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À partir d’avant-hierVICE

Les lettres de suicide sont des œuvres littéraires à part entière

11 janvier 2024 à 08:50

C’est dans un bar punk de Kreuzberg, entre la Sprée et le Landwehrkanal, que je rencontre Vincent Platini en avril 2023. L’universitaire français, qui a gardé le look de ses années skinhead, est une vieille connaissance de mon pote qui fête son anniversaire ce soir-là. Entre une tote oma – spécialité locale à base de bouillie de boudin noir évoquant la merde ou le cadavre en décomposition, d’où le nom – et une grosse bière teutonne, on parle littérature.

Du temps de mes études, j’avais travaillé sur le nazisme et la littérature des limites : inceste, expériences sado-maso, etc. Lui, avec son doctorat en littérature comparée, avait écrit sur le polar sous le troisième Reich (Krimi : une anthologie du récit policier sous le Troisième Reich), traduit un essai sur la drogue et le nazisme (L’extase totale : le IIIe Reich, les Allemands et la drogue) et s’apprêtait à sortir un livre sur les lettres de suicide (Écrits fantômes : Lettres de Suicide (1700 – 1948)). C’est à l’occasion de cette sortie que je l’ai rencontré.

VICE : Qu’est ce qui fait qu’on se réveille un matin en se disant : « Je vais écrire un livre sur les lettres de suicide » ? Vincent Platini : Ce genre de projet, ça se décide pas en se levant un beau matin. Ça se mûrit comme un panaris. Une copine m’a rappelé que j’en parlais déjà il y une dizaine d’années. Parmi les éléments moteurs, je pourrais évoquer le souvenir des Lettres persanes [de Montesquieu, NDLR] : le dernier message est une lettre de suicide qui fait voler en éclats le mensonge du roman. Un personnage qui se taisait jusque-là prend soudain la parole et, en quelques lignes, c’est tout l’édifice qui s’écroule. J’aime ce genre de détonation, l’écriture à coup de flingue.

Mais, plus encore, ce qui m’a intéressé, c’est que les lettres de suicide sont des objets quotidiens – on en écrit tous les jours, tout le monde sait plus ou moins à quoi ça ressemble – et cependant on refuse de les voir. Quasiment aucune étude dessus. On les considère pas comme de la littérature et, même après la sortie du bouquin, beaucoup de gens détournent le regard. Toi-même, tu poserais pas cette question si j’avais pondu une énième thèse sur Proust – entreprise pourtant autrement plus hasardeuse. C’est quoi le problème avec le suicide, pour qu’on refuse à ce point de lire ces lettres ? Bref, comme pour mon travail sur les polars du IIIe Reich, j’ai été attiré par un objet flagrant mais occulté.

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Joseph G., 9 décembre 1929, Alger.

**Pourquoi avoir choisi la période 1700 - 1948 pour ton corpus ?
**On a été plusieurs à décider : moi et les archives. Y’a en outre des raisons pratiques, méthodologiques et éthiques. J’ai opté pour une étude sur 250 ans pour montrer les changements du rapport à la mort et à l’écriture. Y’a pas une essence de la lettre de suicide, mais d’incessantes transformations formelles. Ensuite, il fallait retrouver des lettres de première main, si je puis dire. Si on écrit depuis des siècles pour dire qu’on se tue, j’ai trouvé aucune lettre dans les archives avant 1700 – même si elles doivent exister quelque part. De toute façon, c’était suffisamment de boulot de les dégoter sur cette période, entre les différents fonds de la justice criminelle, des commissariats de police, des journaux.

En revanche, au milieu du 20e siècle, elles sont rassemblées dans les « affaires classées sans suite » et leur nombre explose : plusieurs centaines chaque année rien que pour la ville de Paris. J’allais me noyer. Fallait donc s’arrêter en 1948. Enfin, il s’agissait de garder une distance avec les suicidé·es. Il était hors de question de blesser des proches qui vivent encore et dans l’ensemble, je voulais traiter ces lettres avec tout le respect possible, je voulais surtout pas faire un cabinet de curiosités. Prendre 75 ans de recul semblait suffisant. Et puis, incidemment, c’est aussi le laps de temps pour que tombent les droits d’auteur. Or, je considère ces pièces comme des œuvres littéraires à part entière.

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Brem, dit Birner, 28 avril 1789, Paris.

**Le livre se divise en dix sous-ensembles…
**Il y avait plusieurs écueils à éviter. Je voulais faire ni un ouvrage d’historien ni de sociologue, et encore moins de médecin. Autrement dit, pas de classement selon des périodes historiques ou le profil des suicidé·es ou, pire, selon le motif supposé de leur acte. Je devais faire entendre leurs voix pour elles-mêmes. J’ai donc choisi de les agencer selon le type de scripteurs ou scriptrice qu’elles donnaient à voir, comment les suicidé·es se déterminaient et se représentaient : comme des sujets amoureux, ou politiques, ou malades, etc. – sachant que bien souvent, on se détermine contre quelque chose : la tyrannie, la famille…

Ces parties, je les ai nommées des « cercles ». Les chapitres auraient été clos, tandis que les cercles se croisent : un suicide peut être à la fois amoureux et politique. À l’intérieur de chaque cercle, j’ai inséré des « bulles » qui font un gros plan sur des documents qui ne sont pas forcément des lettres mais qui révèlent quelque chose du rapport au suicide à une certaine époque. J’ai trouvé par exemple l’Album des suicides d’un pharmacien au 19e siècle, qui dessinait à la main les cadavres retrouvés dans les cellules d’une prison. Enfin, j’ai ajouté une postface où j’explique mes choix, l’histoire et les problématiques de cette forme littéraire. Il fallait que ça termine le recueil : je voulais pas prédéterminer les textes, écraser leur sens avec une préface qui dirait d’emblée comment les lire.

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Joseph Pernot, suicidé dans sa cellule de la prison de Mazas le 12 octobre 1852.

**Tu peux nous parler de la façon dont la société appréhende la question du suicide à travers l’histoire ?
**Jusqu’à la fin du 18e siècle, le suicide est considéré comme un crime. Crime contre Dieu, crime de lèse-majesté. La justice n’est pas tendre avec ceux qui commettent un « homicide de soi » : quand un cadavre est suspecté, on le garde au frais, on lui fait un procès et on supplicie le macchabée. « Les lois sont furieuses en Europe contre ceux qui se tuent eux-mêmes », note Montesquieu. Le seul avantage, c’est que les lettres sont parfois conservées dans les pièces du procès, vu qu’elles sont des preuves à charge.

Au cours du 18e siècle, la perception du suicide change. Les morts sont plus à plaindre qu’à condamner. En 1791, le suicide est décriminalisé. Les enquêtes de police conservent les lettres mais cette fois parce qu’elles sont des preuves à décharge pour les proches. Les suicidé·es écrivent désormais « N’accusez personne de ma mort », justement parce ce n’est plus un crime de se tuer. Ça peut être vu comme un acte de résistance politique – y’en un paquet durant la Révolution – mais aussi des symptômes d’une maladie mentale, ou l’acte d’une âme trop sensible, celle d’un artiste maudit.

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Eugène E., 3 juin 1939, Saint-Victor-de-Buthon (Eure-et-Loir).

**C’est quoi les motifs récurrents qui poussent les gens à « mettre le point final » ?
**Ça, c’est très variable et assez boiteux. Y’a des motifs comme la misère, la souffrance physique, le chagrin amoureux, le sentiment de déclassement. Mais, d’une part, les mêmes mots désignent des objets différents : la « perte de l’honneur », par exemple, n’est pas la même pour un homme ou une femme. D’autre part, ce sont des motifs allégués. L’enquête de police peut démentir ces déclarations. Les suicidé·es mentent très souvent dans leurs lettres. Certain·es se donnent comme des victimes de leur trop grande générosité alors qu’ils étaient des escrocs. D’autres écrivent qu’ils vont se tuer, alors qu’ils cherchent seulement à berner la police qui les poursuit.

Dans l’ensemble, il faut se méfier de la prétendue intention de l’auteur·ice. On s’en fout un peu. Le plus intéressant est de voir comment fonctionne le texte, les effets qu’il produit.

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Jacques-Nicolas L., 27 juin 1911, Paris.

**Toujours à propos de point, tu m’as dit qu’il y avait eu débat avec tes éditeurs pour mettre des points médians dans l’édition et que t’avais refusé l’écriture inclusive. Avec ça, t’as pas l’impression d’éclipser celles qui se sont tuées ?
**Tout doux bijou. C’est un mauvais procès d’intention. Mais ta question permet d’aborder des aspects importants. Les éditeurs avaient proposé d’intituler le recueil « Lettres de suicidé·e·s » et de tout accorder à l’avenant. Ça marchait pas. D’une part, ça aurait mis l’accent sur la personne des scripteurs et scriptrices, pas sur les textes. On a préféré « Lettres de suicides » car, au 19e siècle, le mot désignait aussi bien l’acte que le mort qui en résulte. C’est ce qui m’intéressait : comment on se fait à travers le suicide. D’autre part, je voulais conserver un français standard pour faire contraste avec les lettres qui, elles, sont reproduites dans leur graphie d’origine, parfois écrites en phonétique. Ça permet de faire sentir les jeux de mots possibles, les ambiguïtés d’une « faute » d’orthographe, mais aussi de laisser résonner des accents populaires oubliés. Avant de se tuer dans une rue de Paris, une femme écrit à son amant à la fin du 18e siècle : « Set engale je fine ma vie a te piere je te pardon de tou le peine te tue ma couse tue a fait mon maleure tache de feire le bonneure de notre que tu aime meu que moy. »

Pour l’invisibilisation, on repassera : toute la démarche est de rendre audibles ces voix fantômes. La part de lettres écrites par les hommes est beaucoup plus importante parce que statistiquement les hommes se tuent plus. J’allais pas inventer des lettres de femmes. En revanche, elles ont été parfois éclipsées par les rapports de police, les journaux, voire par leur « amant » lors des suicides en couple. J’ai donc utilisé l’écriture inclusive à deux endroits stratégiques dans le bouquin. Relis bien. Ça donne à imaginer, en creux, toutes les suicidées passées sous silence.

**T’as fait le choix de compiler des lettres d’hommes et de femmes lambdas plutôt que de grands noms de l’histoire. Pourquoi ?
**Tout d’abord pour ne pas éclipser les textes par l’aura de l’écrivain. Si j’avais pris les lettres d’écrivain·es célèbres comme Montherlant, Gary et consorts, on aurait les aurait lues à l’aune de leur œuvre – déjà qu’on lit leur œuvre avec leur suicide en ligne de mire. En fait, on aurait accordé de l’intérêt à ces lettres pour des raisons biographiques et non pas esthétiques. Ma démarche est inverse. Il s’agit de montrer la puissance de ces papiers raturés, mal écrits. Ce sont pas des « belles lettres », c’est de la littérature. Des hommes et des femmes obscur·es, qui se sont fait piétiner par l’existence et qui n’avaient pas vocation à être écrivain·es, ont quand même pris la plume au dernier moment pour se dire eux-mêmes. Ça se fait au détour d’une phrase, tantôt brillante, tantôt affligeante : « Je n’ai de ressource que dans mon désespoir », écrit un percepteur d’impôts en 1819 avant de se tirer une balle.

Les suicidé·es savent que leurs mots, justement parce qu’ils sont dans une situation d’écriture particulière, sont chargés d’une puissance exceptionnelle. Toutes les formules banales des lettres prennent un nouveau sens : les politesses, les salutations ou le simple fait de signer son message d’adieu. « Je finis en disant mon nom », écrit une modeste cuisinière en 1790. Ces gens lambdas, comme tu dis, n’attendent pas qu’on leur donne la parole, ils la prennent, ils se font un nom.

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Jean P., écolier de 13 ans, se tue d'une balle de gros calibre en 1947.

**Tu parles aussi de la lettre de suicide comme d’une œuvre de soi.
**C’est le nœud de mon travail. Pour la faire courte : je considère que le suicide permet parfois de se changer soi-même, de se faire sujet de sa propre existence, de balancer en l’air les relations de pouvoir qui nous déterminent et de se façonner un rapport de soi à soi. C’est en gros ce que Foucault appelle une subjectivation. On prépare sa fin plus ou moins longuement, parfois avec soin, parfois brutalement, parfois avec cérémonie, avec des outils. La lettre en fait partie. Elle participe à la mise en scène que le sujet se choisit. Ça peut donner lieu à des tableaux frappants : en 1816 à Avignon, un rempailleur de chaises se déguise en Christ et se tue après s’être installé sur une croix. Sa lettre s’adresse à Dieu mais à qui destine-t-il ce spectacle si ce n’est aux hommes qui le trouveront ? Un autre, en 1871, pend un chien, une poule et se pend lui-même à côté, avec ce simple mot : « Je veux qu’on me goudronne. » Bref, le suicidé se confectionne une image posthume, il se sculpte lui-même en s’écrivant selon des formules choisies, en se couchant sur un papier particulier – des grandes pages, des billets minuscules, des supports plus inattendus –, en décorant encore sa lettre qui apparaît comme un masque mortuaire. Il confère une esthétique à ses derniers instants. C’est pas de la théorie fumeuse, c’est très concret.

Je tenais à rendre la matérialité des textes par des indications précises, trois différentes typographies et une soixantaine de photographies. Tu te rends compte que des personnes sachant à peine écrire se donnent la peine de tracer quelques mots : « C’est pour moi une grande consolation de pouvoir me rendre ce témoignage au moment suprême », résume en 1860 une femme inconnue dont on n’a jamais retrouvé le corps. Les lettres permettent de reprendre sa mort en main, parfois de se réinventer. C’est ce que j’appelle un optimisme de l’écriture.

**Certaines lettres de suicide sont cocasses, d’autres presque humoristiques…
**Oui, y’en a pas mal. Composer ce recueil n’a pas été déprimant. Certaines personnes veulent laisser une image joyeuse ou narquoise. D’autres sont comiques parce que leurs derniers mots contrastent avec la solennité attendue d’un tel moment. Plus largement, les lettres ne sont pas monocordes, elles peuvent être drôles et violentes, à crever de rire. J’ai reproduit un exemple frappant. Sur une lettre du 1er avril 1947, le suicidé dessine un poisson d’avril souriant et note en dessous : « J’espère que le remords te suffira. »

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Jean L. 1er avril 1947, Paris : « … ni fleurs ni couronnes. J’espère que le remord te suffiras. (sic) »

**T’as remarqué une évolution ou des constances dans les méthodes utilisées pour abréger son existence ?
**Ça, c’est plutôt du ressort de l’histoire ou de l’anthropologie. Je m’y suis intéressé quand ça influençait la mise en scène du suicide ou l’écriture de la lettre. Se pendre, par exemple, permet une certaine disposition de la pièce – mais c’est une méthode connotée négativement puisque Judas s’est tué comme ça. Les armes blanches ou à feu sont privilégiées par les soldats ou les policiers, qui aiment se tuer en uniforme. On en trouve des traces sur le papier, quand celui-ci est taché de sang. Un autre mode qui revient de plus en plus est l’intoxication, que ce soit par ingestion d’un poison ou par asphyxie au charbon, et plus tard au gaz : certains en profitent pour noter leur agonie minute par minute en des lettres que l’on peut qualifier de cardiogrammes. Enfin, y’a la noyade. La lettre est posée là où on a sauté le pas. C’est pas elle qui est envoyée par la poste, c’est le corps qui continue de voyager.

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Au Paraguay, dans le cimetière où on ne repose pas en paix

9 octobre 2023 à 13:12

Je ne peux pas dire que Asunción, la capitale du Paraguay (Muy Noble y Leal Ciudad de Nuestra Señora Santa María de la Asunción, de son vrai nom) soit une ville qui regorge d’attractions touristiques. Les musées et autres lieux historiques étant relativement petits, on y fait vite le tour. Mais il y a un lieu qui m’a retenu plus longtemps.

Un soir, assis autour d’une bière avec des locaux, j’entends parler du cimetière de la Recoleta. Selon eux, c’est le plus beau cimetière de la ville, digne du Père Lachaise. C’est comme ça que le lendemain, sous les 33°C de l’hiver sud-américain, je prends mon appareil photo pour une promenade dans cet endroit vieux de 150 ans.

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Les ruelles sont pavées, les mausolées splendides, de toutes les couleurs et ornés de petits carreaux de céramiques. Le tout est entouré d’arbres verdoyants. La première chose qui me frappe en arrivant, ce sont les cercueils exposés derrière des vitres, à la vue de tou·tes, parfois recouverts d’un linge blanc, parfois accompagnés d’une photo du défunt. Ici, il n’y a pas de cercueils enterrés ; ils sont tous emmurés, dans des renfoncements en pierres, dans des mausolées, parfois dans des cryptes.

Mais très vite, la beauté des allées laisse place à un spectacle bien plus macabre. Plus je m’enfonce dans le cimetière, plus les caveaux sont en ruines, les portes forcées, les vitres brisées, les cercueils ouverts, détruits, retournés. Plusieurs cercueils sont abandonnés sur le sol des allées, brûlés, et pour certains, la chaleur d'un feu s’en dégage encore. Plus loin, des cadavres et des ossements jonchent le sol. Je suis pris d’un certain malaise.

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Je réussis à trouver deux gardiens, habillés en civils. L’un doit avoir la trentaine, son collègue le double. Le plus jeune m’explique qu’on doit l’état du lieu à des pilleurs de sépultures. À 18 heures, quand les portes ferment, des personnes dans le besoin se hissent par-dessus les grilles, et là commence une autre vie. Les visiteurs de nuit allumeraient des feux pour se réchauffer et cuisiner, avant de se mettre au travail. Les tombes sont saccagées, les biens dérobés et la mémoire violée. Tout semble bon à prendre : « Les bijoux évidemment, mais aussi les plaques en bronze, tout ce qu'ils peuvent revendre », me disent les gardiens. Des médias locaux mentionnent aussi des poignées de portes, voire des portes entières.

Au Paraguay, le taux de pauvreté dépasse les 25% et, en 2021, le pays n’était que 105ème au classement de l’indice de développement humain. Les gardiens me paraissent aussi effarés qu’amusés quant à cette situation. Surtout, je les sens impuissants.

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Quelques jours après ma découverte, un étudiant rencontré dans un des bars de la ville me raconte que certain·es étudiant·es en médecine se faufileraient aussi dans ce tas de gravas funeste pour y trouver le matériel nécessaire afin de pouvoir étudier.

Malgré les pillages, des corps se font encore enterrer à la Recoleta. Certaines familles optent néanmoins pour des matériaux moins attrayants. En 2019, un employé du cimetière expliquait au journal ABC que 22 gardes avaient été affectés, 24 heures sur 24. En janvier 2023, le tarif des concessions funéraires a même doublé, une hausse justifiée par les améliorations promises par le maire d’Asuncion. Mais les mois passent, et les proches des personnes enterrées peinent à voir la situation évoluer.

Pour ne plus voir les dépouilles de leurs proches être profanées, beaucoup sont alors prêtes à laisser derrière elles leurs traditions et leur culture afin de mettre en terre les défunts, six pieds sous terre, dans un nouveau cimetière, ailleurs dans la ville.

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Les gens qui meurent expérimentent de « nouvelles dimensions de la réalité »

6 octobre 2023 à 08:33

Lors d’une nouvelle étude, des scientifiques ont observé chez des patient·es mourant·es des schémas cérébraux qui pourraient être en lien avec les expériences de mort imminente (EMI) communément rapportées, telles que les visions lucides, les sensations hors du corps, la révision de sa propre vie et d’autres « dimensions de la réalité ». Les résultats offrent la première preuve complète que les souvenirs des patient·es et leurs ondes cérébrales indiquent des éléments universels d’expériences de mort imminente.

Au cours d’une vaste étude pluriannuelle dirigée par Sam Parnia, médecin en soins intensifs et professeur agrégé au département de médecine de la NYU Langone Health, les chercheur·ses ont observé 567 patient·es, dans 25 hôpitaux du monde entier, qui subissaient une réanimation cardio-pulmonaire (RCP) après avoir été victimes d’un arrêt cardiaque, dont la plupart se sont avérés fatals.

Les signaux cérébraux de l’électroencéphalogramme (EEG) captés chez des dizaines de patient·es ont révélé que les épisodes de conscience accrue se produisaient jusqu’à une heure après l’arrêt cardiaque. Bien que la plupart des patient·es de l’étude n’aient malheureusement pas été réanimé·es par la RCP, 53 ont été ramené·es à la vie. Parmi les survivant·es, 11 patient·es ont fait état d’un sentiment de conscience pendant la RCP et six d’une expérience de mort imminente.

Parnia et ses collègues suggèrent que le passage de la vie à la mort peut déclencher un état de désinhibition dans le cerveau, état qui « semble faciliter la compréhension lucide de nouvelles dimensions de la réalité, y compris la conscience profonde des individus, et tous les souvenirs, pensées, intentions et actions envers autrui d’un point de vue moral et éthique ». Selon ce que rapporte une nouvelle étude publiée dans la revue Resuscitation, cette découverte a entre autres de profondes implications pour la recherche sur la réanimation cardio-pulmonaire, les soins de fin de vie et la conscience en général.

Les patient·es ayant survécu à un arrêt cardiaque « ont toujours signalé avoir découvert être pleinement conscient·es de leur propre point de vue, et ce même si ces personnes semblent dans le coma et totalement insensibles pour les médecins qui tentent de les réanimer », a déclaré Parnia lors d’un appel avec VICE. « Ils traversent une expérience intérieure et leur conscience n’est pas simplement présente, elle est portée à un niveau jamais connu auparavant. Leurs pensées deviennent plus vives et plus claires que d’habitude ».

« Il est important de souligner que cette expérience implique également une réévaluation volontaire et morale de leur vie, a-t-il poursuivi. Il ne s’agit pas seulement de moments aléatoires, mais de l’ensemble de leur vie. Ça reste un mystère, et on ne parle pas d’une ou de deux anecdotes. Un certain nombre d’études ont suggéré que jusqu’à 10% de la population adulte vit l’une de ces expériences, ce qui, si l’on fait le calcul, correspond probablement à 400 ou 500 millions de personnes dans le monde. »

Compte tenu de l’omniprésence et des thèmes communs rencontrés lors de ces NDE, Parnia et ses collègues ont entrepris de rechercher chez les mourant·es des ondes cérébrales spécifiques qui pourraient être liées aux expériences si souvent rapportées par celles et ceux ayant frôlé la mort. Entre 2017 et 2020, l’équipe a étudié des centaines de patient·es comateux·ses qui subissaient une réanimation cardio-pulmonaire dans des hôpitaux du Royaume-Uni et des États-Unis. Obtenir des relevés EEG dans un environnement aussi intense est évidemment assez difficile, et les chercheur·ses ont dû enregistrer l’activité cérébrale pendant les brèves pauses entre les compressions thoraciques. Mais ils ont réussi à capter des biomarqueurs transitoires de la conscience lucide chez plusieurs patient·es, longtemps après l’arrêt cardiaque initial.

« L’une des particularités de ce projet, c’est que pour la première fois, des scientifiques ont mis au point une méthode qui permet d’examiner les signes de lucidité et de conscience chez des personnes en cours de réanimation, en recherchant des marqueurs cérébraux, ou des signatures cérébrales de la conscience, à l’aide d’un appareil EEG et d’un moniteur d’oxygène cérébral », a expliqué Parnia.

« La plupart des médecins pensent que le cerveau meurt après cinq ou dix minutes de privation d’oxygène, explique Parnia. L’un des points clés qui ressort de cette étude, c’est que ce n’est pas vrai. Même si l’on observe un ECG plat après l’arrêt du cœur, ce qui se produit en quelques secondes, ça ne signifie pas que le cerveau est endommagé de façon permanente, et surtout pas qu’il est mort. Il est simplement entré en hibernation. Ce qu’on a pu montrer, c’est qu’en fait, le cerveau peut réagir et restaurer ses fonctions, même une heure plus tard, ce qui ouvre toute une fenêtre d’opportunités aux médecins dans la mise en place de nouveaux traitements. »

L’étude rapporte en effet que « l’activité EEG quasi-normale/physiologique (rythmes delta, thêta, alpha, bêta) compatible avec la conscience et une reprise possible d’un réseau d’activité cognitive et neuronale est apparue jusqu’à 35-60 minutes après le début de la réanimation cardio-pulmonaire. Il s’agit du premier rapport sur les biomarqueurs de la conscience pendant l’AC/RPC ».

Ces résultats s’inscrivent dans la lignée d’une vague d’études récentes axées sur les expériences vécues par les mourant·es, qui font état de poussées d’activité cérébrale pendant la mort, de preuves d’une transition progressive vers la mort (par opposition à un événement soudain) et de thèmes communs et récurrents dans les expériences de mort imminente.

Parnia et ses collègues ont également interrogé 28 individus ayant survécu à un arrêt cardiaque sur leur contact avec la mort. L’équipe note que les expériences vivaces rapportées par les patient·es à la frontière de la vie et de la mort sont très différentes des rêves et des hallucinations qui peuvent survenir pendant les jours ou les semaines de rétablissement qui suivent un arrêt cardiaque.

Des personnes d’origines et de cultures diverses ont en effet tendance à rapporter des expériences de mort imminente partageant des éléments similaires, tels qu’un voyage hors du corps vers un lieu réconfortant (par exemple la maison de leur enfance), et où leur vie est passée en revue dans le détail à travers un prisme moral, suivi d’un sentiment de « retour dans le corps ». L’équipe a suggéré que ces expériences communes, qui comprennent également des aperçus de nouvelles dimensions de la réalité, sont déclenchées par la désinhibition du cerveau pendant la mort, une désinhibition qui permet des épisodes de conscience accrue inaccessibles aux vivants.

« Quand on examine les expériences de mort qui ont laissé des souvenirs aux personnes qui les ont vécues, et ce au sein d’une population mondiale, les thèmes abordés sont tous cohérents, a déclaré Parnia. Notre conclusion est qu’il s’agit d’une expérience réelle qui ne survient qu’avec la mort. Cette expérience se produit d’une manière ou d’une autre dès que l’on passe de la vie à la mort. »

« On est essentiellement sur le point de découvrir ce qui nous arrive quand on est en train de mourir, ce qui arrive à notre conscience, conclut-il. On a l’intention de mettre au point des méthodes plus complètes d’analyse de ce qui se passe dans le cerveau seconde par seconde, afin de dresser la carte de la neurophysiologie de la vie et de la mort chez les personnes qui la traversent. »

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