Jean-Louis Debré : « Je me méfie des professionnels de la politique »
Pour le lancement du cycle de confĂ©rences « UniversitĂ© des savoirs partagĂ©s », lâUPHF avait invitĂ© un tĂ©moin de choix sur la vie des institutions politiques françaises. En effet, Jean-Louise DebrĂ© nous a livrĂ© les tenants et les aboutissants sur la constitution de la VĂšme rĂ©publique, sa force, son fondement, et ses dĂ©rives actuelles, voire les modifications souhaitĂ©es
Cette confĂ©rence inaugurale Ă©tait lancĂ©e par Arnaud Huftiez, vice-prĂ©sident en charge de la culture est de la citoyennetĂ© : « Ce 1er cycle des confĂ©rences des savoirs partagĂ©s est une volontĂ© du prĂ©sident Artiba afin de croiser les regards, les publics, sur des sujets de rĂ©flexion. Notre premier sujet est « La VĂšme RĂ©publique, des institutions Ă lâĂ©preuve du temps » pour lequel nous avons sollicitĂ© Jean-Louis DebrĂ© ».
Difficile de faire mieux comme CV, ancien magistrat spĂ©cialisĂ© dans la lutte contre le grand banditisme et le terrorisme, ancien ministre de lâintĂ©rieur, ex PrĂ©sident de lâAssemblĂ©e nationale, et ancien PrĂ©sident du Conseil constitutionnel, Jean-Louis DebrĂ© devant un amphithĂ©Ăątre copieusement garni par des Ă©tudiants et de nombreuses personnalitĂ©s du Grand Hainaut, fils du rĂ©dacteur de la constitution de la VĂšme rĂ©publique, Michel DebrĂ©, plante le dĂ©cor dâentrĂ©e : « Je suis lĂ pour vous dire Ma vĂ©ritĂ© et ce nâest pas La vĂ©ritĂ© ; comme disait Anatole France â enrichissez-vous de la vĂ©ritĂ© des autres ».
La VÚme République instrument de stabilité ?
Jean-Louis DebrĂ© entame par la genĂšse de ce document socle de notre RĂ©publique. Il rĂ©fute en bloc « tout texte Ă©crit pour De Gaulle, mais pour la France ». Ensuite, il pointe du doigt lâinstabilitĂ© chronique de la IVĂšme rĂ©publique avec en moyenne 6 mois dâexistence pour un gouvernement. « CâĂ©tait la crise permanente. Pour voter le budget, on devait parfois arrĂȘter le temps le 31 dĂ©cembre Ă minuit durant 3 Ă 4 jours afin de trouver un compromis », ajoute-t-il.
Clairement, cette constitution de la VĂšme RĂ©publique a Ă©tĂ© taillĂ©e « pour Ă©viter les crises institutionnelles Ă travers son article 19. Le PrĂ©sident a le droit de dissolution de lâassemblĂ©e nationale, il nomme le 1er ministre, et il peut saisir le Conseil constitutionnel sur une loi. Enfin, il Ă©tait Ă©lu pour 7 ans, gage de continuitĂ© de lâEtat ». Bien sĂ»r, la crĂ©ation du Conseil constitutionnel, autoritĂ© suprĂȘme garantissant le respect de la Constitution et notamment des droits et des libertĂ©s, Ă©tait Ă©galement une innovation au sein de cette constitution dont nous venons de fĂȘter le 65Ăšme anniversaire le 04 octobre dernier. La preuve par lâexemple, durant les cohabitations « ça a fonctionnĂ© ! ».
Le parallĂšle avec la situation que nous vivons avec une majoritĂ© relative est Ă©vident. En effet, la majoritĂ© relative du parti prĂ©sidentiel ne serait-il pas un symptĂŽme dâune crise institutionnelle permanente Ă ce stade oĂč personne ne fait de compromis sur les grands textes de lois ?
Enfin, les hommes de lois le savent, le pĂšre de la QPC (Question Prioritaire de ConstitutionnalitĂ©) est Jean-Louis DebrĂ©. Cette possibilitĂ© pour un justiciable, depuis le 01 mars 2010, de poser une QPC afin de savoir si la loi applicable Ă son endroit est conforme, ou pas, Ă la constitution. « CâĂ©tait une rĂ©volution Ă lâĂ©poque ! », explique-t-il.
Autre temps, autre comportementâŠ
Lâancien PrĂ©sident de lâAssemblĂ©e nationale est consternĂ© par la pratique parlementaire actuelle. « MĂȘme avec des membres de lâopposition comme, sur ce territoire, Alain Bocquet et feu Patrick. Roy, nous avions des Ă©changes et du respect. Nous pouvions trouver des accords politiques. Aujourdâhui, la politique est devenue un mĂ©tier de spectacle. Câest de la com, on cherche la bonne formule uniquement et plus un dĂ©bat sur le fond ».
Le pendant est Ă©galement lâinflation des textes de lois et des dĂ©crets dâapplications, etc. En 2002, plus de 52 000 lois, en 2021, plus 86 000 lois et dans la mĂȘme tonalitĂ© pour les dĂ©crets. Il rappelle en mĂȘme temps lâutilitĂ© dâun dĂ©cret, car « sous la IVĂšme rĂ©publique, les dĂ©putĂ©s votaient pour tout, la composition dâun saucisson, lâautorisation dâachat de soutien-gorge pour les femmes militaires. Non, lâAssemblĂ©e nationale doit voter des lois importantes, essentielles ; trop de lois, trop de textes », ajoute-t-il.
Jamais avare de quelques saillies dont il a le secret, il rĂ©vĂšle certains travers politiques en lien avec lâactualitĂ©. En effet, la prochaine « Loi immigration » sera incessamment sous peu Ă©tudiĂ©e par le Parlement, et ce sera « le 29Ăšme texte, elle a Ă©tĂ© modifiĂ©e 18 fois entre 1996 et 2021. Lorsque jâĂ©tais prĂ©sident du Conseil constitutionnel, on mâamĂšne un nouveau texte avec lâargument que la loi nâa pas donnĂ© les effets escomptĂ©s⊠sur lâimmigration illĂ©gale ! Les sages travaillent et constatent que les dĂ©crets de la derniĂšre loi nâont pas Ă©tĂ© passĂ©s », tance Jean-Louis DebrĂ©.
Ses convictions dâHomme dâEtat
Dâabord, il tacle sans concessions lâutilisĂ© du CESE, car ses membres « nâont pas la lĂ©gitimitĂ© du suffrage universel. A quoi sert-il ? ». Il est contre le « vote obligatoire, câest dangereux dans une dĂ©mocratie ». Il rappelle sa position constante sur le quinquennat : « Câest une erreur politique, mais ce choix Ă©tait considĂ©rĂ© comme moderne, Pompidou le voulait, comme Giscard, Mitterrand, Jospin, et Chirac lâa rĂ©alisĂ© ! ». Et sur le mĂȘme registre « pourquoi limiter le nombre de mandats pour un PrĂ©sident de la RĂ©publique. Vous rĂ©duisez son action Ă travers cette incapacitĂ©. Dâailleurs, vous voyez que les futurs candidats (de la majoritĂ©) se dĂ©chirent dĂ©jà ».
A une question pertinente sur la prise en compte du vote blanc, il met en exergue le danger absolu de cette hypothĂšse. « Elle mettait lâĂ©lu.e en difficultĂ©. Lâopposition pourrait lui indiquer Ă chaque fois que la somme des voix de lâopposition, plus les votes blancs, font de lui un Ă©lu ou une Ă©lue minoritaire. Il ou elle perdrait de la lĂ©gitimitĂ© ! ».
Enfin, il fustige le non cumul des mandats. « Certes, il est possible de le limiter. Mais, vous avez certains parlementaires complĂštement dĂ©connectĂ©s de la rĂ©alitĂ© du terrain. Ensuite, je me mĂ©fie des professionnels de la politique. Il me paraĂźt essentiel quâun parlementaire est exercĂ© un mĂ©tier avant son mandat ».
La prochaine confĂ©rence de « lâUniversitĂ© des savoirs partagĂ©s » est consacrĂ©e à « lâunivers carcĂ©ral, au delĂ des fantasmes », par Plana Radenovic, Ă©crivaine et journaliste, le jeudi 16 novembre 18H, BĂątiment Matisse, amphi 500âŠ, une annonce que le locuteur de la soirĂ©e a repris : « Lorsque jâĂ©tais PrĂ©sident du Conseil constitutionnel, jâai emmenĂ© tous ses membres dans un centre de dĂ©tention, car ils ne savaient visiblement pas de quoi ils parlaient ! ».
Daniel Carlier
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