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« Tout réapprendre » : ce qu’arrêter l’alcool change dans la vie amoureuse

22 février 2024 à 08:44

« J’ai rencontré un mec qui s’est mis à me raconter sa vie pendant hyper longtemps sans me poser la moindre question. Je m’ennuyais tellement, j’aurais bien aimé boire une pinte de bière. » Clara (29 ans) a fait une pause de l’alcool pendant un mois pour la première fois l’année passée. Elle a été heureuse de découvrir qu’elle n’est « ni moins drôle ni moins intéressante sobre ». Les gueules de bois ne lui ont pas manqué, ni « l’enfer des premiers rapports bourrés ». Mais il y a eu quelques moments difficiles, et notamment les premiers dates avec des quasi-inconnus.

La consommation d’alcool baisse, notamment chez les jeunes. En Belgique, on boit deux fois moins de bière qu’il y a 30 ans, d’après le dernier rapport annuel des brasseurs belges. Il n’empêche, le bar reste l’un des endroits les plus courants où l’on se fixe un premier rendez-vous. Pour celles et ceux qui ont passé une bonne partie de leur vie amoureuse un verre à la main, être sobre impose un nouvel apprentissage : sans alcool, comment se regarder dans les yeux, oser un premier baiser et plus si affinités ?

Premier (bon) élément, rencontrer quelqu’un sobre exclut d’office certaines personnes à qui vous auriez laissé une chance avec quelques verres dans le nez. « Bourrée, j’aurais sans doute été contente de plaire, sans me demander si c’était réciproque », analyse Clara en repensant à son rendez-vous raté. « Mais là, sobre, c’était impossible de passer à côté du fait que j’étais pas intéressée. »

Le pouvoir désinhibant de l’alcool présente certes la capacité de lubrifier la rencontre, mais il n’aide pas à prendre les meilleures décisions et ses effets sont imprévisibles : « L’éthanol agit sur tellement de neurotransmetteurs qu’on ne peut pas être sûr de ce qui va se passer », explique Catherine Hanak, psychiatre et addictologue au CHU Brugmann, à Bruxelles. Difficile alors d’être dans l’état requis pour bien évaluer la situation qu’on vit face à une nouvelle rencontre. A-t-on apprécié cette personne en elle-même, sa présence ou juste le fait d’avoir enfilé des verres ?

Plusieurs mois après la fin de sa pause, Clara a finalement rencontré quelqu’un lors d’une soirée alcoolisée. Heureusement, elle l’apprécie toujours, même quand elle ne boit pas : « Ça se passe hyper bien ! Mais on s’est dit plein de choses sur notre vie dont j’ai aucun souvenir. Maintenant, j’ose pas lui poser certaines questions, de peur qu’on ait déjà abordé le sujet… »

Quand vous prenez le parti de chercher l’amour sobre, apprendre à gérer votre nervosité autrement qu’en vous cachant derrière un verre constitue un défi majeur. Valérie (33 ans)  ne se considère pas comme alcoolique mais elle a toujours bu lors de ses rendez-vous amoureux, notamment « pour faire taire [son] anxiété sociale ». Après « une relation qui s’est très mal passée » et à laquelle elle « aurait mis un terme bien plus tôt » si elle avait été moins sous l’influence de la boisson, elle s’est totalement sevrée. Depuis quelques semaines, elle est inscrite sur des applications de rencontres, mais elle n’a pas encore fixé de rendez-vous, car elle appréhende encore trop le regard des autres : « J’ai peur de pas être à l’aise et de devoir me justifier, ou qu’on me demande pourquoi je bois pas… »

Maud (24 ans), elle, n’a jamais aimé « se mettre des caisses », mais elle a arrêté de boire après une période où elle trouvait « que l’alcool s’installait trop dans [son] quotidien ». Après avoir stoppé, elle a été frappée par la pression sociale qui fait de l’alcool un automatisme, et les stéréotypes sexistes qui vont avec : « Quand on est une fille, il faut boire, mais pas trop. Quand je racontais que j’avais déjà été super bourrée, je sentais que c’était pas en phase avec l’idéal féminin de certains garçons… alors qu’on pourrait davantage se questionner sur le fait que tout le monde boit autant, tout le temps. » Dans tous les cas, même si ça peut s’avérer peu excitant, et même un peu lourd, « c’est important d’expliquer qu’on ne boit pas, pour partir sur des bases saines », juge Catherine Hanak.

Sobre depuis trois ans après de longues années d’ivresse, l’humoriste Maxime Musqua (36 ans) a développé des techniques pour dédramatiser le sujet. « Je donne rendez-vous le dimanche matin, c’est super pratique pour ne pas avoir de décalage sur la consommation », me dit-il.

Certain·es utilisateur·ices des applications de rencontre semblent également être de plus ou plus ouvert·es à l’idée de faire des dates ailleurs que dans un bar. En 2022, l’application Bumble avait publié ses prédictions. Selon leurs conclusions, la consommation d’alcool ne jouait plus un rôle aussi important dans les rencontres ou relations amoureuses qu’auparavant. Sur cette application, 34% des personnes sondées se déclarent d’ailleurs plus susceptibles d’avoir un dry date aujourd’hui qu’avant la pandémie.

Mais en arrêtant de boire ou en diminuant, il est aussi possible que vous ayez tout simplement besoin de mettre en pause votre vie sentimentale. Annabelle (31 ans) a décidé de réduire sa consommation parce qu’elle ne supportait plus les gueules de bois, alors qu’elle consacrait toute son énergie à d’importants changements dans sa vie : « J’étais en reconversion professionnelle, je suivais une thérapie… » Cette période l’a plongée, au niveau sentimental, dans une traversée du désert d’un peu plus d’un an « plutôt bien vécue ». « Intérieurement, c’était trop le chantier pour être avec quelqu’un », estime-t-elle. Depuis quelques semaines, elle voit un garçon rencontré à son cours de chant – une activité qu’elle a démarrée après avoir arrêté l’alcool.

Pour Paul (43 ans), c’est encore compliqué. Suivi par un addictologue depuis plusieurs années, il s’est rendu compte que son alcoolisme nourrissait une forme de dépendance affective. « J’enchaînais les rencontres et les verres parce que je manque d’estime de moi et que j’arrive pas à vivre seul, explique-t-il. J’ai peur de rendre les autres malheureux aussi. » Sobre depuis trois mois, il estime avoir besoin de « prendre le temps de [se] soigner et de [se] reconstruire » avant de faire de nouvelles rencontres.

« Le premier bisou, c’est toujours plus difficile, relance Maxime Musqua. Ça peut prendre un peu plus de temps, y’a ce moment où on sait qu’on se plaît sans savoir si c’est le bon moment pour tenter quelque chose… Et en même temps, une fois qu’on y arrive, ça peut aussi être vachement mieux parce qu’on est sûr qu’on en a envie ! On a plus attendu et on a aussi plus de sensations du fait d’être sobre. »

Sans surprise, le sexe est généralement meilleur quand on dispose de toutes ses facultés, et qu’on peut s’en rappeler le lendemain. « La communion des corps n’a rien à voir ! », s’enthousiasme la journaliste Charlotte Peyronnet (33 ans). Avec le recul, elle estime que l’alcool l’a accompagnée dans la « longue errance hétérosexuelle » qu’elle raconte dans Et toi, pourquoi tu bois ? (Éditions Denoël, 2024). « Je pense que j’ai toujours été lesbienne mais je me le suis caché pendant des années, l’alcool m’a beaucoup aidée à me voiler la face, me confie-t-elle. Je buvais des verres de blanc au petit réveil pour avoir envie de faire l’amour. »

Nefeli (30 ans) trouve que la sobriété l’aide à mieux respecter son propre consentement. « Avant, y’avait des tas de fois où je me réveillais le lendemain matin en me demandant pourquoi j’étais là, dit-elle. Ça me manque pas du tout. » Si elle admet une certaine « nostalgie » au souvenir de « ces nuits où elle embrassait des inconnus » – ce qu’elle n’ose plus –, elle estime avoir « totalement gagné au change » car elle se sent « plus en sécurité » et « plus épanouie dans une sexualité plus douce ».

Faire l’amour sobre n’a pas été simple pour Charlotte Peyronnet : « J’avais énormément de complexes sur mon corps que je noyais dans l’alcool. Au début, j’avais plus du tout de désir pour ma partenaire. J’ai passé beaucoup de temps à me masturber, j’ai dû tout réapprendre, recréer un nouvel imaginaire avant de me sentir prête. » Mais elle aussi affirme pouvoir profiter des aspects positifs désormais. Car au-delà du rapport à soi-même – à son corps et/ou à sa sexualité –, la sobriété peut aussi soulager votre partenaire, si vous êtes en couple. « Ma copine m’a raconté qu’elle s’inquiétait tout le temps de devoir gérer les dégâts causés par ma consommation, de devoir venir me chercher à l’hôpital… », poursuit Charlotte. C’est entre autres sa partenaire qui l’a énormément aidée à arrêter de boire : « J’ai vu dans son regard qu’elle m’aimait toujours et qu’elle me soutenait, ça m’a donné énormément de force. »

Ne plus avoir l’alcool comme exutoire peut aussi vous aider à mieux communiquer au sein du couple. « On est plus attentifs l’un·e à l’autre, on échange davantage », estime Evelyne, créatrice du compte Instagram @sobreetbranchee. Après son arrêt de l’alcool en septembre 2020, suivi de la diminution de consommation de son compagnon, son couple sort davantage. « On va au resto, au cinéma ou à la bibliothèque ensemble toutes les semaines », s’enthousiasme-t-elle. Les soirées à deux sont désormais plus légères, moins centrées autour de la bouteille ouverte pour le repas et de l’atmosphère pesante qui suivait. Avec moins d’alcool entre eux, la complicité a regagné du terrain.

Ces changements s’expliquent en partie par le fait qu’on « est souvent plus présent·e dans une relation après avoir arrêté de boire, surtout si l’alcool était au centre de notre vie avant », confirme Catherine Hanak – même s’il ne faut pas faire de généralités : il y a des personnes alcooliques qui arrivent à bien gérer leur couple. « Quand on boit, on attend souvent d’être ivre pour essayer de régler ses problèmes de couple, remet Maxime Musqua. Sobre, on est obligé·e d’apprendre à régler les conflits autrement, en étant attentif à ses émotions, en mettant des mots dessus, et en assumant de se montrer vulnérable pour les exposer à notre partenaire. »

Si la sobriété amène « beaucoup de choses positives » la plupart du temps, Catherine Hanak reconnaît tout de même qu’elle peut aussi être source de tensions. « Par exemple, quand c’était le partenaire de la personne qui buvait qui prenait beaucoup de décisions pour le couple :  sobre, on se met à donner beaucoup plus son avis. Un nouvel équilibre est donc à réinventer. »

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Découvrir The Vaccines le cœur brisé sur la côte anglaise

12 février 2024 à 04:00

Il y a des moments où on est bien heureux·se que personne ne soit là pour contempler le pathétisme dans lequel on se trouve. Et en même temps, on retire une certaine satisfaction au désœuvrement d’avoir touché le fond.

J’étais dans une relation où il ne se passait plus grand-chose depuis longtemps, et je crois que ça aurait pu continuer comme ça jusqu’à ce que mort s’ensuive. C’est dur de rompre quand il n’y a pas de conflit ni de problème apparent, juste un immobilisme paisible. Il était mon meilleur ami, je l’aimais plus que n’importe qui, la cohabitation se passait bien, mais je ne voulais pas, à 24 ans, m’enliser dans une monotonie plate. Il était du même avis que moi, bien qu’il soit plus âgé, et était pourtant incapable de prendre la moindre décision, comme englué dans l’utopie d’une vie qui n’existera jamais. Après plusieurs années de vie commune, on a vidé notre appartement et eu quelques échanges passifs-agressifs pour savoir qui gardera le tapis acheté au Maroc ou le vase chiné aux Marolles, alors qu’on n’en avait tou·tes deux, dans le fond, rien à cirer.

J’ai entassé mes cartons dans la cave d’une amie, contemplé une dernière fois ce qu’il restait de ma vie, et suis partie à Gênes. On était en juillet, je venais d’être diplômée, je gagnais un peu d’argent en tant que journaliste freelance, j’étais flexible pour travailler où je voulais mais je n’avais aucune idée d’où m’installer.

Il m’a suffi de seulement cinq jours pour réaliser que je frôlais le scénario de Mange, prie, aime et qu’il fallait me ressaisir. J’ai migré à Brighton, loin du soleil et des pizzas aussi onctueuses que pas chères.

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L’atmosphère anglaise me seyait mieux. Le vent et la pluie me fouettaient le visage, et j’avais bien besoin qu’on me remette les idées en place. Je n’ai pas quitté une seule fois mon imperméable durant la première semaine.

« Voyager seule, le meilleur moyen de ne pas le rester », reçus-je comme notification pour un podcast France Inter. C’était aussi ce que me martelaient mes ami·es avant mon départ. Je dois sans doute faire figure d’exception. Mon quotidien se limitait à aller à la librairie Waterstones pour engloutir des cappuccinos et des banana breads, posant mes doigts gras sur des livres neufs que je prenais le temps de lire en entier sans songer à les acheter. J’y passais bien trois heures par jour.

J’avais une soif intarissable d’être seule. La solitude ne me pesait pas, mais elle avait un goût nouveau. J’avais l’impression d’être dans une sorte d’état méditatif constant. J’espérais que l’expérience m’amènerait à atteindre des zones de mon esprit jusque là inconnues ; ou atteindre une forme de sérénité durable, un détachement de tout et pour toujours.

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Je logeais dans une résidence étudiante quasiment vide pour l’été. J’ai croisé seulement quelques cinquantenaires, seuls, et dont l’accent à couper au couteau m’a empêché de comprendre ce qu’ils foutaient là. J’ai aussi aperçu un gars à peine plus âgé que moi, et qui, le jour de son départ, a sorti une dizaine de bouteilles d’alcool vides de sa chambre.

Il n’y avait pas de brosse à toilette. La cuisine commune était très sale, avec une accumulation de poubelles qui odoraient la pièce. Une fois, je ne suis pas sortie de ma chambre pendant plus de 24 heures, même pour manger. Pas tant par manque de faim que par manque de volonté. Autrement, je me contentais de mac & cheese industriels et réchauffés au micro-ondes ou de tomates cerises.

J’ai quand même été lassée de n’ouvrir la bouche que pour prononcer « with oat milk ». Alors j’ai téléchargé Tinder, mis quelques photos et ajouté comme description « Fed by books, rock and hummus ». J’ai laissé l’application miroiter plusieurs jours. J’ai échangé avec quelques personnes, rien de bien tonitruant. Et puis, j’ai été charmée par Toby – enfin, pas par son nom, le pauvre – un petit gars avec des tatouages jusque sur les doigts, une veste en cuir oversize, une épaisse barbe et des boucles blondes qui dépassaient de sa casquette. Il m’a proposé un verre à la fin de la semaine. J’ai répondu : « What about in one hour? », et c’est comme ça que je me suis retrouvée dans un bar en bord de mer, un tournesol dans un vase posé sur la table, à contempler le coucher du soleil avec ce bel inconnu.

Le courant passait bien. On a changé de bar, pour jouer à A Little More Conversation, un jeu de cartes avec des questions variées allant de « What do you admire about your parents? » à « What do you rate humanity’s chances at surviving another 1.000 years? ». La soirée a rapidement pris une tournure intime et on s’est raconté·es nos rêves, nos souvenirs d’enfance douloureux et quelques anecdotes embarrassantes.

Alors que le bistrot fermait ses portes, on s’est acheté des bières dans un night shop et on s’est posé·es chez lui, un appartement étonnamment très blanc, propre et rangé. J’ai mis de la musique, en optant pour le groupe de garage australien Girl and Girl. Je l’avais découvert en feuilletant la programmation du Botanique à Bruxelles, pour offrir une place de concert à mon ex. Je suis fan de leur sarcasme, notamment avec Divorce qui illustre parfaitement mon état d’esprit : « I spent my summer wishing I would die » – j’ai toujours haï l’été – ou leur titre Shame is not now : « I’ll come to dinner tonight. I’ll wear my shittiest shirt, hope that’s alright. Sorry about that time that I kicked your dog, I was drunk »

Girl and Girl a évoqué à Toby The Vaccines, qu’il m’a aussitôt fait écouter. Sacrilège, je ne connaissais pas cette pépite anglaise – pourtant largement notoire – et ma quête obsessive de nouvelles perles musicales n’en a été que plus alimentée. Sur le moment, j’ai apprécié le groupe, mais sans plus. C’était dur de se concentrer sur la musique quand une main s’employait à explorer la moindre parcelle de mon corps.

J’ai préféré rentrer dormir dans ma résidence étudiante crade. Comme si j’avais assez bafoué l’isolement que j’essayais de m’infliger, et que je ne méritais pas tant de confort. J’ai lancé Post break-up sex des Vaccines dans mon casque, roulé une clope et me suis enfoncée dans l’obscurité de la nuit et de mon chagrin.

« I can barely look at you
Don’t tell me who you lost it to
Didn’t we say we had a deal?
Didn’t I say how bad I feel? »

J’ai pris un détour pour marcher le long de la plage.

« Have post break up sex
That helps you forget your ex
What did you expect
From post break up sex? »

La chanson me mettait en pleine face mon déni. Alors je l’ai remise en boucle. Je réalisais, pour la première fois, que ma relation était détruite, consumée jusqu’à la moelle, qu’il n’y aurait pas de retour en arrière. Que je n’étais qu’aux prémisses d’un gouffre, et je ne savais pas quand j’en sortirai.

« Leave it ’til the guilt consumes »

J’étais rongée par la culpabilité, je portais sur les épaules la responsabilité de ma décision et de ma fuite.

« I can’t believe you’re feeling good
From post break up sex
That helps you forget your ex »

Lors de notre dernier coït, alors qu’on était déjà séparé·es, il avait joui sur mon dos. Pendant que je sentais la semence couler le long de mon sillon, j’avais eu envie d’en récupérer un échantillon pour le conserver dans mon portefeuille, comme certains parents le font avec une photo de leurs gosses. Ça aurait été le souvenir d’un futur qui ne se produira pas, et une façon de garder mon ex près de moi.

« When you love somebody but you find someone
And it all unravels and it comes undone »

Je côtoie des tas de couples qui visualisent main dans la main leurs vingt prochaines années sans que leur front ne se mette à suer. Je ne fais pas partie de cette catégorie. Je doute. Tout le temps. Et, à ce moment-là, j’avais l’impression que ça ne pourrait jamais changer. Que si ça n’avait pas marché avec lui, et toute sa bienveillance, ça ne marcherait avec personne d’autre. Et si j’apprécie traîner toute seule, la solitude affective, par contre, m’angoisse profondément.

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Je suis restée un long moment sur un banc, au bord de la jetée, avec l’envie de m’y jeter, les joues irritées par le sel de mes larmes.

Le lendemain, j’ai pris un Flixbus pour rentrer à Bruxelles, terre perdue que je devais reconquérir. Je sentais que c’était le moment de quitter Brighton et d’arrêter de dilapider mes économies. Post break-up sex m’a accompagnée pendant les dix heures de trajet. À chaque écoute, la musique me transportait toujours autant. La tristesse qui mijotait silencieusement en moi, remontait le long de mon œsophage, comme de l’acide qui perforait ma poitrine, créant un trou béant entre mes seins. La musique me permettait d’y passer mes doigts et de tâter la cavité. Je n’arrivais pas à savoir si ça me faisait plus de bien que de mal, je crois que ça agrandissait un peu la plaie, comme si je m’arrachais des petits bouts de chair.

L’été était passé, emportant avec lui la motivation d’un nouveau départ. Je me suis résolue à trouver un nouvel appartement, en colocation cette fois-ci car je n’avais pas les moyens de vivre seule. J’ai dû réapprendre à socialiser, un processus qui m’a bien plus sorti de ma zone de confort que celle d’expérimenter la solitude. Mais ces précieux moments d’échange me ramenaient à la vie.

Quelques mois plus tard, The Vaccines entamait une tournée européenne pour la sortie de son nouvel album et passait par Bruxelles.

Écouter du rock avec mon ex était le ciment de notre couple. Il a été bassiste dans une autre vie et a renforcé ma culture musicale. On ne ressentait pas le besoin de sortir, on restait chez nous à écumer les artistes qui nous faisaient vibrer à l’unisson, et on dérogeait à la règle seulement pour aller à des concerts, autant de groupes de niche que de têtes d’affiche.

Cette fois, je suis allée seule au concert. Mais, avant, je lui avais envoyé un message – deux, pour être honnête – lui proposant de m’accompagner. Il a refusé coup sur coup. J’ai ravalé ma fierté.

Je portais une chemise à paillettes jaune et sirotais un gin tonic. Le groupe faisait bien dans le kitch aussi, avec des fleurs en plastique parsemées sur la scène, des drapés sur le mur, et une guitare blanche à strass pour certains morceaux. Post break-up sex a eu sur moi l’effet d’une immense vague. Cette fois, elle ne m’a pas ravagée. La cavité dans ma poitrine était toujours là, mais plus petite, je l’ai caressée avec bienveillance.

Je ne vais pas inventer un vaccin miracle pour se remettre d’une rupture. La rechute – le « post break-up sex » – est souvent inévitable, mais prolonge le temps de rétablissement. Le sexe avec de nouveaux partenaires aide un peu, surtout à se dorer l’égo. Je crois que ce qui marche le mieux, c’est de se dater (doigter) soi-même.

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« Tout réapprendre » : ce qu’arrêter l’alcool change dans la vie amoureuse

22 février 2024 à 08:44

« J’ai rencontré un mec qui s’est mis à me raconter sa vie pendant hyper longtemps sans me poser la moindre question. Je m’ennuyais tellement, j’aurais bien aimé boire une pinte de bière. » Clara (29 ans) a fait une pause de l’alcool pendant un mois pour la première fois l’année passée. Elle a été heureuse de découvrir qu’elle n’est « ni moins drôle ni moins intéressante sobre ». Les gueules de bois ne lui ont pas manqué, ni « l’enfer des premiers rapports bourrés ». Mais il y a eu quelques moments difficiles, et notamment les premiers dates avec des quasi-inconnus.

La consommation d’alcool baisse, notamment chez les jeunes. En Belgique, on boit deux fois moins de bière qu’il y a 30 ans, d’après le dernier rapport annuel des brasseurs belges. Il n’empêche, le bar reste l’un des endroits les plus courants où l’on se fixe un premier rendez-vous. Pour celles et ceux qui ont passé une bonne partie de leur vie amoureuse un verre à la main, être sobre impose un nouvel apprentissage : sans alcool, comment se regarder dans les yeux, oser un premier baiser et plus si affinités ?

Premier (bon) élément, rencontrer quelqu’un sobre exclut d’office certaines personnes à qui vous auriez laissé une chance avec quelques verres dans le nez. « Bourrée, j’aurais sans doute été contente de plaire, sans me demander si c’était réciproque », analyse Clara en repensant à son rendez-vous raté. « Mais là, sobre, c’était impossible de passer à côté du fait que j’étais pas intéressée. »

Le pouvoir désinhibant de l’alcool présente certes la capacité de lubrifier la rencontre, mais il n’aide pas à prendre les meilleures décisions et ses effets sont imprévisibles : « L’éthanol agit sur tellement de neurotransmetteurs qu’on ne peut pas être sûr de ce qui va se passer », explique Catherine Hanak, psychiatre et addictologue au CHU Brugmann, à Bruxelles. Difficile alors d’être dans l’état requis pour bien évaluer la situation qu’on vit face à une nouvelle rencontre. A-t-on apprécié cette personne en elle-même, sa présence ou juste le fait d’avoir enfilé des verres ?

Plusieurs mois après la fin de sa pause, Clara a finalement rencontré quelqu’un lors d’une soirée alcoolisée. Heureusement, elle l’apprécie toujours, même quand elle ne boit pas : « Ça se passe hyper bien ! Mais on s’est dit plein de choses sur notre vie dont j’ai aucun souvenir. Maintenant, j’ose pas lui poser certaines questions, de peur qu’on ait déjà abordé le sujet… »

Quand vous prenez le parti de chercher l’amour sobre, apprendre à gérer votre nervosité autrement qu’en vous cachant derrière un verre constitue un défi majeur. Valérie (33 ans)  ne se considère pas comme alcoolique mais elle a toujours bu lors de ses rendez-vous amoureux, notamment « pour faire taire [son] anxiété sociale ». Après « une relation qui s’est très mal passée » et à laquelle elle « aurait mis un terme bien plus tôt » si elle avait été moins sous l’influence de la boisson, elle s’est totalement sevrée. Depuis quelques semaines, elle est inscrite sur des applications de rencontres, mais elle n’a pas encore fixé de rendez-vous, car elle appréhende encore trop le regard des autres : « J’ai peur de pas être à l’aise et de devoir me justifier, ou qu’on me demande pourquoi je bois pas… »

Maud (24 ans), elle, n’a jamais aimé « se mettre des caisses », mais elle a arrêté de boire après une période où elle trouvait « que l’alcool s’installait trop dans [son] quotidien ». Après avoir stoppé, elle a été frappée par la pression sociale qui fait de l’alcool un automatisme, et les stéréotypes sexistes qui vont avec : « Quand on est une fille, il faut boire, mais pas trop. Quand je racontais que j’avais déjà été super bourrée, je sentais que c’était pas en phase avec l’idéal féminin de certains garçons… alors qu’on pourrait davantage se questionner sur le fait que tout le monde boit autant, tout le temps. » Dans tous les cas, même si ça peut s’avérer peu excitant, et même un peu lourd, « c’est important d’expliquer qu’on ne boit pas, pour partir sur des bases saines », juge Catherine Hanak.

Sobre depuis trois ans après de longues années d’ivresse, l’humoriste Maxime Musqua (36 ans) a développé des techniques pour dédramatiser le sujet. « Je donne rendez-vous le dimanche matin, c’est super pratique pour ne pas avoir de décalage sur la consommation », me dit-il.

Certain·es utilisateur·ices des applications de rencontre semblent également être de plus ou plus ouvert·es à l’idée de faire des dates ailleurs que dans un bar. En 2022, l’application Bumble avait publié ses prédictions. Selon leurs conclusions, la consommation d’alcool ne jouait plus un rôle aussi important dans les rencontres ou relations amoureuses qu’auparavant. Sur cette application, 34% des personnes sondées se déclarent d’ailleurs plus susceptibles d’avoir un dry date aujourd’hui qu’avant la pandémie.

Mais en arrêtant de boire ou en diminuant, il est aussi possible que vous ayez tout simplement besoin de mettre en pause votre vie sentimentale. Annabelle (31 ans) a décidé de réduire sa consommation parce qu’elle ne supportait plus les gueules de bois, alors qu’elle consacrait toute son énergie à d’importants changements dans sa vie : « J’étais en reconversion professionnelle, je suivais une thérapie… » Cette période l’a plongée, au niveau sentimental, dans une traversée du désert d’un peu plus d’un an « plutôt bien vécue ». « Intérieurement, c’était trop le chantier pour être avec quelqu’un », estime-t-elle. Depuis quelques semaines, elle voit un garçon rencontré à son cours de chant – une activité qu’elle a démarrée après avoir arrêté l’alcool.

Pour Paul (43 ans), c’est encore compliqué. Suivi par un addictologue depuis plusieurs années, il s’est rendu compte que son alcoolisme nourrissait une forme de dépendance affective. « J’enchaînais les rencontres et les verres parce que je manque d’estime de moi et que j’arrive pas à vivre seul, explique-t-il. J’ai peur de rendre les autres malheureux aussi. » Sobre depuis trois mois, il estime avoir besoin de « prendre le temps de [se] soigner et de [se] reconstruire » avant de faire de nouvelles rencontres.

« Le premier bisou, c’est toujours plus difficile, relance Maxime Musqua. Ça peut prendre un peu plus de temps, y’a ce moment où on sait qu’on se plaît sans savoir si c’est le bon moment pour tenter quelque chose… Et en même temps, une fois qu’on y arrive, ça peut aussi être vachement mieux parce qu’on est sûr qu’on en a envie ! On a plus attendu et on a aussi plus de sensations du fait d’être sobre. »

Sans surprise, le sexe est généralement meilleur quand on dispose de toutes ses facultés, et qu’on peut s’en rappeler le lendemain. « La communion des corps n’a rien à voir ! », s’enthousiasme la journaliste Charlotte Peyronnet (33 ans). Avec le recul, elle estime que l’alcool l’a accompagnée dans la « longue errance hétérosexuelle » qu’elle raconte dans Et toi, pourquoi tu bois ? (Éditions Denoël, 2024). « Je pense que j’ai toujours été lesbienne mais je me le suis caché pendant des années, l’alcool m’a beaucoup aidée à me voiler la face, me confie-t-elle. Je buvais des verres de blanc au petit réveil pour avoir envie de faire l’amour. »

Nefeli (30 ans) trouve que la sobriété l’aide à mieux respecter son propre consentement. « Avant, y’avait des tas de fois où je me réveillais le lendemain matin en me demandant pourquoi j’étais là, dit-elle. Ça me manque pas du tout. » Si elle admet une certaine « nostalgie » au souvenir de « ces nuits où elle embrassait des inconnus » – ce qu’elle n’ose plus –, elle estime avoir « totalement gagné au change » car elle se sent « plus en sécurité » et « plus épanouie dans une sexualité plus douce ».

Faire l’amour sobre n’a pas été simple pour Charlotte Peyronnet : « J’avais énormément de complexes sur mon corps que je noyais dans l’alcool. Au début, j’avais plus du tout de désir pour ma partenaire. J’ai passé beaucoup de temps à me masturber, j’ai dû tout réapprendre, recréer un nouvel imaginaire avant de me sentir prête. » Mais elle aussi affirme pouvoir profiter des aspects positifs désormais. Car au-delà du rapport à soi-même – à son corps et/ou à sa sexualité –, la sobriété peut aussi soulager votre partenaire, si vous êtes en couple. « Ma copine m’a raconté qu’elle s’inquiétait tout le temps de devoir gérer les dégâts causés par ma consommation, de devoir venir me chercher à l’hôpital… », poursuit Charlotte. C’est entre autres sa partenaire qui l’a énormément aidée à arrêter de boire : « J’ai vu dans son regard qu’elle m’aimait toujours et qu’elle me soutenait, ça m’a donné énormément de force. »

Ne plus avoir l’alcool comme exutoire peut aussi vous aider à mieux communiquer au sein du couple. « On est plus attentifs l’un·e à l’autre, on échange davantage », estime Evelyne, créatrice du compte Instagram @sobreetbranchee. Après son arrêt de l’alcool en septembre 2020, suivi de la diminution de consommation de son compagnon, son couple sort davantage. « On va au resto, au cinéma ou à la bibliothèque ensemble toutes les semaines », s’enthousiasme-t-elle. Les soirées à deux sont désormais plus légères, moins centrées autour de la bouteille ouverte pour le repas et de l’atmosphère pesante qui suivait. Avec moins d’alcool entre eux, la complicité a regagné du terrain.

Ces changements s’expliquent en partie par le fait qu’on « est souvent plus présent·e dans une relation après avoir arrêté de boire, surtout si l’alcool était au centre de notre vie avant », confirme Catherine Hanak – même s’il ne faut pas faire de généralités : il y a des personnes alcooliques qui arrivent à bien gérer leur couple. « Quand on boit, on attend souvent d’être ivre pour essayer de régler ses problèmes de couple, remet Maxime Musqua. Sobre, on est obligé·e d’apprendre à régler les conflits autrement, en étant attentif à ses émotions, en mettant des mots dessus, et en assumant de se montrer vulnérable pour les exposer à notre partenaire. »

Si la sobriété amène « beaucoup de choses positives » la plupart du temps, Catherine Hanak reconnaît tout de même qu’elle peut aussi être source de tensions. « Par exemple, quand c’était le partenaire de la personne qui buvait qui prenait beaucoup de décisions pour le couple :  sobre, on se met à donner beaucoup plus son avis. Un nouvel équilibre est donc à réinventer. »

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Découvrir The Vaccines le cœur brisé sur la côte anglaise

12 février 2024 à 04:00

Il y a des moments où on est bien heureux·se que personne ne soit là pour contempler le pathétisme dans lequel on se trouve. Et en même temps, on retire une certaine satisfaction au désœuvrement d’avoir touché le fond.

J’étais dans une relation où il ne se passait plus grand-chose depuis longtemps, et je crois que ça aurait pu continuer comme ça jusqu’à ce que mort s’ensuive. C’est dur de rompre quand il n’y a pas de conflit ni de problème apparent, juste un immobilisme paisible. Il était mon meilleur ami, je l’aimais plus que n’importe qui, la cohabitation se passait bien, mais je ne voulais pas, à 24 ans, m’enliser dans une monotonie plate. Il était du même avis que moi, bien qu’il soit plus âgé, et était pourtant incapable de prendre la moindre décision, comme englué dans l’utopie d’une vie qui n’existera jamais. Après plusieurs années de vie commune, on a vidé notre appartement et eu quelques échanges passifs-agressifs pour savoir qui gardera le tapis acheté au Maroc ou le vase chiné aux Marolles, alors qu’on n’en avait tou·tes deux, dans le fond, rien à cirer.

J’ai entassé mes cartons dans la cave d’une amie, contemplé une dernière fois ce qu’il restait de ma vie, et suis partie à Gênes. On était en juillet, je venais d’être diplômée, je gagnais un peu d’argent en tant que journaliste freelance, j’étais flexible pour travailler où je voulais mais je n’avais aucune idée d’où m’installer.

Il m’a suffi de seulement cinq jours pour réaliser que je frôlais le scénario de Mange, prie, aime et qu’il fallait me ressaisir. J’ai migré à Brighton, loin du soleil et des pizzas aussi onctueuses que pas chères.

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L’atmosphère anglaise me seyait mieux. Le vent et la pluie me fouettaient le visage, et j’avais bien besoin qu’on me remette les idées en place. Je n’ai pas quitté une seule fois mon imperméable durant la première semaine.

« Voyager seule, le meilleur moyen de ne pas le rester », reçus-je comme notification pour un podcast France Inter. C’était aussi ce que me martelaient mes ami·es avant mon départ. Je dois sans doute faire figure d’exception. Mon quotidien se limitait à aller à la librairie Waterstones pour engloutir des cappuccinos et des banana breads, posant mes doigts gras sur des livres neufs que je prenais le temps de lire en entier sans songer à les acheter. J’y passais bien trois heures par jour.

J’avais une soif intarissable d’être seule. La solitude ne me pesait pas, mais elle avait un goût nouveau. J’avais l’impression d’être dans une sorte d’état méditatif constant. J’espérais que l’expérience m’amènerait à atteindre des zones de mon esprit jusque là inconnues ; ou atteindre une forme de sérénité durable, un détachement de tout et pour toujours.

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Je logeais dans une résidence étudiante quasiment vide pour l’été. J’ai croisé seulement quelques cinquantenaires, seuls, et dont l’accent à couper au couteau m’a empêché de comprendre ce qu’ils foutaient là. J’ai aussi aperçu un gars à peine plus âgé que moi, et qui, le jour de son départ, a sorti une dizaine de bouteilles d’alcool vides de sa chambre.

Il n’y avait pas de brosse à toilette. La cuisine commune était très sale, avec une accumulation de poubelles qui odoraient la pièce. Une fois, je ne suis pas sortie de ma chambre pendant plus de 24 heures, même pour manger. Pas tant par manque de faim que par manque de volonté. Autrement, je me contentais de mac & cheese industriels et réchauffés au micro-ondes ou de tomates cerises.

J’ai quand même été lassée de n’ouvrir la bouche que pour prononcer « with oat milk ». Alors j’ai téléchargé Tinder, mis quelques photos et ajouté comme description « Fed by books, rock and hummus ». J’ai laissé l’application miroiter plusieurs jours. J’ai échangé avec quelques personnes, rien de bien tonitruant. Et puis, j’ai été charmée par Toby – enfin, pas par son nom, le pauvre – un petit gars avec des tatouages jusque sur les doigts, une veste en cuir oversize, une épaisse barbe et des boucles blondes qui dépassaient de sa casquette. Il m’a proposé un verre à la fin de la semaine. J’ai répondu : « What about in one hour? », et c’est comme ça que je me suis retrouvée dans un bar en bord de mer, un tournesol dans un vase posé sur la table, à contempler le coucher du soleil avec ce bel inconnu.

Le courant passait bien. On a changé de bar, pour jouer à A Little More Conversation, un jeu de cartes avec des questions variées allant de « What do you admire about your parents? » à « What do you rate humanity’s chances at surviving another 1.000 years? ». La soirée a rapidement pris une tournure intime et on s’est raconté·es nos rêves, nos souvenirs d’enfance douloureux et quelques anecdotes embarrassantes.

Alors que le bistrot fermait ses portes, on s’est acheté des bières dans un night shop et on s’est posé·es chez lui, un appartement étonnamment très blanc, propre et rangé. J’ai mis de la musique, en optant pour le groupe de garage australien Girl and Girl. Je l’avais découvert en feuilletant la programmation du Botanique à Bruxelles, pour offrir une place de concert à mon ex. Je suis fan de leur sarcasme, notamment avec Divorce qui illustre parfaitement mon état d’esprit : « I spent my summer wishing I would die » – j’ai toujours haï l’été – ou leur titre Shame is not now : « I’ll come to dinner tonight. I’ll wear my shittiest shirt, hope that’s alright. Sorry about that time that I kicked your dog, I was drunk »

Girl and Girl a évoqué à Toby The Vaccines, qu’il m’a aussitôt fait écouter. Sacrilège, je ne connaissais pas cette pépite anglaise – pourtant largement notoire – et ma quête obsessive de nouvelles perles musicales n’en a été que plus alimentée. Sur le moment, j’ai apprécié le groupe, mais sans plus. C’était dur de se concentrer sur la musique quand une main s’employait à explorer la moindre parcelle de mon corps.

J’ai préféré rentrer dormir dans ma résidence étudiante crade. Comme si j’avais assez bafoué l’isolement que j’essayais de m’infliger, et que je ne méritais pas tant de confort. J’ai lancé Post break-up sex des Vaccines dans mon casque, roulé une clope et me suis enfoncée dans l’obscurité de la nuit et de mon chagrin.

« I can barely look at you
Don’t tell me who you lost it to
Didn’t we say we had a deal?
Didn’t I say how bad I feel? »

J’ai pris un détour pour marcher le long de la plage.

« Have post break up sex
That helps you forget your ex
What did you expect
From post break up sex? »

La chanson me mettait en pleine face mon déni. Alors je l’ai remise en boucle. Je réalisais, pour la première fois, que ma relation était détruite, consumée jusqu’à la moelle, qu’il n’y aurait pas de retour en arrière. Que je n’étais qu’aux prémisses d’un gouffre, et je ne savais pas quand j’en sortirai.

« Leave it ’til the guilt consumes »

J’étais rongée par la culpabilité, je portais sur les épaules la responsabilité de ma décision et de ma fuite.

« I can’t believe you’re feeling good
From post break up sex
That helps you forget your ex »

Lors de notre dernier coït, alors qu’on était déjà séparé·es, il avait joui sur mon dos. Pendant que je sentais la semence couler le long de mon sillon, j’avais eu envie d’en récupérer un échantillon pour le conserver dans mon portefeuille, comme certains parents le font avec une photo de leurs gosses. Ça aurait été le souvenir d’un futur qui ne se produira pas, et une façon de garder mon ex près de moi.

« When you love somebody but you find someone
And it all unravels and it comes undone »

Je côtoie des tas de couples qui visualisent main dans la main leurs vingt prochaines années sans que leur front ne se mette à suer. Je ne fais pas partie de cette catégorie. Je doute. Tout le temps. Et, à ce moment-là, j’avais l’impression que ça ne pourrait jamais changer. Que si ça n’avait pas marché avec lui, et toute sa bienveillance, ça ne marcherait avec personne d’autre. Et si j’apprécie traîner toute seule, la solitude affective, par contre, m’angoisse profondément.

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Je suis restée un long moment sur un banc, au bord de la jetée, avec l’envie de m’y jeter, les joues irritées par le sel de mes larmes.

Le lendemain, j’ai pris un Flixbus pour rentrer à Bruxelles, terre perdue que je devais reconquérir. Je sentais que c’était le moment de quitter Brighton et d’arrêter de dilapider mes économies. Post break-up sex m’a accompagnée pendant les dix heures de trajet. À chaque écoute, la musique me transportait toujours autant. La tristesse qui mijotait silencieusement en moi, remontait le long de mon œsophage, comme de l’acide qui perforait ma poitrine, créant un trou béant entre mes seins. La musique me permettait d’y passer mes doigts et de tâter la cavité. Je n’arrivais pas à savoir si ça me faisait plus de bien que de mal, je crois que ça agrandissait un peu la plaie, comme si je m’arrachais des petits bouts de chair.

L’été était passé, emportant avec lui la motivation d’un nouveau départ. Je me suis résolue à trouver un nouvel appartement, en colocation cette fois-ci car je n’avais pas les moyens de vivre seule. J’ai dû réapprendre à socialiser, un processus qui m’a bien plus sorti de ma zone de confort que celle d’expérimenter la solitude. Mais ces précieux moments d’échange me ramenaient à la vie.

Quelques mois plus tard, The Vaccines entamait une tournée européenne pour la sortie de son nouvel album et passait par Bruxelles.

Écouter du rock avec mon ex était le ciment de notre couple. Il a été bassiste dans une autre vie et a renforcé ma culture musicale. On ne ressentait pas le besoin de sortir, on restait chez nous à écumer les artistes qui nous faisaient vibrer à l’unisson, et on dérogeait à la règle seulement pour aller à des concerts, autant de groupes de niche que de têtes d’affiche.

Cette fois, je suis allée seule au concert. Mais, avant, je lui avais envoyé un message – deux, pour être honnête – lui proposant de m’accompagner. Il a refusé coup sur coup. J’ai ravalé ma fierté.

Je portais une chemise à paillettes jaune et sirotais un gin tonic. Le groupe faisait bien dans le kitch aussi, avec des fleurs en plastique parsemées sur la scène, des drapés sur le mur, et une guitare blanche à strass pour certains morceaux. Post break-up sex a eu sur moi l’effet d’une immense vague. Cette fois, elle ne m’a pas ravagée. La cavité dans ma poitrine était toujours là, mais plus petite, je l’ai caressée avec bienveillance.

Je ne vais pas inventer un vaccin miracle pour se remettre d’une rupture. La rechute – le « post break-up sex » – est souvent inévitable, mais prolonge le temps de rétablissement. Le sexe avec de nouveaux partenaires aide un peu, surtout à se dorer l’égo. Je crois que ce qui marche le mieux, c’est de se dater (doigter) soi-même.

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