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Quand les startups « anti-gaspi » mangent à la place des plus précaires

8 février 2024 à 09:15

Je dois avouer que je dédie le peu de compassion et d’empathie que j’ai aux animaux. La seule association pour laquelle j’ai donné de mon temps et un peu de mon argent est la SPA. Mais quand j'ai reçu un mail de l’asbl L’Ilot m’informant d’une nouvelle crise dans le secteur du sans-abrisme et de l’aide alimentaire, ça m’a fait tiquer. Dans ce nouveau combat, il est question de startups lucratives – comme Happy Hours Market ou Too Good to Go – qui depuis quelque temps mangent littéralement les vivres dont pourraient bénéficier les associations.

En gros, l’activité de ces startups couplée à la franchisation croissante des grandes surfaces – lesquelles vont préférer passer un deal avec ces nouvelles applications – plonge les associations dans une situation de concurrence dont elles vont d’office sortir perdantes. 

Pour ce nouveau combat, L’Ilot s’est allié à LOCO, un réseau d’organisations qui collecte et redistribue les invendus alimentaires aux personnes dans le besoin. J’ai échangé à propos de tout ça avec Benjamin Peltier, chargé de plaidoyer, dans leurs locaux à Bruxelles. Après une petite heure de papote, on a conclu en disant que, pour le moment, le secteur de l’aide alimentaire c’était le far west. « Sans cadre légal, c'est le plus fort qui impose sa loi : dans notre secteur, les plus petits se font écraser et doivent se plier aux règles qu’ils subissent », résume Benjamin. 

VICE : Comment ça se passe pour le moment ici ?
Benjamin Peltier :
Dans ce secteur, y’a des assos avec une grande diversité. La majorité s'occupe des colis d'aide alimentaire pour des personnes précaires – le grand acteur historique de ce secteur, c'est la Croix-Rouge. Y’a aussi beaucoup de micro-acteurs, à l'échelle d'un quartier, d'une rue, avec un peu de solidarité qui s'organise. Ça peut être à l’initiative d'une paroisse, d'un frigo solidaire… Une bonne partie des assos qui font de la distribution alimentaire sont 100% bénévoles. Donc c'est un secteur peu professionnalisé et qui a du mal à se fédérer pour se défendre face à ce qu'il se passe. C'est pour ça qu'on a créé la plateforme LOCO avec d'autres acteurs qui, non seulement font de la récolte d'invendus pour eux-mêmes, mais aussi pour d'autres assos plus petites qui n'ont pas les moyens de récolter… Tout cet écosystème est tablé sur les invendus de grandes surfaces mais aussi des marchés hebdomadaires ou des centres de distribution. Y’a des accords qui ont été faits, notamment avec les chaînes de supermarchés pour nous permettre de récolter de l’alimentaire. 

Et ces accords n’ont pas suivi ?
Quand les acteurs privés sont arrivés – To Good To Go l'un des premiers –, ils se sont positionnés comme acteurs complémentaires à nous. Ils étaient plutôt sur les commerces de quartier qui avaient des invendus : la petite épicerie, la boulangerie, etc. À ce moment-là, leur politique de non-gaspillage était respectée. Nous, on n’était pas sur ce créneau donc on se marchait pas trop dessus. Maintenant, To Good To Go, tout comme Happy Hours Market, s’est aussi lancé sur les invendus de grandes surfaces. Les deux explosent, aussi en termes d'outils, de camions, de points de distribution. Et ils visent vraiment les grandes surfaces sur lesquelles on était. 

Dans un premier temps, L'Ilot a pu être protégé par des accords qu'on avait avec les magasins et, vaille que vaille, ça tenait. Delhaize, par exemple, avait un programme zero waste où ils avaient passé un accord avec toutes sortes d'assos pour la récupération d'invendus alimentaires, donc notre secteur pouvait toujours bénéficier de denrées [malgré la nouvelle concurrence]. Mais ces derniers mois, y’a eu un coup d'accélérateur dans la franchisation des magasins Delhaize – en plus de celles des magasins Carrefour et Intermarché qui avaient précédé. À partir de là, chaque gestionnaire peut commencer à négocier ses trucs et l'offre que propose Happy Hours Market est forcément plus intéressante pour les magasins parce que ça valorise financièrement leurs invendus alimentaires. Face à ces gérant·es de franchises qui sont soumis·es à des contraintes financières extrêmement difficiles, on ne trouve plus notre place et c'est logique de les voir aller vers ce type d'acteurs. 

Vous avez perdu beaucoup d'accords ?
Nous on dépend surtout de trois grandes surfaces Colruyt et, pour le moment, ces accords tiennent. Mais au sein de LOCO, pour certains acteurs c'est la catastrophe. Par exemple, le Centre de Distribution Alimentaire Gratuite (CDAG) qui est financé par le CPAS d’Uccle avait des accords avec neuf magasins Delhaize, et ils en ont déjà perdu six – les trois derniers risquent de tomber d'un jour à l'autre. En plus, le CDAG c'est un gros acteur ; pour les plus petits c'est encore plus un problème. Dans tous les cas, le nombre de personnes précarisées qui viennent chercher nos colis alimentaires est toujours aussi important, voire de plus en plus important, mais on n’a plus autant à leur donner.

Ça peut tomber d’un jour à l’autre pour vous aussi ?
Les trois magasins Colruyt dont dépendent L’Ilot ne sont pas encore entrés dans la logique Happy Hours Market. On est pour le moment protégé. Mais en Flandre, la chaîne Colruyt commence déjà à passer des accords donc ça nous pend au nez… Et quand on sait que 90 000 personnes à Bruxelles vivent de l'aide alimentaire [selon la Fédération des services sociaux, NDLR], ça nous fait peur. 

Quel son de cloche du côté des startups ? Certaines ont dit avoir mis en place un système de dons pour vous soutenir ou encourager les magasins à poursuivre des démarches d’aides aux assos. 
L'un des premiers contacts qu'on a eu avec To Good To Go c'était en 2018 et, au début, on n’était pas du tout dans l'opposition. On a essayé de mettre des balises communes, comme pour dire qu’il y avait de la place pour tout le monde [des accords à l'amiable, sans trace écrite, NDLR]. Le fait de ne pas venir démarcher des supermarchés avec qui on a déjà des accords est un exemple. L'un des arguments de Happy Hours Market c'est de dire qu'il y a du gaspillage alimentaire malgré notre action, donc pour eux on n’est pas concurrents. Mais en réalité, ils sont rapidement devenus des vrais prédateurs sur les mêmes biens que nous – des denrées dont on peut bénéficier, loin de la date de péremption. Maintenant, Happy Hours Market n'est plus dans le projet d'éviter du gaspillage mais dans celui de trouver les biens les plus exploitables et rentables. 

Ils communiquent aussi l’argument de la redistribution aux assos, le fait qu’ils jouent un rôle de plateforme logistique. Ils disent aller chercher dans les magasins, revendre une partie et redistribuer le reste aux assos qui n'ont pas les moyens de faire cette collecte. Mais dans les faits, plusieurs organisations au sein de LOCO ont été partenaires avec Happy Hours Market et bénéficiaires des dons mais se sont ensuite retirées de ce partenariat parce que ce qu'elles recevaient était de trop mauvaise qualité. Y’a pas de réelle volonté d'aider les assos, c'est juste une manière de se décharger des déchets. La gestion des poubelles dans le secteur est extrêmement coûteuse. À cause de ça, le coût de déchets avait doublé dans certaines assos, presque triplé, alors que leur volume de colis distribués avait à peine augmenté – vu qu'elles recevaient des produits périmés. 

Est-ce que le succès de ces startups – potentiellement auprès de personnes précaires – permettent d’amortir la demande chez vous sur le long terme ?
En théorie, on pourrait se dire ça. Mais y’a quelques éléments qui laissent penser que leur public n'est pas un public précaire spécifiquement. Quand on regarde la localisation des boutiques Happy Hours Market, elles sont principalement situées dans les communes plus riches : Etterbeek ou Ixelles, notamment. C'est pas Molenbeek et Saint-Josse qui captent leurs boutiques. On voit que ça correspond à une catégorie sociale qui n’est pas précaire. Et puis, y’a l'élément de la fracture numérique : les plus pauvres ont un moins bon accès à la compréhension du numérique. Or, leur modèle repose exclusivement sur des achats via une application web. Et ils communiquent principalement sur le côté écologique de leur activité. À partir de là, on sait exactement quel public ils visent : plutôt des classes moyennes sensibilisées aux enjeux environnementaux. Le seul public qui peut être dans des difficultés d'accès à de la nourriture tout en ayant l'éducation numérique, c'est les étudiant·es. Effectivement, certain·es sont dans la dèche. 

Face à une précarité qui a beaucoup augmenté à Bruxelles, comment on gère le contact avec les gens ?
La difficulté des associations qui font de la distribution dans ce contexte c'est de répondre à une demande qui vient avec beaucoup de frustrations, de colère et de violence parfois. La majorité des bénévoles sont des personnes plus âgées qui sont confrontées à des gens qui deviennent parfois agressifs. Y’a des burn-out dus à ces tensions. Les impacts en cascade sur le terrain se voient aussi.

Tu parles d’une violence qui répond directement aux violences – ou à la non-action – institutionnelles ?
Totalement, et ça touche plein de secteurs différents. Le chômage, par exemple : c'est tellement difficile de l'avoir, avoir juste un contact téléphonique ou quelqu'un en face de soi à un guichet pour répondre à son dossier que les gens deviennent fous. Ils n'ont pas les moyens de vivre sur leurs réserves, parce qu'ils n’en ont pas. Les employé·es de la CSC des guichets chômage disaient qu'ils ferment parfois parce qu'ils savent plus capter toute la violence des gens qui font la file et pètent des câbles. Ce sont ces gens qui font la file pour avoir des colis alimentaires mais qui repartent les mains vides. Le sentiment des travailleur·ses sociaux c’est qu’il y a une réelle violence institutionnelle à l'égard des personnes précaires depuis quelques années. 

En dehors de nos frontières, vous savez comment ça se passe ? 
La France est une des pionnières en Europe de l'encadrement légal dans ce secteur. Elle a un cadre légal qui oblige les magasins avec une surface de 400 m2 à donner leurs invendus aux assos [conformément à la Loi Garot, adoptée en 2016, NDLR]. Et grâce à cette loi, les acteurs s'organisent pour respecter ce cadre légal. Toujours en France, y’a Phenix qui, en théorie, ressemble à Happy Hours Market mais en pratique ils s'associent vraiment avec des initiatives et partagent leurs récoltes en amont de leurs ventes. 

Et de notre côté, imposer un cadre légal serait illusoire ?
On a déjà amorcé des conversations avec le monde politique pour leur expliquer ce problème de concurrence. Y'aura-t-il moyen de sanctuariser quelque part les invendus alimentaires pour dire que les personnes qui les donnent aux plus nécessiteux·ses sont prioritaires ? Le cabinet Maron, pour la Région bruxelloise, vient de faire passer une législation pour obliger les grandes surfaces de plus de 1 000 m2 à donner leurs invendus à une initiative. C'est bien que ça avance, mais on dédie quand même de plus en plus d'argent à construire une alternative politique par nous-mêmes, faire passer des messages dans les médias, à pousser pour un changement de société plus global. La situation sociale à Bruxelles ne fait que s'aggraver.

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Finalement, je veux quand même des enfants

20 décembre 2023 à 10:06

Fauché·es, surdiplômé·es, traumatisé·es : les millennials constituent la première génération qui s’en sort moins bien que ses parents. Pas surprenant que tellement de jeunes adultes décident de renoncer à la parentalité, quand on pense à l’avenir qu’on s’apprête à léguer aux futures générations qui, après tout, n’ont pas demandé à être là. L’être humain détruit la Terre, peine à se détacher des logiques capitalistes, continue de voter extrême droite et se tape dessus pour déterminer qui pisse le plus loin. Quel genre d’adulte responsable se permettrait de donner la vie à un petit bébé tout mignon et innocent, tout ça pour plus tard l’obliger de livrer de la bouffe grasse le soir en plus de son temps plein payé 6 euros de l’heure dans l’espoir de pouvoir payer le loyer de 4 000 balles de sa chambre de bonne ? Pas moi. Enfin… on verra. 

La vérité, c’est que c’est un peu facile d’avoir des idées arrêtées, d’accepter la défaite avec cynisme et de se dédouaner de ses responsabilités. Autour de moi, quelques personnes ont fini par se remettre en question, voire changer d’avis : elles ont fait un ou plusieurs enfants, ou sont en plein effort de conception. Je leur ai demandé pourquoi. J’ai peur de me laisser convaincre, mais je suis prête à prendre le risque : faites péter les arguments.

Alexandra (32 ans), mère d’un enfant

VICE : Quelle a été la relation avec ton désir d’enfant au cours de ta vie ?
Alexandra :
Depuis toute petite, je rêvais d’avoir des enfants avant mes 30 ans. Puis en grandissant, j’ai pris connaissance de la réalité de ce que c’est d’avoir une famille, en plus de tout ce qui entoure la vie d'adulte et ses responsabilités. J’étais de plus en plus soucieuse de notre environnement, des enjeux liés au réchauffement climatique. L'éco-anxiété et l'anxiété généralisée, ça m’a beaucoup freinée : mettre un enfant au monde pour lui faire vivre les inégalités, le racisme, la folie du capitalisme, les guerres, la violence, alors que moi, perso, j’ai déjà du mal… Est-ce que ça avait vraiment du sens ? En parallèle, je ressentais de plus en plus la pression de la société d’entrer dans un moule, de suivre des étapes de vie prémâchées… et je me suis demandé si vraiment moi, Alex, je voulais des enfants ou si c’était juste que tout le monde voulait que j’en aie. 

Quel regard tu portais sur les gens qui faisaient le choix d’avoir des enfants ?
Honnêtement, je les ai souvent jugés, mais c’était surtout par rapport à leur discours sur la fatigue, sur combien la vie en tant que parent est compliquée et difficile. Je les sentais coincés, obligés de vivre une parentalité qui était prescrite, d’une certaine façon.

Qu’est-ce qui t’a finalement fait changer d’avis ?
J’avais eu beaucoup de conversations avec des gens hésitants ou blasés. Des gens qui, comme moi, avaient peur de notre monde actuel et futur. Puis un jour, j’ai entendu la phrase « Parfois, il suffit d’une seule personne pour changer les choses » et ça a résonné en moi. Évidemment, j'ai pas la prétention de dire que mon enfant changera le monde, mais j’aime à croire que si on est beaucoup à voir les choses de cette façon, on se donne une vraie chance d’avoir un impact sur le futur de l’humanité. Quand ce changement de mentalité s’est opéré, j’ai pu prendre le temps de réfléchir à ce que je voulais vraiment, sans céder à la pression externe. Avec mon mec, on a beaucoup discuté de comment on voulait vivre, de comment on se voyait élever un enfant, et on a décidé de se lancer, à notre façon.

Et maintenant que vous êtes parents. Tu penses avoir fait le bon choix ? 
Je t’avoue que ça m’est arrivé de me poser la question. Parfois, je trouve ça extrêmement difficile, mais j’apprends à gérer mes émotions, à relever les défis un jour à la fois, en faisant de mon mieux. 

Loïc (33 ans), père d’un enfant

VICE : Qu’est-ce qui te rebutait dans l’idée de faire des enfants ?
Loïc :
Je trouvais ça super égoïste comme démarche. Notre planète est déjà surpeuplée et le coût écologique d’un être humain dans un pays comme la Belgique – ou la France, d’où je viens – est catastrophique. Pour moi, c’était clair : hors de question de contribuer à ça, jamais de la vie.

Pourtant, t’es récemment devenu père. Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
Je suis en couple depuis six ans avec une personne qui voulait vraiment avoir un enfant. Sa conviction m’a poussé à la réflexion : je me suis penché plus en profondeur sur ce qui pèse dans le coût écologique d'une vie humaine et sur la place du droit de concevoir dans tout ça. J’en suis petit à petit arrivé à cette conclusion : si y’a que les gens de droite, ceux qui conduisent des SUV, mangent de la viande trois fois par semaine et regardent TPMP qui continuent à faire des enfants, la situation ne va faire qu’empirer. On sait d’autre part que l’humanité devrait atteindre son pic de population autour de 2060 et que le réchauffement climatique va engendrer des déplacements de population. Ça veut aussi dire qu’il faudra des gens prêt·es à accueillir les réfugié·es climatiques. D'un point de vue plus radical, dans un monde idéal, je trouve que faire un enfant, ça devrait se mériter. 

Si je comprends  bien, tu vois ta parentalité comme une espèce de devoir civique ?
C’est un peu ça, oui. On a choisi de faire un enfant, mais on s’est surtout engagé·es à assumer le rôle de parent de façon responsable et consciente. L’éducation de notre fille, pour nous, ça dépasse son petit monde à elle, ses propres intérêts. On veut lui inculquer une vision macro de l’environnement et de ses enjeux, lui apprendre ce qu’est le développement durable. On veut l’élever de la façon la plus déconstruite possible sur les questions de genre, de race, etc., pour l’équiper dans le monde complexe dont elle fait partie. On commencera par lui raconter ses origines berbères, espagnoles et polonaises. Et elle aura assez de lecture dans notre bibliothèque pour se pencher sur ces sujets quand elle en aura l'âge et l'envie. 

Dit comme ça, tu m’as presque convaincue… mais t’as pas peur qu’elle se rebelle contre « vos » idées et qu’elle parte vers l’autre extrême, juste pour vous faire chier ? 
On lui laissera toujours le choix de vivre sa vie. Notre rôle en tant que parents, c'est de lui transmettre des valeurs de solidarité et d’éco-responsabilité. Parce que tout part de là : quelle place t’accordes à autrui, à ses besoins et à ses difficultés, ainsi qu'au développement durable et à des problématiques macro, plutôt qu'à ton propre confort et celui des quelques personnes qui t'entourent ? On doit pouvoir avoir confiance en notre éducation pour qu’elle en fasse ce qui lui semble juste quand elle aura atteint l’âge adulte.

Anastasia (38 ans), mère de deux enfants

VICE : Avant de changer d’avis, est-ce que t’as toujours été certaine de ne pas vouloir d’enfants ?
Anastasia :
Mon désir de maternité n’a jamais été hyper présent. Ce qui m’attirait, c’était de découvrir le monde, voyager… Pas vraiment une vie compatible avec des enfants.

Si tu t’auto-analyses, tu penses que ça venait d’où, cette absence de désir de parentalité ?
J’ai eu une enfance assez atypique, pleine de rebondissements et d’instabilité. J’ai grandi à Sotchi, en Russie, jusqu’à mes 8 ans, où j’ai déménagé en Belgique. Ma mère est restée en Russie et c’est ma sœur aînée qui a pris la charge de continuer mon éducation. Cette configuration m’a obligée à devenir adulte très vite. En vieillissant, je me suis posé  certaines questions : est-ce que je vais être capable d’élever des enfants, en ayant eu un parcours si chaotique ? Est-ce que je vais pouvoir être une bonne mère, alors que ma relation avec la mienne est si difficile ? Sans parler des éléments externes comme les guerres, les maladies, la corruption, l’individualisme et tous les autres -ismes qui pourrissent le monde… Avoir des enfants, j’ai toujours associé ça à une sorte de sentiment d’extrême responsabilité : est-ce que c’est bien sage d’amener un bébé dans un monde où moi-même, femme adulte, je rencontre encore tellement de difficultés ?

En tant que femme « en âge de procréer » (beurk) qui fait le choix de ne pas le faire, j’imagine que t’as dû te prendre pas mal de commentaires, non ?
Oui, surtout que j’avais une relation stable avec mon partenaire. Dans la culture d’où je viens, les femmes ont des enfants relativement jeunes, entre 20 et 26 ans. Quand j’avais cet âge-là, je retournais encore régulièrement à Sotchi et on me faisait souvent des remarques. Plus je vieillissais, plus les questions se faisaient pressantes, et moins elles étaient subtiles. Après mes 30 ans, à chaque fois que je l’avais au téléphone, ma mère me demandait quand j’allais m’y mettre, parce que « quel sens aurait ma vie, sinon ? » Malgré tout, j’étais heureuse de mon choix et épanouie dans ma vie sans enfants.

Pourtant, t’as fini par craquer… Comment on passe d’une idée aussi déterminée à « mère de deux enfants » ?
Dans mon cas, je pense que c’est quand les gens ont fini par me foutre la paix que j’ai commencé à revisiter ma décision. Vers mes 31 ans, j’ai ressenti le besoin de me poser un peu. Je venais de passer des années à voyager constamment pour le taf et je me rendais compte que ça aussi, c’était devenu une routine. Mon partenaire, lui, avait toujours exprimé le désir d’avoir des enfants ; à cette époque, on a eu beaucoup de conversations à ce sujet, et j’étais très hésitante. Il m’a pas mis la pression, et je pense que ça m’a donné la place d’y réfléchir à mon propre tempo.

Et ? Heureuse ?
Très. J’ai pas de regrets, même si parfois c’est beaucoup à gérer et que j’ai envie de claquer la porte. 

Est-ce que le fait de devenir mère t’a obligée à laisser tomber certains principes ou rêves auxquels tu tenais ?
J’en n’ai pas vraiment l'impression. Ça a surtout chamboulé ma façon de penser et mes perspectives. Avant, j’avais tendance à avoir des opinions très radicales ; aujourd’hui je suis plus nuancée, moins centrée sur moi-même. De façon générale, je ne passe plus autant de temps à ruminer mes petits problèmes perso, parce que j’ai besoin de mon temps et de mon énergie pour m’occuper de deux êtres humains qui dépendent de moi. Mon rôle de parent m’a appris à lâcher prise et à apprécier les choses simples – je sais, c’est super cliché, mais c’est tellement vrai !

Malheureusement, le monde est toujours aussi pourri qu’il y a quelques années, si pas plus. Comment est-ce que t’arrives à concilier ça avec le fait d’avoir des enfants ?
Là aussi, mes perspectives ont changé. Là où avant, je m’attardais sur une vision pessimiste et cynique du monde, aujourd’hui je me sens surtout responsable d’élever des enfants qui soient conscient·es de tout ça et prêt·es à en découdre. C’est mon rôle de les protéger, de les équiper, de leur donner les outils pour comprendre l’environnement dans lequel iels grandissent. 

Laurent* (34 ans), en train d’essayer pour un premier bébé

VICE : Qu’est-ce qui te rebutait jusqu’à maintenant, dans l’idée d’avoir des enfants ?
Laurent :
Mon doute venait surtout de la responsabilité d’amener un enfant dans le monde tout pété dans lequel on vit. Pendant longtemps, je me demandais si c'était pas complètement irresponsable de faire des enfants. Je me sentais coupable et un peu égoïste d’en vouloir. Puis l’été dernier, j’ai passé quelque temps dans une retraite spirituelle un peu hippie mais aussi très chill, et terre à terre. Durant cette retraite, j’ai réalisé que le réchauffement climatique, les inégalités et tous les autres problèmes, c’est pas la faute des enfants. C’est pas eux le problème, c’est les adultes. Autour de la même période, ma sœur a eu un bébé et mon point de vue a petit à petit évolué : j’ai commencé à voir les enfants comme un espoir pour le futur. Déjà aujourd'hui, dans les mouvements pour le climat, ce sont les jeunes générations qu’on trouve en tête, qui sont les plus déterminées à faire changer les choses. Je crois vraiment qu’il y a d’autres façons de vivre que celle à laquelle on s’est habitué. Et même si ce sera pas facile, je pense qu’il faut continuer à croire en un avenir meilleur, ne pas laisser tomber, et prendre nos responsabilités en tant que (futur·es) parents.

Et en ce moment, vous êtes en train d’essayer de concevoir alors.
Ouais ! Une à une, toutes les raisons qui nous faisaient douter ont fini par tomber. Puis l’envie d’avoir des enfants s’est faite de plus en plus sentir aussi. Et donc là, on essaye, mais rien ne dit que ça va marcher. Si ça se fait pas, je pense que je serai déçu, mais je suis aussi convaincu qu’on aura une vie très cool et pleine de sens et d’amour, même sans enfants.

Est-ce que le fait de te projeter concrètement en père de famille a changé quelque chose dans ta façon d’être ?
Oui et non. Ce qui change surtout, c’est que je trouve ça plus que jamais crucial de vivre une vie qui reflète mes valeurs, de faire un job qui contribue à la société en laquelle je crois, quitte à gagner moins… Je veux pouvoir rester fidèle à moi-même, à ma notion de ce que c’est d’être quelqu’un de bien, et par extension devenir un bon exemple et un bon parent.

T’as peur de regretter un jour d’avoir changé d’avis ?
Pas vraiment. Par contre, j’ai peur de ma capacité à être père. Je veux pas faire les mêmes erreurs que mes parents et ça, ça me travaille. J’en suis à un point où j’ai réussi à processer pas mal de traumatismes de mon enfance et ça m’a demandé beaucoup de travail et d’énergie ; tant qu’à avoir des enfants, j’aimerais quand même bien m’en sortir un peu mieux, et je me rends compte que c’est plus facile à dire qu’à faire. 

Anne-Marie* (38 ans), mère de deux enfants

VICE : T’as deux enfants maintenant, mais il y avait une époque où t’envisageais pas du tout d’en avoir. C’étaient quoi, tes raisons ?
Anne-Marie :
Me marier, faire des enfants, c’est quelque chose que j’ai jamais idéalisé. Mon rêve, c’était de faire une belle carrière en tant que médecin, d’être financièrement indépendante. Je voulais être une boss, probablement parce qu'une grande partie de ma vie était hors de mon contrôle. J'ai eu une enfance assez précaire et traumatisante. J’ai toujours associé le fait d’avoir des enfants à une espèce de fardeau écrasant. Être parent, c’est assumer la responsabilité d'une autre vie, et j’avais vu tellement de façons dont ça pouvait mal tourner…

Et les gens autour de toi qui faisaient des enfants, t’en pensais quoi ?
D'un côté, j'étais jalouse de voir tellement de gens capables de faire ce choix et vivre cette vie sans être constamment terrorisés. Et en même temps, c'était pas du tout ce à quoi j’aspirais.

En tant que femme sans enfants, tu te sentais jugée, toisée ?
Je m’en foutais un peu. Je me disais que les autres n'étaient juste pas aussi intelligent·es et indépendant·es que moi. Après, même si aujourd’hui j’ai des enfants, je reste persuadée qu'une vie sans est toute aussi riche et pleine de sens.

T’avais l’air bien décidée, quand même. Qu’est-ce qui a fini par te faire virer de bord ?
Quand j'ai rencontré mon partenaire, on n'avait pas l’ambition de nous marier, ni d'avoir des enfants. Lui aussi a eu une enfance difficile, et à l’âge adulte ça se traduit chez lui par un caractère extrêmement stoïque. J’ai trouvé énormément de sécurité et de stabilité dans le fait que rien ne pouvait le faire tanguer. Je pense que c’est ce sentiment qui m'a permis d’envisager le mariage et les enfants. Cela dit, quand j’y pense, ce qui nous a fait passer à l’acte, c’est le constat que c’était le bon moment pour nous au niveau de notre carrière, combiné avec mon horloge biologique et une sorte de pression sociale.

T’as parfois l’impression d’avoir abandonné quelque chose, d’avoir perdu une partie de toi ?
Je suis une personne très sociable, une exploratrice, toujours la dernière à quitter la fête. Maintenant que je suis mère de famille, j’ai parfois l'impression qu'il y a toute une vie hors de ma portée à laquelle je ne pourrai avoir accès qu'une fois que mes enfants auront 18 ans. J’ai pas mal de FOMO, je me dis que c’est un mode de vie que je devrais explorer tant que je suis encore relativement jeune. Mais j’ai fait un choix et je l’honore : je fais tout mon possible pour donner à mes enfants une vie de rêve – celle que j’aurais voulu avoir. Mon choix m’a forcé à réfléchir en termes de stabilité, d'enracinement ; c’est quelque chose avec lequel j'ai pas grandi. Cette opportunité de guérir mes traumatismes, de briser le cycle pour les générations futures, c’est une expérience véritablement thérapeutique.

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Préserver son amour du foot quand celui-ci est gangréné par la merde

Par : Gen Ueda
2 novembre 2023 à 08:10

Comme je l’ai évoqué dans un récent article concernant mon rapport au « supportérisme modeste », je n’ai jamais vibré lors de grandes affiches. Que suis-je censé ressentir en voyant des formations avec lesquelles je n’ai aucun lien, au sein desquelles il y a un turnover de malade et qui, parfois, sortent magiquement de nulle part simplement grâce à l’impulsion intéressée d’un milliardaire saoudien ou américain ? En plus, le fait de suivre la sélection japonaise et deux clubs de divisions inférieures (et en faillite) ne m’a donné d’autres choix que de développer une étrange affection pour les issues dramatiques.

Comprendre (avec les moyens intellectuels limités que je possède) comment fonctionne le foot en tant que machine néolibérale donne raison à cette distance que j’entretiens avec l’élite du foot. Plus les années passent, moins je trouve de prises auxquelles m’accrocher, alors que j’aime sincèrement ce sport. Je dégueule à chaque fois qu’on me parle de la FIFA, j’ai des envies de meurtre quand je vois la Coupe du monde au Qatar se dérouler parfaitement malgré les innombrables morts sur les chantiers des stades et j’ai même ressenti bien pire quand celle de 2030 a été présentée – ce sera la première à se dérouler sur trois continents différents.

Je ne vois plus que le fric et du vomi.

Et encore, je n’ai connu ce monde qu’à l’orée des années 2000, soit à un moment où le foot a déjà bien été chamboulé par l’avènement des droits télés : les chaînes sont progressivement devenues payantes, les horaires des matchs ont été reconfigurés pour augmenter l’offre télévisuelle, etc. Même au niveau de l’expérience de jeu, la télé a morcelé ce qu’on en vit, en mettant le focus sur la performance individuelle captée par les nombreuses caméras, loin de ce qu’on voit de nos yeux quand on va au stade. La télé a transformé le foot en un spectacle émotionnel en 4K à des fins mercantiles. Désormais, l’économie entière de la discipline repose sur les diffuseurs et le profit. 

Mais si le foot est vidé de son essence, que reste-t-il pour nous transcender ? J’ai posé la question – parmi d’autres – à Jérôme Latta, journaliste indépendant, cofondateur et rédacteur en chef des Cahiers du football, et auteur de Ce que le football est devenu : trois décennies de révolution libérale, publié aux éditions Divergences (les couvertures les plus jolies du monde littéraire). 

Dans son livre, l’auteur cite notamment Jonathan Liew, journaliste du Guardian : « La Premier League n’est-elle pas devenue l’équivalent footballistique de la City de Londres : un terrain de jeu non régulé pour les super riches du monde entier, jetant par les fenêtres l’argent des autres tout en prétendant fournir au public un service essentiel ? Ce n’est pas votre monde et il n’a plus aucun vrai lien avec votre vie, mais en y mettant le prix, vous pouvez prendre une chaise et vous asseoir au fond pour regarder. » 

Le foot n’est effectivement plus un bien commun, il se fait progressivement moins populaire, les clubs riches deviennent de plus en plus riches et les grandes instances anéantissent ce qu’il reste de son âme pour la vendre aux plus offrants. Alors, comment préserver son amour du foot quand celui-ci est gangréné par le fric et la merde ?

VICE : Comment vous avez vécu la création du marché des droits de télé dans les années 1990 ?
Jérôme Latta
: En France, la diffusion payante de football s’est imposée au moment du lancement de Canal+, qui avait basé son modèle économique sur le sport et le cinéma – et un peu la pornographie aussi. Ça a constitué un bouleversement assez sensible : on pouvait accéder à un nombre de matchs beaucoup plus important qu'auparavant. Avant ça, la diffusion du foot s’inscrivait dans une économie de la rareté, il y avait très peu de matchs diffusés – des matchs de Coupe d’Europe, de Coupe du Monde, de l’équipe de France… Là, très vite, plusieurs matchs ont été disponibles chaque semaine.

Ce qui était nouveau aussi, c’est qu’il fallait acquérir un abonnement et un décodeur pour accéder à tous ces matchs. Mon père s'était abonné le jour même où devait être diffusé un match de Saint-Étienne, dont on est supporters. Ça avait été un achat d’impulsion qui s’était avéré très durable parce que, pendant longtemps, Canal+ était incontournable comme diffuseur principal du football. Puis, ils ont eu des concurrents qui ont permis de valoriser les droits de télévision du championnat de France. 

« Là où il devrait y avoir un débat et l’exposition de voix dissidentes et critiques, c'est dans les médias sportifs spécialisés. Mais ils ne s'emparent pas du tout de ces sujets, et expriment même une forme d’embarras. »

À ce moment-là, les clubs français redoutaient cette nouveauté ?
C’est vrai que pendant très longtemps, dans les années 1960/1970, quand les moyens techniques de diffusion de matchs ont été disponibles, les clubs professionnels étaient extrêmement réticents parce qu’ils étaient persuadés que ça allait vider les stades. Comme les diffusions étaient très rares, quand un match était diffusé, les clubs constataient une petite baisse d’affluence, parce qu’évidemment, la diffusion télévisée constituait un événement en soi. Mais ce qui a changé les perceptions, c’est que le montant des droits pour ces diffusions est devenu beaucoup plus significatif avec l’arrivée d’opérateurs comme Canal+. Ça a changé la réflexion des clubs puisqu’ils ont pu considérer que cette manne leur était suffisante pour compenser les éventuelles baisses de recettes de billetterie. En plus, à cette époque, les affluences étaient assez médiocres dans les stades français. 

Mais à plus long terme, ils ont constaté que l’exposition médiatique du football contribuait à sa visibilité et donc renforçait son pouvoir d’attraction. Plus tard, dans les années 1990, et surtout au lendemain de la Coupe du monde 98, il y a d’ailleurs eu un bond très significatif des affluences dans les stades. Il y a donc eu un changement de réflexion dès lors que les droits de télévision sont devenus substantiels et que les avantages économiques excédaient les inconvénients et les baisses hypothétiques des recettes de billetterie. 

Justement, la Coupe du monde sert de levier pour les instances du foot et les partenaires commerciaux, non ? On dirait que ces événements sont devenus les plaques centrales de la dérégulation. 
La Coupe du monde a été l’une des premières compétitions diffusée à l’échelle mondiale. On peut même dire que c’est elle qui a amorcé la médiatisation massive du football – à une époque, en plus, où le football de sélection était considéré comme étant d’une qualité supérieure au football de club, ce qui s’est sensiblement inversé au cours des dernières décennies. Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, le développement de la Coupe du monde a suivi le développement économique de l’industrie du football dans son ensemble. Elle incarne la tendance au gigantisme des grands évènements sportifs mondiaux. Il y a eu une augmentation progressive du nombre de participants, qui se prolonge à des niveaux alarmants – on va passer, pour la prochaine édition 2026, de 32 à 48 équipes. Cette croissance s’exprime aussi dans le fait qu’il devient de plus en plus difficile pour un seul pays d’accueillir l’événement, ce qui pousse à une co-organisation. En 2026, on aura une Coupe du monde dans trois pays, avec des distances considérables entre les villes hôtes au Canada, au Mexique et aux États-Unis. Et en 2030, on va avoir une Coupe du monde sur trois continents, ce qui montre le peu de souci de la FIFA pour les considérations écologiques, avec un bilan carbone qui continue de s'accroître – après le Mondial au Qatar qui avait déjà battu les records. 

Cette croissance illustre aussi la cupidité de la FIFA, qui se soucie d’abord de l’augmentation de ses ressources plutôt que de l’équilibre de la compétition, de ses impacts et de son coût économique et environnemental. Parce qu’évidemment, quand on augmente le nombre de participants, on augmente le périmètre des droits de télévision et on revalorise les droits de diffusion, ce qui enrichit la FIFA. La FIFA présente le prétexte du développement du football dans un plus grand nombre de pays, mais on comprend bien que les motivations principales relèvent d’un intérêt économique et géopolitique : plus le président de la FIFA satisfait un grand nombre de pays, plus la situation électorale lui est favorable. C’est dans cette démarche de double conquête que s’inscrit la croissance de la Coupe du monde. 

Quelque part, l'hypertrophie des compétitions de nations, qu'on constate pour la Coupe de monde comme pour l'Euro, c'est l'un des symptômes mais ce n'est pas le principal de la financiarisation croissante de l’industrie du football. La FIFA et l'UEFA suivent le mouvement et trouvent leur intérêt dans cette croissance au travers de la hausse de leurs revenus, alors qu'on pourrait souhaiter qu'en tant que gouvernements du foot, qu’elles aient un souci de réguler, de modérer et d'équilibrer la croissance de cette industrie. 

Face à tout ça, on est dans l’impuissance totale. On voit que ça produit toujours plus d'inégalités mais j’ai l’impression qu’on pardonne tout au monde du foot, même si on sait que, en tant que public, on y perd. On arrive très peu à politiser ces évolutions, les enjeux…
La difficulté, c'est d'arracher les amateur·ices de foot de leur statut de consommateur·ices auquel tous les acteurs économiques ont intérêt à les réduire. On a vu, à l'occasion de la Coupe du monde 2022, une sorte de sentiment d'impuissance quant aux moyens de protester contre le gâchis environnemental, le mépris des droits humains que contenait cette Coupe du monde. Il y a eu des tentatives de boycott, mais c'est une arme qui semble assez obsolète aujourd'hui et qui s’est en tout cas avérée inefficace, d'autant plus que la capacité d'attraction d'une Coupe du monde reste extrêmement forte. Quand il y a eu le fiasco du lancement de la Super Ligue en avril 2021, on a constaté qu'il y avait une opposition très forte aux évolutions les plus préjudiciables de ce football financiarisé, avec une explosion de protestations, des discours très critiques formulés, des termes précis désignant la nature de ces phénomènes d’oligarchie des clubs qui s'accaparent l’essentiel des ressources… Autant de choses, connues depuis des décennies, mais qui n’émergeaient pas dans le débat public. Mais la difficulté qu'on a constatée à ce moment-là, c'est que derrière, il n'y avait pas d'opposition qui se consolidait ni d'espace de débat pour envisager des réformes, des manières de réguler, d’encadrer, ou simplement de réfléchir à ces évolutions. 

Aujourd'hui, le principal pôle de résistance est incarné par les groupes de supporters, les ultras en particulier, qui sont très marginaux dans l'espace public et qui sont en plus stigmatisés à travers des amalgames avec le hooliganisme. Leur discours n'est malheureusement pas assez entendu. En parallèle, là où il devrait y avoir un débat et l’exposition de voix dissidentes et critiques, c'est dans les médias sportifs spécialisés. Mais ils ne s'emparent pas du tout de ces sujets, et expriment même une forme d’embarras. Pendant l'épisode de la Super Ligue, les médias sportifs avaient désavoué cette tentative de sécession mais sans réelle suite derrière, dans la mesure où quelques mois après, on célébrait l'arrivée de Messi au PSG et le retour de la Ligue des Champions alors que cette compétition est un des éléments les plus problématiques des évolutions du football. 

En tant que journaliste et supporter, comment votre identité footballistique a évolué en marge de ces dérives ? 
Ça pose des dilemmes de plus en plus difficiles, du moins quand on entretient une forme de conscience politique vis-à-vis des évolutions du football et qu'on a envie de défendre un tout autre modèle. Ça suscite aussi des contradictions. Encore une fois, à titre d'exemple, la Coupe du monde 2022 : on avait envie de désavouer cet événement et, en même temps, on avait envie de la suivre. Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui évacuent ces contradictions et qui prennent le parti de continuer à se passionner pour le foot et ses compétitions en laissant tomber un voile sur tous les problèmes que ça soulève. Mais il y a une autre tranche d'amateur·ices de foot pour qui les contradictions deviennent trop grandes et qui s’en détachent complètement ou se tournent vers d'autres formes de football – foot amateur, foot féminin, etc. –, des endroits où leur passion n'est pas aussi altérée que dans le football de haut niveau.

« Finalement, les amateur·ices de foot, réduit·es au statut de consommateur·ices, n'ont pas voix au chapitre. »

La Viva World Cup, les ligues amateures, les clubs engagés comme le Ménilmontant FC, tout ça ? 
Oui, on constate une forme de vitalité au niveau du foot amateur au travers de clubs militants notamment, qui vont s'inscrire dans certaines luttes comme l’accueil des migrant·es ou les droits LGBTQ+, par exemple. Ils représentent des expériences assez marginales par rapport à l’ensemble du monde du football mais ils ont la vertu de proposer une alternative concrète et de porter un discours critique envers les évolutions du football de haut niveau. Il y a aussi des clubs professionnels qui proposent des contre-modèles un peu militants. En Europe, on a Sankt-Pauli, le FC Union Berlin, le Red Star à Paris… Ce sont des clubs qui préservent leur identité très populaire. En Espagne, le Betis Séville a un programme écologique très ambitieux. Ça permet de faire émerger un discours critique. C'est difficile d'évaluer leur influence parce qu’ils sont relativement isolés, mais ils contribuent à problématiser les évolutions et, par contraste, de souligner les travers du football. Comme je le disais juste avant, on peut aussi trouver – ou retrouver – son bonheur d'amateur·ice de foot dans le football féminin parce qu’il est à un stade de développement moins avancé sur le plan économique. On va donc vivre des ambiances très différentes dans les stades et retrouver une forme de « fraîcheur ». Ce sont des modèles qui peuvent nous rapprocher des valeurs qu'on souhaite attribuer au football et au sport en général. 

En ce qui vous concerne, quels aspects du foot de haut niveau vous retiennent encore dans ses filets ?
Il y a d'abord le fait que, et quelque part c'est le drame du football, le foot, malgré ses dérives, reste un sport extraordinaire et que son pouvoir de séduction ne diminue pas. Il augmente même, au travers de ce foot très spectaculaire qui concentre des talents individuels assez extraordinaires. Le spectacle reste très attractif, puissant et séduisant. Peut-être même plus qu’avant. On reste partagé entre écoeurement et envie de suivre la Ligue des Champions, une Coupe du monde ou un Euro. Il a trois manières de gérer ses états d'âme : soit on les évacue, soit on vit avec, soit on se tourne vers les alternatives plus innocentes et exemptes de toutes ces altérations.

Donc, en gros, la dérive néolibérale du foot permet de produire un spectacle encore plus grandiose qui nous tient encore mieux en otage ? 
Oui, l'image est assez juste. On est aliéné à notre passion. On est contraint de mettre entre parenthèses nos scrupules, nos aspirations éthiques, humanistes ou simplement notre envie que l'intégrité des compétitions soit respectée. Tant que le combat n'est pas lancé et qu'il n'y a pas de vrais débats politiques sur les évolutions du foot, le sentiment d'impuissance dominera. Toute la difficulté, c'est de trouver des moyens qui ne sont pas encore à disposition, de contester ces évolutions et de ne plus être spectateur·ices – au propre comme au figuré – de ces décisions. Finalement, les amateur·ices de foot, réduit·es au statut de consommateur·ices, n'ont pas voix au chapitre et c'est l'un des grands enjeux d'éventuelles transformations positives du football.

Il faut changer les modes de gouvernance, à la fois des clubs et des instances sportives, en donnant voix au public du football – les supporters, les supporters ultras, les téléspectateur·ices, les spectateur·ices qui vont au stade. Il faudrait imaginer des modes de gouvernance qui les représentent à la fois au sein des clubs et au sein des instances. Il y a des évolutions ponctuelles dans ce sens mais on reste très loin d'une représentation satisfaisante des amateur·ices de foot alors qu'ils sont les consommateur·ices de cette industrie, mais sont aussi le produit vendu par cette industrie au travers des droits de diffusion. Finalement, un diffuseur, quand il achète des droits de diffusion, acquiert un public d'abonné·es, des client·es. Pour l’avenir, cette question de gouvernance est centrale, pour ne plus laisser le public du football en dehors du jeu. 

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Comment j’ai été happé par le mouvement « red pill », avant d’en sortir

23 octobre 2023 à 13:53

Levez-vous de bonne heure, brossez-vous les dents, entretenez votre corps. Prenez soin de vous, ne laissez pas votre bonheur dépendre de quelqu’un d’autre. Parcourez le monde avec confiance, ça vous rendra plus attirant aux yeux de potentielles partenaires. OK, personne ne pourra dire que ce ne sont pas de bons conseils. Sauf que sur les forums red pill, ces conseils s’accompagnent souvent de messages de haine – envers les femmes, les minorités, les personnes trans, etc.

Si vous êtes parvenu·e, je ne sais comment, à utiliser Internet sans jamais tomber sur ce genre d’idées toxiques, le « red-pilling » fait référence au processus qui consiste à « prendre conscience de la véritable nature du monde » : à savoir que les hiérarchies sociales sont naturelles et justifiées et que – surprise, surprise – les hommes blancs cis et hétéros sont censés diriger le monde.

Le terme est tiré du film Matrix (1999), dans lequel le protagoniste Neo se voit offrir le choix entre la pilule bleue et la pilule rouge. La première lui permettrait de vivre dans un monde agréable, mais fake, la seconde de voir « la vérité », d’« ouvrir les yeux ». Ironiquement, les réals Lilly et Lana Wachowski, qui ont fait leur transition de genre par la suite, voulaient que l’histoire représente cette révélation où l’on prend conscience qu’il est possible d’exister en marge de la binarité de genres.

Cependant, au début des années 2010, des communautés d’extrême droite ont commencé à s’approprier ce concept afin de diffuser leur idéologie alt-right sur le net, faisant exploser le mouvement dans la période précédant l’élection de Donald Trump, entre 2015 et 2016. Depuis lors, le red-pilling n’a pas faibli – d’Elon Musk à Andrew Tate, des misogynes influents continuent de légitimer ces idées et répandent encore davantage cette haine à travers le web.

Se faire happer par ce type de visions réactionnaires, reconditionnées en tant que contenu Internet à la fois provocateur et innovant, est malheureusement assez facile. Et ce même si vous êtes quelqu’un de relativement équilibré·e. On a discuté avec trois jeunes hommes qui sont tombés dans le piège, mais qui ont également réussi à en sortir. Les trois ont accepté de témoigner à condition de rester anonymes.

Vincent (26 ans), étudiant

J’ai grandi dans une maison citadine, avec deux parents instruit·es mais sans carrières spectaculaires. Ma radicalisation a commencé vers l’âge de 18 ans, sur deux fronts.

D’une part, j’ai commencé à mater des vidéos YouTube montrant un groupe de femmes agressives qui gueulaient des trucs complètement « irrationnels », ce qui équivalait à dire « regardez à quel point ces féministes et ces guerrières de la justice sociale sont folles ». C’est comme ça que je me suis retrouvé dans ce qu’on appelle le « pipeline de l’alt-right » – des vidéos de YouTubers qui commentent et réfutent les revendications des féministes avec des réponses courtes et simplistes.

Le tableau présenté dans ces vidéos est simple : les personnes de gauche sont complètement folles, disent des choses parfaitement insensées et se basent uniquement sur l’émotion, puis qualifient de raciste quiconque s’y oppose. Ensuite, les personnes de droite infirment tous leurs arguments de manière très rationnelle, sans que ça ait l’air de leur coûter le moindre effort.

Outre ces vidéos, j’ai passé beaucoup de temps sur Hiddenlol. Ce site n’est plus actif, mais les gens y partageaient plein de mèmes sur les réfugié·es syrien·nes arrivé·es en Europe vers 2015. Si tu vois défiler des images de migrant·es avec des légendes qui parlent « d’invasion » tous les jours, et que tu continues à suivre l’actualité à ce sujet, tôt ou tard tu vas commencer à croire qu’une énorme épidémie se dirige vers toi.

J’étais moins intéressé par la misogynie, mais on voit vite que l’idéologie de la red pill relie tous ces thèmes entre eux. Si tu rejoins un front, tu vas être automatiquement bombardé à propos d’autres sujets. J’ai moi-même été submergé sous un flot de théories comme quoi seul un petit groupe d’hommes aurait accès à toutes les femmes, et qu’il ne resterait rien pour les autres. De ton côté tu commences à penser « Merde, est-ce qu’il y en aura quand même une pour moi ? » Tu te mets à considérer les femmes comme une sorte de produit rare et convoité, un puzzle à résoudre dans l’unique but d’obtenir des relations sexuelles, au lieu de les voir comme des individus avec des sentiments, des désirs et des rêves.

Comment est-ce que je suis sorti de tout ça ? Je suis simplement devenu moins insécure, j’ai pris confiance en moi. Je m’éduquais de plus en plus à l’université et j’ai entamé ma première relation avec ma petite amie actuelle en 2017. Quand on s’est mis·es ensemble, tout ce problème de « Y’a moins de filles pour moi » s’est évaporé.

En même temps, j’ai aussi découvert des YouTubers de gauche comme Three Arrows, qui consacrent beaucoup de temps et d’efforts à discréditer ces idées. Leurs vidéos montrent que ces gars d’extrême droite ne lisent même pas les rapports qu’ils citent. J’ai soudainement réalisé que j’écoutais des clowns. Le film American History X a également été une révélation. J’ai compris que toute cette peur et cette haine ne me servaient à rien. Je me suis retrouvé à dériver peu à peu vers la gauche et j’ai compris à quel point le capitalisme était problématique.

Certains films et influenceurs positifs m’ont donc réellement aidé, mais la chose la plus importante a été l’amour des gens autour de moi, l’amour qui donne confiance en soi. C’est exactement ça, le piège de ces communautés d’extrême droite : elles feront tout leur possible pour vous maintenir en insécurité émotionnelle et isolé.

Nigel (23 ans), étudiant

J’ai grandi dans une famille de la classe ouvrière. À 16 ans, j’ai découvert le versant extrême droite d’Internet – pensez aux vidéos YouTube de Ben Shapiro et Steven Crowder, qui prétendent être basées sur « du factuel et de la logique ». Ces personnes sont très douées pour manipuler les statistiques de manière à ce que vous preniez tout ce qu’elles disent pour argent comptant.

Un bon exemple de ce genre de manipulation ? La fameuse théorie du 13/52, une théorie qui prétend que bien que les Afro-Américain·es représentent seulement 13% de la population américaine, 52% de tous les prisonnier·es aux États-Unis sont noir·es. Cette information inexacte est présentée sans tenir compte du statut socio-économique de beaucoup de Noir·es aux États-Unis ni du racisme systémique de la police.

Mon père est Antillais, alors ça m’a toujours donné l’envie de prouver que je faisais partie « des bons ». Je traînais un sentiment de culpabilité et d’insécurité, j’avais l’impression d’être une mauvaise personne à cause de ma couleur de peau. Aussi, je n’étais pas en contact avec mon père, une absence qui laissait beaucoup de place à la déception et à la haine.

Je suis allé creuser encore plus profondément sur les forums incel comme 4chan – où des blagues sexistes et racistes circulent sans arrêt – ce qui, à mon âge, me semblait très cool et avant-gardiste. Sur ces forums, les théories de suprématie blanche sont partagées et ouvertement glorifiées : on vous enseigne littéralement que les Noir·es veulent faire tomber l’« Occident libre ».

Vers 18 ans, j’ai commencé à penser différemment. C’est assez drôle que les médias m’aient influencé à la fois pour adhérer à ces idées, mais aussi pour m’en éloigner. Quand tu haïs les « sales terroristes musulmans », mais que tu vois que les nationalistes blancs sont également impliqués dans des fusillades, tu commences à remettre en question ta façon de penser. Les vidéos YouTube de Second Thought ou Hunter Avallone m’ont beaucoup aidé – Avallone avait autrefois des idées d’extrême droite et a fini par produire du contenu progressiste.

En regardant en arrière, je pense que la solitude a été un facteur majeur de mon comportement. Je voulais faire partie de quelque chose, même si c’était le dark side d’Internet. Je sais que beaucoup de jeunes préféreraient rejoindre le clan des « hommes forts » qui roulent en Bugatti plutôt que d’être associés à des végans de gauche. Mais ce sont des endroits d’égarement dangereux.

Leon (26 ans), travaille dans l’ingénierie

À 16 ans, je me comportais déjà très mal envers les femmes. Je slut-shamais les filles qui l’avaient déjà fait, en leur balançant des trucs comme « Tu baiserais avec n’importe qui, pas vrai ? ». Non seulement ça me semblait normal, mais à l’époque je pensais sincèrement leur rendre service. J’étais aussi convaincu que le féminisme allait trop loin, que les femmes en faisaient trop, et je refusais de les prendre au sérieux parce qu’elles n’étaient pas aussi intelligentes que les hommes. Lors de ma dernière année d’école, j’étais en classe avec une fille très douée en analyse. Je considérais que c’était mon devoir de toujours venir avec des contre-arguments lorsqu’elle traitait d’un sujet. De mon point de vue, elle était anti-homme, car elle ramenait toujours les femmes sur la table, surtout lors de conversations à propos de thèmes qui, à mes yeux, ne concernaient que les hommes. Dans ces échanges, j’étais toujours assez méchant et je tournais tout ce qu’elle disait en dérision. Mais en réalité, elle comprenait tout mieux que moi – j’étais juste un vrai connard.

Je me sentais parfaitement à ma place sur la page Reddit Men’s Rights – une communauté bâtie sur le consensus que les hommes étaient menacés par le féminisme. C’était l’époque du Gamergate [une campagne de harcèlement en ligne misogyne contre le féminisme et la diversité dans les jeux vidéo, NDLR] et la blogueuse et gameuse féministe Anita Sarkeesian était devenue la cible privilégiée. Elle a été ridiculisée dans des centaines de commentaires et de publications sur Reddit. Moi je pensais que c’était mérité, car les gamers sont forcément des hommes et le free market produit les meilleurs jeux. De mon point de vue les jeux décrivaient objectivement la relation entre les hommes et les femmes, et les femmes n’étaient pas capables de comprendre le monde objectif. Fondamentalement, les idées conservatrices avec lesquelles j’avais grandi se sont trouvées renforcées par ma bulle Internet.

À 18 ans, je suis entré à l’université et j’ai commencé à avoir des doutes. J’y ai rencontré des personnes homosexuelles et j’ai eu de vraies conversations avec des femmes, qui se sont, à ma grande surprise, révélées avoir des opinions sensées. Ça peut sembler stupide, mais dans ma tête, les femmes et les homosexuels appartenaient quasiment à une autre espèce. La littérature et des chaînes YouTube comme Contrapoints m’ont aidé à sortir du trou sombre de l’extrême droite. J’étais aussi intéressé par la philosophie, mais je ne m’intéressais qu’aux penseurs conservateurs – puis j’ai lu Simone de Beauvoir et je me suis dit « Merde, les femmes ont aussi de bonnes idées ! ». C’est à ce moment-là que j’ai commencé à réfléchir davantage au sexisme et au racisme dans la société. J’ai complètement changé de perspective : je suis maintenant un socialiste politiquement actif, avec des opinions féministes.

Je n’ai pas eu de relations sexuelles satisfaisantes avant l’âge de 20 ans, mais j’ai toujours pensé que c’était à cause de mes partenaires. Quand j’ai commencé à voir les femmes comme de véritables êtres humains plutôt que comme des objets, ça a immédiatement conduit à de bonnes expériences et à des relations amoureuses. Des personnes comme Andrew Tate sont très populaires auprès des jeunes garçons, et c’est vraiment triste à voir. Je pense que j’aurais fait comme eux si j’avais leur âge aujourd’hui – les jeunes fans de Tate sont le signe d’un problème plus large dans la société.

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