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Reçu aujourd’hui — 30 juillet 2025

La Commission européenne publie une feuille de route sur le logiciel libre

La Commission européenne a récemment publié une feuille de route stratégique intitulée « Feuille de route thématique sur l’open source et contributions sur les principes de confiance communs » (« La voie du logiciel libre vers la souveraineté numérique et la compétitivité de l'Union européenne »), préparée par l'Alliance européenne pour les données industrielles, l'Edge et le Cloud (dont l'auteur de ces lignes fait partie). Ce document de 68 pages propose et détaille un plan d'action visant à positionner le logiciel libre comme un pilier central de la stratégie européenne pour renforcer son autonomie technologique face aux acteurs non-européens.

Le rapport part du constat de la dépendance de l'Europe dans les domaines du cloud, de l'edge et de l'IoT, et propose 70 actions concrètes pour y remédier. Parmi les mesures les plus significatives, on trouve notamment : la mise en place d'une politique d'achat public favorisant systématiquement les solutions libres européennes, la création d'un fonds de financement dédié aux projets critiques, et l'application de standards d'interopérabilité réellement ouverts pour contrer le verrouillage fournisseur (vendor lock-in).

Ce ne sont bien sûr que quelques propositions parmi les 70. Pour plus de détails, cliquez sur « lire la suite ».

Sommaire

Le contexte

Cette feuille de route a pour objectif de transformer les ambitions de souveraineté numérique en un programme d'actions d'ordre technique, économique et politique. Elle s'adresse aux décideurs, notamment politiques, mais son contenu a des implications directes pour les développeurs, les entreprises et les contributeurs de l'écosystème du logiciel libre et Open Source en Europe. Bien évidemment (et malheureusement), rien n'est acté à ce stade, mais au moins, les propositions sont sur la table et entre les mains de la DG CONNECT (direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies de la Commission européenne).

L'Alliance européenne pour les données industrielles, l'Edge et le Cloud, qui est à l'origine de ce document, est une initiative facilitée par la Commission européenne. Elle réunit des entreprises exclusivement européennes, des représentants des États membres et des experts du domaine. Son rôle est officiellement de guider les investissements et de conseiller les instances européennes pour construire un écosystème numérique compétitif et autonome.

Notons que, bien que la feuille de route concerne explicitement uniquement le Cloud, l'Edge et l'IoT (infonuagique, informatique en périphérie et objets connectés),

Le document a été produit par un groupe de travail dédié (task force) au sein du groupe de travail constitué de Stéfane Fermigier (Abilian), Alberto P. Martí (OpenNebula Systems), Jean-Baptiste Piacentino (Clever Cloud), Charles-Henri Schulz (Vates) et Arthur van der Wees (Arthur Strategies & Systems), puis validé en session plénière par l'ensemble de l'Alliance.

Le diagnostic

Le rapport identifie (ou rappelle) les principaux freins au développement d'un écosystème numérique européen souverain fondé sur le logiciel libre :

  • L'interopérabilité et les standards : L'influence d'acteurs dominants qui promeuvent des standards faussement « ouverts » (open washing) pour maintenir leur position et complexifier l'intégration de solutions alternatives. On pourra consulter à ce sujet le passionnant papier de Nora von Ingersleben-Seip, "How the European Union Fell Out of Love with Open-Source Software" (TUM School of Social Sciences and Technology, 2025).
  • Les ressources et le financement : La dépendance de nombreux projets libres et Open Source européens à des financements sporadiques ou à l'effort de bénévoles, ce qui limite leur capacité à assurer la maintenance, la sécurité et l'évolution à long terme.
  • L'adoption par le marché : La persistance de préjugés sur la complexité et le manque de support des solutions libres, renforcée par l'omniprésence du marketing des fournisseurs de logiciels propriétaires et de services cloud propriétaires fermés.
  • Les compétences et les "talents": Un déficit de professionnels qualifiés sur les technologies libres et Open Source, ce qui accroît la dépendance à l'expertise non-européenne.
  • La gouvernance : Le fait que de nombreux projets Open Source, même avec une forte contribution européenne, soient gouvernés par des fondations ou entités basées hors de l'UE, alignant potentiellement leurs décisions sur des intérêts stratégiques non-européens et les soumettant aux lois extra-territoriales américaines (notamment).

Des propositions articulées en 5 piliers

Pour répondre à chacun de ces défis, nous avons proposé dans la roadmap une série de mesures, articulées autour de 5 "piliers", dont chacun vise un objectif précis :

  1. Développement technologique : Bâtir une fondation technique souveraine et interopérable.
  2. Développement des compétences : Créer le vivier de talents nécessaire pour faire fonctionner cet écosystème.
  3. Achat public : Utiliser la puissance de la commande publique comme levier d'adoption stratégique.
  4. Croissance et investissement : Mettre en place un environnement propice au financement et à la croissance des projets.
  5. Gouvernance et durabilité : Assurer la pérennité, la sécurité et le contrôle européen des initiatives clés.

Voici une sélection des propositions les plus structurantes, groupées par pilier :

Piller 1: Développement technologique

  • Appliquer des standards d'interopérabilité techniques (API, protocoles de transfert) réellement ouverts, gratuits, et implémentables sans restriction pour garantir une interopérabilité effective.
  • Créer et financer un Fonds de Souveraineté Européen pour l'Open Source (EOSSF), un fonds dédié pour soutenir durablement les projets libres jugés critiques pour l'infrastructure et l'autonomie de l'Europe. OpenForum Europe propose, par exemple, la création d'un fonds pour la souveraineté technologique européenne (EU Sovereign Tech Fund - EU-STF).
  • Produire des implémentations de référence complètes pour des secteurs clés (santé, administration…) basées exclusivement sur des briques logicielles libres européennes.

Pillier 2: Développement des compétences

  • Mettre en place des programmes de formation et de certification techniques reconnus au niveau européen (orchestration, sécurité, conformité RGPD) et axés sur les solutions libres européennes.
  • Intégrer les concepts du logiciel libre et de la souveraineté numérique dans les cursus d'ingénierie et d'informatique.

Pillier 3: Achat public

  • Adopter la politique « Public Money, Public Code, Open Source First, European Preference », rendant obligatoire la priorité aux solutions logicielles libres dans la commande publique, en y ajoutant une clause de préférence pour les projets d'origine européenne.
  • Établir des critères clairs pour définir un projet « Open Source Européen » (origine du développement, localisation de la gouvernance, communauté) afin de qualifier une solution et d'éviter le marketing trompeur.
  • Créer un référentiel public de solutions libres recommandées sur le modèle du SILL français, pour guider les acheteurs publics. NB: il en existe déjà un au niveau européen, mais qui le connait?

Pillier 4: Croissance et investissement

  • Développer une plateforme d'investissement (EOSIP), un portail centralisant toutes les aides (subventions, prêts, capital-risque) disponibles pour les projets libres européens.
  • Lancer une marque « European Open Source » pour promouvoir la visibilité et la crédibilité des projets respectant des standards élevés de qualité et de sécurité.

Pillier 5: Gouvernance et durabilité

  • Fournir des ressources pour la conformité réglementaire, notamment pour aider les projets libres (en particulier les PME et petites structures) à se conformer aux régulations comme le Cyber Resilience Act (CRA) sans freiner leur développement.
  • Créer un comité consultatif européen pour le logiciel libre, composé d'experts de l'industrie et de la communauté, pour superviser la stratégie de financement et de soutien.

Conclusion et appel à l'action

Face à 70 propositions, la première réaction peut être le scepticisme ou le sentiment d'impuissance. Ce serait une erreur de voir ce rapport comme un bloc monolithique à prendre ou à laisser. Il faut plutôt le considérer comme une boîte à outils : certaines actions sont politiques et nécessitent un appui fort ; d'autres sont techniques et peuvent être mises en œuvre de manière distribuée. Certaines sont des marathons structurels ; d'autres des sprints à l'impact rapide. Certaines ont un coût important, d'autres sont simplement un choix de réallocation de resources ou de changement de perspective.

La question n'est donc pas de savoir si tout sera appliqué, mais bien : par où commencer, et qui fait quoi ?

Ce rapport ne survivra pas au cynisme de salon. Dire que « ça ne marchera jamais » est la plus facile des prophéties auto-réalisatrices. La seule démarche constructive consiste à se demander : quelles sont les conditions de réussite pour les propositions qui nous semblent les plus critiques, et comment pouvons-nous, chacun à notre échelle, y contribuer ?

La question devient alors : que faire, concrètement ?

  • S'informer et maîtriser le sujet : Lire le rapport (au moins le résumé exécutif et les propositions qui vous concernent directement) pour pouvoir en parler avec précision.
  • Diffuser et interpeller : Faire connaître cette feuille de route. Contacter les élus (députés nationaux, européens) et les décideurs (dans l'administration, les collectivités territoriales ou les entreprises) pour leur demander de se positionner. Un plan d'action, même ébauché, ne vaut que s'il est connu de ceux qui peuvent le mettre en œuvre.
  • Participer et apporter l'expertise technique : Suivre les consultations publiques de la Commission européenne ou s'enregistrer comme expert lorsque c'est pertinent. Y répondre est une occasion d'injecter une expertise technique de terrain dans le processus réglementaire.
  • Décliner : Traduire les principes de la feuille de route en actions locales. Que ce soit au sein de son entreprise, de son administration ou de sa collectivité, il est possible d'adapter les recommandations : évaluer sa propre dépendance technologique, monter un programme de formation interne, ou proposer un schéma directeur et une politique d'achat favorisant l'ouverture et l'interopérabilité. Il s'agit de rendre la démarche opérationnelle sur son propre terrain.
  • S'engager et construire : Soutenir les organisations qui portent ces combats au niveau européen (APELL, FSFE, OSI, OpenForum Europe, etc.). Et surtout, contribuer directement et soutenir les projets de logiciels libres ou autour du libre européens qui sont au cœur de cette stratégie.

Annexe: la liste des 70 propositions

Voici la liste complète des propositions de la feuille de route, traduites en français et toujours organisées par pilier.

Pilier 1 : Développement Technologique

  • Définir des spécifications techniques en tant que standards ouverts pour les environnements cloud, edge et IoT Open Source européens.
  • Financer des projets pilotes d'interopérabilité qui privilégient l'utilisation des technologies Open Source européennes.
  • Exiger que tous les projets d'infrastructure numérique financés par l'UE adhèrent à ces standards d'interopérabilité.
  • Promouvoir et imposer la mise en œuvre de standards ouverts dans toute l'UE.
  • Créer un "Fonds de Souveraineté Open Source Européen" (EOSSF) dédié aux projets essentiels.
  • Offrir des subventions ciblées pour la sécurité, la maintenance et le renforcement de la souveraineté des projets Open Source.
  • Favoriser une collaboration approfondie avec les institutions universitaires européennes et les bureaux de programmes Open Source (OSPO).
  • Développer un guide pratique pour les responsables des marchés publics afin d'évaluer les solutions Open Source européennes.
  • Créer des architectures de référence spécifiques à chaque secteur basées sur les technologies Open Source européennes.
  • Lancer des projets de démonstration à grande échelle pour illustrer les avantages pratiques des solutions Open Source européennes.
  • Produire et distribuer des "guides pratiques" ("playbooks") complets pour le déploiement de solutions Open Source européennes.
  • Mettre en œuvre des politiques pour encourager activement l'adoption de ces implémentations de référence dans les marchés publics.

Pilier 2 : Développement des Compétences

  • Organiser des ateliers de formation axés sur l'industrie avec un accent européen sur les outils et plateformes Open Source.
  • Offrir des subventions de formation ciblées aux PME et aux organismes du secteur public pour le perfectionnement en Open Source européen.
  • Lancer des programmes de certification pour la maîtrise des technologies et des standards Open Source européens.
  • Mettre en place des programmes de reconversion financés par l'UE pour aider les professionnels à se tourner vers des rôles Open Source européens.
  • Collaborer avec des partenaires industriels pour créer des opportunités d'apprentissage pratique et de placement dans l'Open Source.
  • Offrir des incitations financières aux entreprises qui participent à des programmes de reconversion et utilisent l'Open Source européen.
  • Développer une plateforme de ressources Open Source européenne regroupant du matériel de formation, des bonnes pratiques et des études de cas.
  • Intégrer les principes de l'Open Source européen dans les cursus STIM (Sciences, Technologie, Ingénierie et Mathématiques) du secondaire à l'université.
  • Soutenir la création de "centres d'excellence" Open Source européens dans les universités.
  • Développer des concours de codage et des hackathons à l'échelle de l'UE axés sur les solutions Open Source européennes.
  • Introduire une formation sur les modèles économiques de l'Open Source européen dans la formation professionnelle.
  • Créer des modules de formation professionnelle pour la gestion de projet Open Source européen.
  • Établir une certification pour la maîtrise des compétences commerciales liées à l'Open Source européen.

Pilier 3 : Pratiques d'Achat Public

  • Lancer une consultation avec les organismes du secteur public et les fournisseurs Open Source pour identifier les défis liés aux marchés publics.
  • Rendre obligatoires les politiques "Argent Public, Code Public, Open Source d'Abord, Préférence Européenne" dans les marchés publics.
  • Élaborer des lignes directrices complètes pour les marchés publics afin d'évaluer et de sélectionner les solutions Open Source européennes.
  • Financer des projets de démonstration montrant le succès du remplacement de systèmes propriétaires par l'Open Source européen.
  • Établir des critères clairs pour définir ce qui constitue une solution Open Source "européenne".
  • Fournir un guide pratique aux responsables des marchés publics pour évaluer les solutions Open Source.
  • Collaborer avec l'industrie et les organismes de normalisation pour développer des critères d'évaluation accessibles pour l'Open Source.
  • Créer un répertoire public des solutions Open Source européennes recommandées.
  • Encourager les organismes du secteur public à adopter les solutions développées dans le cadre de l'initiative "Next Generation Internet" (NGI).
  • Lancer des projets transfrontaliers d'achats pré-commerciaux (PCP) axés sur l'Open Source européen.
  • Créer des plateformes de partage de connaissances pour les retours d'expérience des initiatives PCP et les bonnes pratiques Open Source.
  • Impliquer activement les fournisseurs Open Source européens dans la co-conception de solutions dans le processus PCP.
  • Publier des lignes directrices pour aider les organisations du secteur public à gérer et soutenir l'Open Source européen.
  • Promouvoir la participation active des représentants du secteur public dans les communautés Open Source européennes.
  • Soutenir des programmes de formation pour le personnel du secteur public sur la gestion de projet et la conformité Open Source.
  • Engager les parties prenantes pour affiner et simplifier de manière collaborative les pratiques d'achat pour l'Open Source.

Pilier 4 : Croissance et Investissement

  • Créer une Plateforme d'Investissement Open Source Européenne (EOSIP) pour centraliser les informations sur le financement.
  • Organiser des ateliers d'information pour les PME et startups européennes sur la manière d'obtenir des investissements.
  • Établir des partenariats avec des investisseurs privés pour former un réseau de fonds de capital-risque axés sur l'Open Source européen.
  • Étendre l'initiative "Next Generation Internet" (NGI) en mettant l'accent sur le cloud, l'edge et l'IoT Open Source.
  • Évaluer régulièrement l'impact des programmes de financement sur la croissance des communautés et l'adoption par le marché.
  • Allouer un financement dédié aux projets Open Source européens à fort impact qui répondent à des besoins stratégiques.
  • Développer des modèles de co-investissement qui associent des fonds publics à des investissements du secteur privé européen.
  • Lancer des accélérateurs et des incubateurs spécialement conçus pour les technologies Open Source européennes.
  • Développer une stratégie de marque à l'échelle de l'UE pour souligner la qualité et la souveraineté de l'Open Source européen.
  • Mettre en valeur les succès de l'Open Source européen sur des plateformes internationales par le biais de campagnes marketing.
  • Former des partenariats stratégiques avec les organisations industrielles européennes pour accroître la visibilité des projets.
  • Mettre en place des consortiums de R&D public-privé sur l'Open Source européen pour les projets hautement prioritaires.
  • Offrir des incitations aux contributions du secteur privé à des initiatives Open Source européennes critiques.
  • Développer des plateformes d'échange de connaissances et de collaboration intersectorielle au sein de l'écosystème européen.

Pilier 5 : Gouvernance

  • Mener des évaluations de vulnérabilité pour les projets Open Source européens critiques.
  • Collaborer avec les agences européennes de cybersécurité pour développer des modèles de menace pour les environnements Open Source.
  • Publier les conclusions et les bonnes pratiques des évaluations de sécurité auprès de l'écosystème européen.
  • Offrir des conseils de conformité sur mesure pour aider les projets Open Source européens à naviguer dans les réglementations de l'UE.
  • Faciliter l'accessibilité à la certification du "Cyber Resilience Act" (CRA) pour les projets Open Source européens.
  • Fournir des ressources et un soutien pour la documentation et l'audit des projets européens.
  • Assurer un financement stable et à long terme pour l'infrastructure Open Source européenne de base.
  • Mettre en place des programmes de mentorat axés sur le développement de talents européens pour les projets critiques.
  • Créer un Conseil Consultatif de l'Open Source Européen pour superviser le financement et l'orientation des projets.
  • Exiger que les projets européens soutenus par l'UE adhèrent à des pratiques de gouvernance et de responsabilité transparentes.
  • Soutenir l'implication de la communauté européenne dans la gouvernance des projets Open Source.
  • Faciliter la contribution de la communauté à l'élaboration des politiques européennes relatives à l'Open Source.
  • Publier des lignes directrices sur les bonnes pratiques pour la gestion du cycle de vie des projets Open Source européens.
  • Offrir des ressources pour la maintenance et le support de fin de vie responsable des projets européens.
  • Encourager une documentation complète et le partage des connaissances au sein de l'écosystème européen.

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Reçu avant avant-hier

Au source du fun N° Zéro : retrouver le fun dans le libre

La plupart des logiciels libres sont devenus indispensables dans la vie professionnelle des gens sérieux qui perdent leur vie à la gagner.

Heureusement la productivité n’est pas une fatalité. Avec Au source du fun, LinuxFr.org inaugure une série de dépêches pour les gens marrants qui veulent perdre leur temps sans gagner leur vie !

Ce premier épisode traite des inutilitaires dans le libre. Il est conseillé de le consulter pendant un temps parfaitement inutile telle que la réunion du comité exécutif sur la stratégie IA de votre entreprise.

Sommaire

Je (NdM : chilinhualong) médite souvent sur cette dualité de notre époque hyper moderne : nos machines n’ont jamais été aussi puissantes, et pourtant, nous n’avons jamais été aussi prisonniers de leurs schémas de demande de productivité au détriment d’une certaine liberté d’exister. Chaque clic doit servir à quelque chose, chaque touche pressée doit justifier son existence. Mais il fut un temps où l’on savait encore jouer avec les ordinateurs — comme des enfants jouent avec des boîtes en carton — pour le simple plaisir de l’exploration.

Je me souviens de ces après-midi perdus à cliquer sur des programmes qui ne servaient à rien et qui transformaient le clavier en instrument désaccordé ou dessinaient des fractales hypnotiques. On appuyait sur Échap et il ne se passait… rien… de sérieux. Il restait juste ce sourire idiot, comme lorsqu’on trouve un caillou parfaitement lisse sur le sentier du hasard.

J’ai l’impression, dans la même perspective qu'Eugène Ionesco* et Nuccio Ordine, que ce qu’on nomme « inutile » est souvent ce qui nous touche le plus. Un poème. Un rayon de soleil dans une tasse vide. Un programme open-source qui n’offre rien d’autre qu’une expérience qui nous rappelle notre capacité à nous émerveiller. Ainsi, l’autre jour, j’ai repensé à l’arbre de Zhuangzi, celui qu’on n’abattit pas parce que « trop tordu pour être utile ». Comme lui, des logiciels non-productivistes ont existé précisément parce qu’ils refusaient la logique du rendement.

« *Si on ne comprend pas l’utilité de l’inutile, l’inutilité de l’utile, on ne comprend pas l’art ; et un pays où l’on ne comprend pas l’art est un pays d’esclaves et de robots, un pays de gens malheureux, de gens qui ne rient pas ni ne sourient, un pays sans esprit ; où il n’y a pas l’humour, où il n’y a pas le rire, il y a la colère et la haine »Ionesco

Je revois :

  • L’Amiga, boîte magique dont chaque registre électronique faisait jaillir des vitraux numériques étincelants — où le #FF00FF n’était pas une simple valeur hexadécimale, mais la pourpre même de quelque adolescence éternelle retrouvée sur Aminet.

  • Les soundtrackers, laboratoires de sons modulaires où nous apprenions, comme des enfants maladroits devant un piano désaccordé, que la musique naît d’abord des contraintes — ces boîtes à rythmes qui clignotaient dans la pénombre des chambres d’étudiant, démiurges d’un futur artistique encore à explorer.

  • Les démos minimalistes, merveilles cousues dans l’étroit habit du kilooctet, où chaque opcode était un ciselé économe dans le minimum de mémoire d’une disquette 1,44 mégaoctet — ainsi la démonstration tenait sur l’équivalent d’un mouchoir de poche numérique.

  • Les jeux faits maison /Homebrew/, bâtards glorieux nés d’un « goto » mal placé et d’une nuit sans sommeil, où le hasard des bugs engendrait des monstres plus charmants que toutes les mécaniques bien huilées — ces bugs qui devenaient des fonctionnalités.

  • L’art ASCII, calligraphie de l’ère du terminal – où chaque caractère est un coup de pinceau, et chaque ligne un sourire qui charge en 256 caractères

  • Les inutilitaires, ces petits riens qui valaient tous les logiciels sérieux — parce qu’ils ne servaient à rien, justement, et qu’en cela ils ressemblaient aux poèmes, aux baisers, aux collections de cailloux dans les poches des enfants.

« Au Source du Fun » – ce titre, ce sont ces cailloux tombés dans nos poches « au petit bonheur la chance », un petit rappel de ces jours où l’informatique sentait encore l’aventure. Où l’on ouvrait un programme comme on ouvre un livre trouvé par hasard, sans savoir quelle histoire il allait nous raconter.

Ainsi, cher Journal, nous (Devnewton & ChilinHuaLong) te proposons cette fois-ci de revisiter les sources du fun via ces inutilitaires oubliés, et nous laisser surprendre. Sans objectif. Sans KPI. Juste pour le plaisir de (re)voir ce qui arrive. Revoir ces résistants numériques qui furent au code ce que les situationnistes furent à la ville : des semeurs de trouble bienveillants.

L’ASCII art, entre calligrammes numériques et typogrammes icôniques.

À l’aube de l’informatique, les écrans n’affichaient que du texte (ASCII), sans images ni sons. On était encore loin de l’âge du multimédia, pourtant anticipé par McLuhan, et des outils open source comme Blender, Gimp ou Inkscape, qui ont donné naissance à des œuvres tels que Flow,Elephants Dream, Big Buck Bunny… Le clavardage était déjà de rigueur, et les salons IRC et les BBS fleurissaient. Ainsi vint le succès des émoticônes ;-) : ces caractères prirent leur envol grâce à la communication textuelle virtuelle.
Ensuite, vinrent l’art ASCII (ou ASCII art), qui consiste en une succession de caractères de la table ASCII formant une image intelligible. Les artistes numériques et autres hackers rivalisaient d’ingéniosité pour afficher sur l’écran ces œuvres cyber-expressionnistes. La demoscene a aussi récupéré cette nouvelle forme d’art.
Bien que l’on distingue rarement l’ASCII art en catégories comme on le ferait en peinture, deux « courants » divergents :

  • Les œuvres "réalistes" sous forme de calligrammes, qui s’inspirent de médias antérieurs (photos, dessins animés, 3D, bandes dessinées, logotypes, films) et substitue des groupes de pixels par des caractères ASCII.
  • Les œuvres "schématistes" : les caractères forment des typogrammes, schémas iconiques dont les smileys qui représentent des émotions sous leurs formes les plus simples.

Pour l’approche schématique, chaque caractère compte autant par son essence que par sa forme. En revanche, les approches réalistes ne considèrent que la silhouette d’ensemble : on peut y échanger des lettres comme remplacer tous les v par des b sans bouleverser l’image. À l’inverse, dans une émoticône – forme minimale –, modifier un seul signe déplace toute la signification.

Entre ces deux pôles s’étend une palette de degrés : nous explorerons ces nuances à travers les inutilitaires libres

ASCII art schématique


SL

L’inutilitaire sl sort du lot. En effet, il offre un clin d’œil amusant aux dyslexiques ou aux utilisateurs maladroits avec leur clavier en affichant un train ASCII traversant le terminal. Derrière cette animation se cache une parodie de la fameuse commande ls (listing) : ici, le nom est inversé, et le programme affiche une locomotive filant à toute allure, avertissant l’utilisateur qu’une faute de frappe a provoqué cette inversion de lettres.

SL Train


Cbonsai

Envie de cultiver un bonsaï, mais vous n’êtes pas un expert en jardinage ? cbonsai est là pour vous ! Ce programme permet de faire pousser un bonsaï directement dans votre terminal. Un petit projet zen pour adoucir vos sessions de travail.

CBonsai Zen


Asciiquarium

Si vous aimez les poissons mais que votre appartement est déjà trop plein d’animaux (chat, chien, hamster…), Asciiquarium vous permet de créer un aquarium animé dans votre terminal. C’est comme avoir un petit coin de nature, sans les inconvénients du bruit des poissons.

Asciiquarium


Moon-Buggy

Certains jeux ont ainsi été conçus, comme le célèbre nethack, Moon-Buggy, lui aussi, possède un graphisme réduit à sa plus simple expression. Vous incarnez un pilote de véhicule lunaire qui doit éviter les cratères et détruire les rochers. La jouabilité est bonne, et celui-ci garde le charme de son gameplay. Ce jeu est une version ASCII de Moon Patrol, un classique de l’arcade des années 80.

Moon Buggy


Hollywood Hacker Screen Style

Dans presque tous les films hollywoodiens, on voit des hackers tapant sur leur clavier, entourés de lignes de code, de diagrammes et de chiffres qui défilent rapidement sur un terminal. On va recréer cette scène culte dans la réalité grâce à un outil simple qui transforme votre terminal Linux en un véritable terminal de hacking à la Hollywood, en temps réel.

Hollywood Hacker Screen Style


Cmatrix

Dans la continuité de l’esprit de la représentation hollywoodienne du hacker, un inutilitaire s'inspirant de Neo vous est proposé. Ainsi, si vous avez aimé le film Matrix — ou du moins si l’idée de voir des caractères verts tomber à toute vitesse sur votre écran vous amuse — cmatrix vous permet de recréer cette animation. À vous de jouer pour vous glisser dans la peau de Keanu Reeves, avec des lunettes noires et un air aussi expressif qu’un parpaing.

cmatrix


Lolcat

Lolcat est une commande qui fonctionne comme cat pour afficher du texte dans le terminal, mais avec une particularité : le texte s’affiche en couleurs arc-en-ciel, façon mème Internet. Parfait pour égayer un monde de terminal parfois bien trop monotone.

lolcat


L’ASCII art schématique dans les descriptifs et les commentaires de codes sources

Qu’il s’agisse d’un terminal austère, d’un LISEZMOI / README oublié, des fichiers ID.DIZ retrouvés sur disque dur, des commentaires perdus dans un code source, ces dessins ASCII ne se contentent pas d’être décoratif — ils sont une rébellion contre la platitude du texte brut.

Boxes

Boxes apporte une touche d’élégance aux interfaces texte en générant des cadres sophistiqués, allant du simple rectangle épuré aux motifs plus élaborés. Cet outil permet de mettre en valeur des titres, des messages ou des éléments clés, transformant ainsi une sortie console ordinaire en une présentation soignée. Une solution discrète mais efficace pour ajouter du relief visuel à l’environnement terminal, tel que par exemple le code source de l’Ascii calendrier Snoopy - repris dans l’historiographie du MIT Press - .



 __   _,--="=--,_   __
         /  \."    .-.    "./  \
        /  ,/  _   : :   _  \/` \
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         `-'| :="~` _ `~"=: |
                 (_)     `/
     .-"-.   \      |      /   .-"-.
.---{     }--|  /,.-'-.,\  |--{     }---.
 )  (_)_)_)  \_/`~-===-~`\_/  (_(_(_)  (
(        Different all twisty a         )
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(           passages little.            )
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Figlet

Fan d’ASCII art qui a du style ? Figlet est fait pour vous ! Ce petit malin transforme vos mots en typographies géantes et stylées, façon panneau publicitaire rétro. Avec sa collection de polices variées, créez des designs qui claquent en une seule commande – parfait pour pimper vos scripts ou égayer un terminal trop sérieux.

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figlet

L’approche réaliste de l’ASCII art

asciiPrime : où l’art mathématique rencontre l’ASCII

Ce logiciel ingénieux ne se contente pas de convertir des images en art ASCII – il les transforme en nombres premiers. Chaque pixel devient une donnée numérique, chaque caractère un chiffre, pour former une œuvre unique… et mathématiquement certifiée.

Comment ? Grâce au test de primalité de Rabin-Miller décrit dans The Art of Computer Programming de Knuth. Un mélange surprenant de créativité visuelle et de rigueur algorithmique.

asciiPrime


La Demo BB et sa AALib

L’art ASCII s’est largement répandu dans les cercles des demo-makers, ces passionnés qui ont repoussé les limites artistiques et techniques de ce médium. Ainsi, une démo particulièrement aboutie, mêlant selon la tradition musique électronique, animations et programmation, offre un spectacle visuel remarquable. Cette création nous entraîne dans un voyage qui semble tout droit sorti d’un Alice au pays des merveilles psychédélique. L’anecdote historique de la démo BB est liée à la volonté d’afficher un logo sous GNU/Linux :

Tout commença lorsque deux amis, férus d’informatique, souhaitèrent afficher un logo Linux sur leurs vieux écrans Hercules.
Problème : ces écrans monochromes ne supportaient pas la couleur. Pour contourner cette limitation, ils tentèrent une conversion en ASCII art… avec un premier résultat désastreux. L’un d’eux développa alors un nouvel algorithme pour optimiser la conversion.
Plus tard, en travaillant sur XaoS (un visualiseur fractal), l’idée d’appliquer l’ASCII art aux ensembles de Mandelbrot émergea - avec un rendu stupéfiant ! La bibliothèque AA venait de naître et la démo BB par la suite.

BB

zebra : BB Wiki

BB 3

BB4


Libcaca : quand le cinéma ASCII devient un acte Dadaïste contemporain

Dans la même tendance que la demo BB, la bibliothèque libcaca a été créée pour pousser le concept plus loin. Son objectif ? Rendre les sorties console non seulement lisibles, mais véritablement artistiques, en ajoutant couleurs et effets visuels là où l’ASCII classique se limitait au noir et blanc. Une façon de transformer un terminal austère en une toile numérique vibrante !

La véritable innovation de Libcaca réside dans son inutilité assumée sous forme de manifeste artistique, comme l'expliquent ces déclarations de son auteur :

« Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !

Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! »


— Edmond Rostand, *Cyrano de Bergerac*

« Je sais parfaitement que Libcaca est aussi futile qu’il n’y paraît. Inutile de me le rappeler. Je vous invite à lire la préface de Théophile Gautier pour *Mademoiselle de Maupin*, qui explique par ailleurs excellemment l’origine du nom « libcaca » :

« Il n’y a rien de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin ; et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. — L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines. »

Théophile Gautier

Ainsi, par extension de l’esprit subversif de Libcaca, l’intégration de cette bibliothèque dans Mplayer reflète bien plus qu’une simple fonctionnalité – ce serait un véritable manifeste psychédélique. Ce module transforme radicalement l’expérience cinématographique en une performance absurde où les films deviennent des énigmes ASCII. Comme l’aurait probablement proclamé Tristan Tzara s’il avait été développeur :

«  Nous n’avons pas besoin de voir les films, nous voulons les deviner ! »

Dans cette logique, Libcaca opère un détournement radical de la perception visuelle : la vidéo devient une composition en caractères, où chaque image se transforme en message cryptique. Les couleurs, vives mais aléatoires, les formes, reconnaissables mais floutées, créent une tension permanente entre ce qui est perçu et ce qui est imaginé. « Nous avons réinventé le cinéma pour ceux qui préfèrent lire leurs films », confesseraient le réalisateur surréaliste Luis Buñuel Portolés et le peintre Salvador Dalí après leurs experimentations de cette bibliothèque sur leur chien andalou :) .

Cette bibliothèque répond avec ironie à une question que personne ne s’est encore posé :

Comment regarder un film sans être distrait par l’image ?

En hommage à Malevitch et son Carré noir, aux situationnistes et leur détournement, à nos vieux écrans CRT évoqués par les auteurs de BB qui tenaient vingt ans, Libcaca nous offre le cinéma du moins : moins de définition, moins de réalisme, mais infiniment plus de possibilités interprétatives. Car c’est bien là l’effet du projet : Libcaca loin de dévoiler l’image, il en déplace le langage. Les visages deviennent des motifs abstraits, les paysages des compositions géométriques. Le spectateur, autrefois passif, devient co-créateur, projetant ses propres visions sur cette toile numérique mouvante.

Dès lors, cette approche s’inscrirait naturellement dans la pure tradition Dada. Il suffirait de suivre une démarche minimale :

  1. Choisir un film complexe (Un Holy Mountain (1973) de Alejandro Jodorowsky fonctionnerait à merveille)
  2. Exécuter la commande sacrée : mplayer -vo caca The_Holy_Mountain.avi
  3. Contempler l’œuvre qui émergerait, mi-code, mi-poésie visuelle
  4. Documenter soigneusement les hallucinations provoquées

Ainsi, « La beauté est dans l’œil de celui qui… se force beaucoup » pourrait murmurer un critique d’art néo-classique après trois heures de cette expérience :P De plus, comme toute œuvre Dada qui se respecte, le résultat défie les conventions, ce même critique médusé se demanderait :

Est-ce encore du cinéma ? De l’art numérique ? Une blague de programmeur ?

La réponse importe finalement peu, tant l’expérience elle-même prime – cette confrontation joyeuse avec l’absurde technologique. Après tout, comme le rappelait Marcel Duchamp : « L’art est un jeu entre tous les hommes de toutes les époques. » , Libcaca est simplement la déclinaison contemporaine… en mode texte. In Fine, cette expérience nous invite aussi à reconsidérer notre rapport à l’image à l’ère du tout-HD, faisant de chaque projection une occasion unique où l’imagination du spectateur retrouve ses droits face à la perfection technique.

En guise de conclusion, dans l’hypothèse où McLuhan tel un observateur critique de cet art multimédia avait analysé « Libcaca » il aurait probablement conclue que :

« L'ordinateur, est le medium cool par excellence, il ne révèle son pouvoir hallucinogène que lorsqu’on ose y entrer en dialogue - Libcaca est l’anti-cinéma qui transforme la salle obscure en terminal psychédélique, il nous invite à devenir les programmeurs de nos propres hallucinations. Chaque interaction est un plan coupé dans le film total de la réalité. Ce que Buñuel faisait avec des rasoirs sur des yeux de film, Libcaca le fait avec de l’ASCII sur nos rétines numériques. . »

Mplayer.Libcaca

Mplayer.Libcaca2


Les inutilitaires en traits d’esprit

Fortune, un biscuit chinois dans le terminal

Comme les fameux biscuits des restaurants chinois (ou fortune cookies en anglais), fortune glisse dans votre terminal des pépites inattendues de sagesse ancestrale ou humour geek. Ces messages prennent des airs de petits vœux — bénédictions technologiques entre deux ls et grep. Ainsi, chaque connexion devient une surprise. Le plus charmant ? On peut y ajouter ses propres phrases : répliques de films, citations philosophiques ou pensées vagabondes…

« La route vers l’enfer est pavée de commandes sudo. »

« sudo rm -rf / : la recette moderne du néant »

Ces fortunes peuvent se voir combinées avec le logiciel cowsay, qui donne un phylactère de bande dessinée à une vache, à Tux (ou à toute autre variante disponible dans la bibliothèque). Parce qu’un terminal avec une âme, c’est tout de suite plus chaleureux.


+----------------------------+
| Moo may represent an idea, |
|  but only the cow knows.   |
+----------------------------+
        \   ^__^
         \  (oo)\_______
            (__)\       )\/\
                ||----w |
                ||     ||



Pyjoke
$ pyjoke 
« C'est C++ qui dit à C: 'Voyons ! Tu n’as pas de classe' »,


$ pyjoke 
If you put a million monkeys at a million keyboards, one of them will eventually write a Java program. The rest of them will write Perl.

Comme son nom l’indique, pyjoke permets d’afficher des blagues. Malheureusement, il y en a peu en français. Peut-être que les moules pourraient y contribuer ?


Fin de piste

Ce petit tour d’horizon – bien trop court pour être complet – aura peut-être réveillé cette étincelle qui nous faisait autrefois sourire devant l’étrange, le décalé et la beauté brute de l’ASCII art sous forme d’inutilitaires. Une manière de retrouver cet émerveillement espiègle face à des logiciels absurdes, qui ne servent à rien… si ce n’est qu’à exister, simplement parce que pourquoi pas ?

Linus Torvalds souligne avec humour que : « Le principal défi de la conception… c’est que Linux est censé être ludique… » – une pensée au cœur du libre qui réarticule sous un jour nouveau ce précédent aphorisme du théoricien du village global, McLuhan : « Prendre terriblement au sérieux de simples choses de ce monde (globalisé) trahit un défaut de lucidité. ».
Ainsi, Linus Benedict Torvalds rappel avec cette lucidité que le libre puise aussi sa source dans cette simple approche philosophique : « just for fun ».

 fortunes.cookies

Pour aller plus loin à skis

En 2023, le MIT press a publié un ouvrage nommé « From ASCII Art to Comic Sans: Typography and Popular Culture in the Digital Age » (avec version Open Access) retraçant cette historiographie trop souvent oubliée de l’ASCII art. L’autrice Karin Wagner y explore l’art des machines à écrire (pré-ASCII) jusqu’à ses déclinaisons contemporaines, avec un détour savoureux par Comic Sans — cette police que tout le monde adore détester. Cette plongée au croisement de trois champs (informatique, typographie et culture pop ex: Calendrier Snoopy en Ascii art) réhabilite ces oubliés de l’histoire comme éléments clés de notre expérience numérique, héritiers de l’esprit libertaire des premiers hackers. L’analyse du rejet de Comic Sans, devenu un phénomène culturel s’étendant jusqu’au domaine politique, est particulièrement éclairante.

Ainsi, devant la standardisation de la création de notre époque, ces artisanats « inutiles » prennent une nouvelle résonance. Comme l’arbre de Zhuangzi sauvé pour son inutilité, l’ASCII art et Comic Sans rappellent que la vraie innovation naît souvent du détournement , de la liberté créative et des contraintes. Leur persistance dans la culture numérique — des forums underground aux protestations politiques — interroge nos obsessions productivistes et célèbre la beauté des formes simplement imparfaites… Ces pratiques nous rappellent que le numérique gagne à conserver ces espaces de liberté et d’imperfection créative — comme autant de contrepoints nécessaires à la standardisation croissante de nos outils et imaginaires mis sous pression par les monopoles hyper-modernes que sont ces géants GAFAM.

Source :

Command Line Fun
Forum Linux Mint

Snoopy

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