enquête indépendant de l’Union européenne (UE), avait révélé que Mme Griset « n’aurait passé que 740 minutes, soit environ douze heures » au Parlement européen, lorsqu’elle était censée y être assistante, entre octobre 2014 et août 2015. L’accusation considère qu’elle occupait surtout sa fonction de cheffe de cabinet de la présidente au siège du parti frontiste, à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine.
Devant le tribunal correctionnel de Paris, Marine Le Pen a dit ne pas avoir eu le « sentiment d’avoir commis la moindre irrégularité ». Catherine Griset, elle, s’est défendue en affirmant avoir « travaillé pour Marine Le Pen », mais « jamais pour le parti ». Au cours de l’enquête judiciaire, Marine Le Pen avait pourtant lâché au juge d’instruction que, « lorsque les assistants parlementaires n’étaient pas strictement attachés à des tâches parlementaires, ils pouvaient travailler pour le parti ». Des propos qu’elle a tenté de balayer à la barre en assurant que ses déclarations étaient « moins importantes que le fond ».
L’actuelle patronne des députés RN avait été contrainte de rembourser 330 000 euros au Parlement européen, en juillet 2023 – une somme correspondant aux salaires des emplois de Catherine Griset et de Thierry Légier. Ce remboursement, consenti dans le cadre d’une procédure administrative distincte de l’enquête judiciaire, ne constituait alors pas un aveu de culpabilité, avait tenu à préciser le RN.
Au cœur d’un système de détournement de fonds ?
Au-delà des soupçons d’emplois fictifs individuels, la justice soupçonnait également Marine Le Pen d’avoir été au centre d’un « système de détournement » organisé et centralisé de l’argent versé par l’UE au profit de son parti, entre 2004 et 2016.
Ce mécanisme visait, selon l’accusation, à « faire économiser » de l’argent au FN en utilisant les enveloppes mensuelles des eurodéputés au mépris des règles démocratiques. Validé par Jean-Marie Le Pen, puis par sa fille qui lui a succédé en 2011, le système aurait pris de l’ampleur après les élections européennes de 2014, qui ont vu passer le FN de trois à vingt-trois eurodéputés. En tant que présidente du parti, Marine Le Pen aurait joué un « rôle central » dans ce système, et aurait permis à ses proches de s’enrichir grâce aux fonds de l’UE, a considéré le parquet dans ses réquisitions.
L’enquête judiciaire a en effet mis en lumière plusieurs témoignages et documents accablants pour le parti d’extrême droite et son ancienne dirigeante. Comme le courrier adressé, en juin 2014, par Wallerand de Saint-Just à Marine Le Pen. Alors que le parti frontiste est, à l’époque, lourdement endetté, son trésorier écrit : « Nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen. » Un autre échange de mail daté de 2014 entre Wallerand de Saint-Just et l’eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser est également troublant : « Ce que Marine nous demande équivaut [à ce] qu’on signe pour des emplois fictifs. (…) Je comprends les raisons de Marine, mais on va se faire allumer. »
Les témoignages des anciens députés frontistes Aymeric Chauprade et Sophie Montel vont aussi dans ce sens. D’après Mme Montel, Marine Le Pen aurait demandé aux élus européens de n’embaucher qu’un seul assistant et de laisser le reste de leur enveloppe parlementaire au parti frontiste. Aux enquêteurs, Mme Montel avait déclaré qu’il ne faisait guère de doute, à ses yeux, qu’un « système d’emplois d’assistants parlementaires fictifs rémunérés par les fonds du Parlement européen mais travaillant en réalité pour le parti Front national » ait existé.
A la barre, à l’automne 2024, Marine Le Pen avait contesté l’existence même d’un système, dénoncé le manque de preuves et fustigé les mensonges colportés par d’anciens collaborateurs animés, selon elle, par la « vengeance ».
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